Bien sûr, la production vidéo de Nollywood, au Nigeria, et quelques films sud-africains les avaient déjà mis en scène : des gangsters sans foi ni loi, petits malfrats ou gros mafieux utraviolents en terre africaine. Mais seul Viva Riva ! du Congolais Djo Tunda wa Munga, sorti en France en avril dernier, a créé l’événement international. Vingt-cinq ans qu’aucune fiction cinématographique n’avait été produite en République démocratique du Congo (RDC) (1), et, au final, une pluie de récompenses – notamment six prix aux African Movie Academy Awards en 2011 –, des sorties dans plusieurs pays d’Europe et d’Amérique du Nord, mais aussi, tant bien que mal, en RDC.
Il faut dire que Viva Riva ! dépote. Un vrai film de genre, où ne manquent ni les liasses de billets, ni les truands sanguinaires, ni les flics corrompus. Et encore moins « la » femme fatale… L’histoire ? La même que l’on pourrait retrouver à New York, Hong-Kong, Moscou ou Tokyo : Riva, petit escroc parti faire fortune à l’étranger, vole son boss et revient flamber ses dollars au pays après dix ans d’absence. Avec un seul programme : fiesta, filles et épate pour tout le monde. Évidemment, le boss ne laissera pas faire et le poursuivra jusqu’en enfer pour récupérer son bien et le punir comme il le mérite. Surtout, Riva tombe sous le charme d’une belle vénéneuse, Nora, « femme » d’un caïd du coin…
Viva Riva ! pourrait donc se passer partout où règnent les mafias. Sauf que l’histoire se déroule à Kinshasa, autrefois Kin-la-Belle, aujourd’hui Kin-la-Déglinguée, capitale tentaculaire d’un État dévasté par trente ans de mobutisme et dix ans de guerres les plus meurtrières du continent, et, depuis, dans un état mi-guerre mi-paix. Kin et sa pauvreté lépreuse, ses quartiers défoncés, ses petits commerces, ses embouteillages monstres, ses endroits de plaisir et ses villas opulentes. Kin, véritable personnage que Djo Tunda wa Munga filme comme jamais. C’est elle que l’on découvre en même temps que l’objet du larcin de Riva : non une mallette bourrée de dollars ou de diamants, mais un camion venu de l’Angola voisin, chargé jusqu’à la gueule de bidons d’essence… Une fortune dans une ville où la pénurie fait flamber les prix, immobilise les véhicules et fait tousser les groupes électrogènes.
Dans cette Kin qui survit autant qu’elle agonise, Riva est tout à la fois saisi par le désir de vivre à 100 à l’heure et une pulsion de mort. Pour lui comme pour les autres protagonistes, l’argent achète tout : son vieil ami J. M. qui lâche femme et enfants pour le suivre dans sa débauche ; Nora qui, peut-être, aurait succombé à plus de tendresse ; le petit vendeur ambulant, futur caïd en puissance… Mais les poursuivants de Riva savent donner dans la surenchère. Ce sont les militaires gradés, les évêques, les proches qu’ils achètent, puis ceux-là qui, devenus un peu plus riches, achèteront à leur tour. Seuls les parents de Riva auront su rester intègres. Et pauvres. Ce que leur fils leur reprochera toujours.
Talonné par le parrain angolais qui prend tous les Kinois pour des paysans (« Votre pays, c’est la pire crotte de vache qu’on n’ait jamais vue. Peut-être qu’on aurait dû vous garder sous colonie », crache-t-il, méprisant) et hache menu tous ceux qui lui font obstacle, Riva file droit vers un destin que lui-même et les spectateurs savent inéluctable.
Il aura fallu presque dix ans pour que Djo Tunda wa Munga, 40 ans aujourd’hui, parvienne à réaliser ce thriller social nerveux – qui n’évite toutefois pas certaines longueurs –, violent et transgressif. Ha ! ces scènes de sexe torrides, cette militaire homosexuelle ! On espère qu’il ne lui en faudra pas autant pour réaliser son second long métrage – un polar entre la Chine et le Congo – et sonner aussi définitivement le retour du cinéma congolais sur la scène internationale.
Viva Riva !, de Djo Tunda wa Munga, prod. RDC/Be/Fr, 2010, 1 h 38, avec Patsha Bay Mukuna, Manie Malone, Hoji Fortuna…
(1) Dernier en date : La Vie est belle, de Benoît Lamy et Ngangura Mweze.