On aurait tendance à penser qu’un bus ne peut abriter que la morne routine de la réalité, là où une salle de cinéma renferme une foule d’histoires merveilleuses. Avec The We and the I, le dernier film de Michel Gondry, les deux se confondent : le cinéma prend le bus et la réalité se trouve être bien plus fascinante qu’un conte de fées. Le réalisateur français nous narre ainsi, non pas des aventures fantastiques, mais la vie ordinaire d’un groupe de lycéens du Bronx (États-Unis) qui rentrent chez eux après leur dernier cours.
Expérimentateur dans de multiples genres, Gondry s’aventure cette fois du côté de la fresque sociale. Fresque est bien le mot car, ici, pas de personnage principal, mais un ensemble de portraits de lycéens que l’on se doit de considérer aussi bien individuellement que collectivement, comme le suggère le titre, « Le Je et le Nous » en français.
L’essentiel du film réside donc dans ses personnages et, pour les étudier à loisir, le cinéaste les place durant tout le film à l’intérieur du bus. On se trouve dans un huis clos, mais pas tout à fait. À chaque arrêt des personnages descendent et d’autres montent. En permanence, le Bronx est présent à travers les vitres, rappelant que les rues peuvent parfois être propices à la violence, au racisme, à la douleur. Ainsi placés au cœur de cet environnement qui contribue à les façonner, mais néanmoins cloîtrés, les protagonistes n’ont d’autre choix que de se heurter les uns aux autres, même les plus solitaires d’entre eux. De ces heurts naissent et s’éteignent amitiés, amours, rancœurs et, comme dans un road-movie qui emprunterait des couloirs de bus, nul n’est assuré d’être le même au départ et à l’arrivée.
Ainsi le film, qui s’ouvre superficiellement sur une bande d’adolescents bruyants et railleurs, progresse-t-il au fur et à mesure que le véhicule se vide vers une analyse plus poussée des individus, après les avoir dépouillés de la carapace que le groupe forme autour de leur véritable personnalité. Il saute alors aux yeux que cette défense, faite de railleries qui dissimulent les complexes de chacun, s’apparente plus souvent à un carcan, empêchant le moi authentique d’apparaître au grand jour.
Tout cela, Gondry l’exprime comme d’habitude avec la même facilité dans le maniement du langage cinématographique, et la même volonté de le démocratiser. Cette fois, il a choisi pour acteurs de jeunes amateurs recrutés sur place, qui viennent compléter avec leurs propres histoires la base de scénario déjà imaginée par le réalisateur. Si le film, écrit et mis en scène, se détache clairement du documentaire, la vie qui y est insufflée par les acteurs provient bel et bien du réel. Gondry semble vouloir appuyer les mots de Godard : « Le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde. »
The We and the I, Michel Gondry, États-Unis, 2012, 1 h 43,