Pour Dorcy et Sabrina, lui noir et elle arabe, la vie semble simple, ils s’aiment et vont se marier. Mais les choses se compliquent quand leurs proches s’en mêlent. Paris n’est pas Vérone et donc ici pas de familles rivales, mais des rancœurs entre communautés cristallisées par les traditions et appuyées par nombre des quarante frères de Sabrina, le grand frère Slimane en tête.
La rengaine que nous conte Rachid Djaïdani, il la connaît bien. Né d’une mère soudanaise et d’un père algérien, il grandit en banlieue parisienne et commence par travailler dans le bâtiment. Il sait ce que signifie appartenir à une « minorité » ou lutter pour percer, tout comme ses acteurs, tous amateurs ou du moins méconnus au moment du tournage. Après avoir bataillé sans financement neuf ans durant pour faire aboutir son film, il aurait pu facilement tomber dans un pamphlet bien trop commode contre le système, mais il n’en est rien. Dans Rengaine, ni défaitisme ni misérabilisme. Rachid Djaïdani ne rejette pas l’image de minorités mises à l’écart par une majorité blanche mais tente de faire voir un autre point de vue en mettant en scène un racisme intercommunautaire rarement évoqué au cinéma. Pas un film de banlieue ou d’immigration, donc, mais un miroir d’un pan de société, partagé entre traditions à la peau dure et acceptation du changement. Rachid Djaïdani en parle avec la justesse et la hargne que lui confère sa propre expérience. Si les frères de Sabrina pourraient en surface s’apparenter chacun à un des stéréotypes du maghrébin parisien, l’étendue même de la fratrie permet de dresser un portrait global d’une communauté. Un portrait vrai, sans le superflu du politiquement correct.
Cette volonté d’attache à la réalité et de rejet de la bien-pensance se retrouve non seulement dans le sujet, mais également dans son traitement. Rengaine a été conçu en neuf ans, délai qui serait inconcevable dans un cadre de production conventionnel où l’objectif reste un rendement maximum. Contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre, le film ne laisse pas transparaître cette durée de gestation à travers un contenu qui tendrait à être toujours plus léché, perfectionné ou en constante accumulation. En effet, on est face à un film de 75 minutes, aux cadrages à l’épaule presque incertains, aux images de caméra DV presque sales à côté de la toujours plus haute définition des productions de masse. Mais cette authenticité et cette spontanéité rappelant Godard ou Cassevetes, à qui le réalisateur s’identifie d’ailleurs, laissent apparaître le voyage initiatique qu’a pu constituer ce tournage. Un voyage semé d’embûches, comme celui qu’entreprend le personnage de Dorcy, comédien multipliant les galères, mais aussi de joies. Que ce soit en voyant ce film ou en écoutant Rachid Djaïdani en parler, on ressent l’évidence d’un amour véritable pour le cinéma et on est rassurés : il y a encore des alternatives à la rengaine du cinéma commercial qui s’installe.