Trois antiques salles qui fleurent bon le cinéma d’antan, une sélection aussi intéressante qu’éclectique, un joyeux méli-mélo d’acteurs, de cinéastes et de cinéphiles, une convivialité sans bling-bling, mais aussi des réalisateurs absents, des horaires élastiques, du matériel inadéquat… Le festival d’Oran (Fofa), seul à être exclusivement dédié au cinéma arabe, a encore du chemin à faire pour concurrencer ceux de Carthage ou du Caire. Mais son identité s’affermit d’édition en édition et la foi de ses promoteurs reste intacte. Ce fut encore le cas du 15 au 22 décembre dernier.
La soirée de clôture a d’ailleurs été grandiose. Dans l’immense salle du Centre des conventions d’Oran, les organisateurs ont mis les grands moyens pour annoncer les lauréats de la 6e édition : tapis rouge, show lumières, orchestre philharmonique d’Algérie et chorale menés par le chef syrien Missak Baghboudarian, avec des œuvres très éclectiques (Dvorak, Maurice Jarre, Beethoven, Sid Ahmed Belli, Ennio Morricone, Ahmed Malek, Abderrahmane Aziz…). Et c’est devant une salle comble que le Wihr d’or (Lion d’or), d’une valeur de 50 000 dollars, a été remis au film égyptien Al khouroudj lil nahar (« Sortir le jour ») de Halla Lotfy.
« C’est la consécration du cinéma indépendant arabe », s’est réjouie la réalisatrice en recevant son prix. « Un film sans pathos, avec en arrière-plan la société égyptienne actuelle », a commenté Hadj Miliani, président du jury long métrage. C’est surtout le renouvellement du 7e art égyptien, en rupture avec ses canevas commerciaux, qui a été récompensé. Il relègue à l’arrière-plan les films trop lourdement chargés de messages politiques, comme Tora Bora, de Walid el-Awadhi (Koweït), qui narre la quête d’un père à la recherche de son fils embrigadé par les taliban. À l’inverse, Parfums d’Alger, de Rachid Benhadj, aborde la décennie noire qu’a connue l’Algérie, mais sans sacrifier la dimension esthétique. En tout, treize longs métrages étaient en compétition, ainsi que quatorze courts métrages et dix documentaires.
Une douzaine de pays arabes étaient représentés, y compris la Syrie, preuve que l’activité artistique ne s’y est pas arrêtée. Alors que des films syriens ont été bannis des festivals de Dubaï et du Caire, sous prétexte qu’ils sont financés par le régime, ils ont été accueillis à Oran. « Je trouve cette attitude de boycott scandaleuse, témoigne le cinéaste tunisien Nacer Ktari, membre du jury long métrage. La seule sanction doit être celle du jury. » Les deux films syriens en compétition, Le Voilier et la tempête, de Ghassan Schmeit et Mon dernier ami, de Joud Said, n’ont d’ailleurs pas passé la rampe. Par contre, Lamma Choftek (« Quand je t’ai vu »), de la Palestinienne Annemarie Jacir, a reçu le prix spécial du jury. Il relate le désir de retour et la quête de souveraineté de ses compatriotes dans les camps de réfugiés. Très remarqués aussi, six films documentaires du réseau Shashat, consacrés aux luttes des femmes palestiniennes et destinés à briser le monopole de l’image détenu par Israël.
L’Algérie a également récolté des lauriers avec Yema, de Djamila Sahraoui, primée meilleure réalisatrice. Son film, où elle tient le premier rôle, relate les douleurs d’une mère qui a perdu son fils aîné lors de la période sanglante de l’Algérie, tandis que son deuxième fils se fait enrôler dans un groupe armé. « Un film difficile dans la mesure où il n’y a pas beaucoup de dialogue pour évoquer des questions dures », a commenté Hadj Miliani. Pour ce 6e Fofa, l’Algérie a également obtenu le Wihr d’or du court métrage pour Al Jazira (« L’Île »), d’Amine Sidi Boumediène. Le jeune acteur marocain Hicham Rostom a, lui, obtenu le prix du meilleur acteur pour son rôle du musicien dans La Cinquième Corde, de Selma Bargach. Le Professeur, du Tunisien Mahmoud Ben Mahmoud, a été consacré meilleur scénario.
Principale satisfaction : le public est venu en masse. Bouziane Benachour, directeur de la communication du festival, estime ainsi que les salles ont été remplies aux trois quarts. Le Fofa est toutefois à la recherche d’un second souffle. Benachour a rappelé que la première édition avait débuté sur les chapeaux de roue : « C’était sous la houlette de l’ancien directeur de la télévision publique ENTV, Hamraoui Habib Chawki. Les gens de la télé débarquaient en masse, et le wali d’Oran accrochait lui-même les bannières. Les entreprises étaient alors nombreuses à proposer leurs services. » Si cette époque est révolue, des initiatives pourraient contribuer à retrouver le punch des débuts. À commencer par la rénovation des trois dernières salles de la ville, alors qu’elle en possédait cinquante-deux à l’indépendance. Benachour refuse de faire les projections dans des hôtels de luxe. « Le festival doit rester en ville et garder son caractère populaire », a-t-il martelé.
Caractère populaire ? Se pose alors la question de l’éducation au cinéma. Pour que le festival grandisse et dépasse son côté événementiel, une initiation dans les écoles devrait contribuer à l’éclosion de nouvelles générations de cinéphiles, et pas seulement d’amateurs de navets occidentaux. De l’avis des professionnels présents à Oran, les pays arabes souffrent également d’un manque d’écoles de cinéma, et plus globalement d’investissement public dans ce secteur. Au Fofa, les ateliers de formation sur les techniques numériques, en présence de cinéastes algériens, belges et iraniens, ont d’ailleurs connu un beau succès. Conclusion de Bouziane Benachour : « Cette sixième édition a gagné en maturité. Mais il reste encore beaucoup de boulot ! »