Organisée dans le cadre de la présidence chypriote de l’Union européenne (la toute première depuis son adhésion en 2004), l’exposition « Mapping Cyprus : Crusaders, Traders and Explorers » à Bruxelles retrace la riche histoire de cette île au carrefour de trois continents, et dont Nicosie est la seule capitale européenne divisée. Lieu stratégique pour qui voulait contrôler la Méditerranée, traversée par des courants commerciaux et politiques entre l’Occident et l’Orient, Chypre a fait l’objet durant des siècles de convoitises et d’occupations, tout en servant de trait d’union entre les multiples influences.
L’exposition évoque ce passionnant feuilleton : la conquête de l’île par Richard Cœur de Lion sur la route des croisades en 1191 ; le rachat par Guy de Lusignan et le début d’un royaume indépendant durant près de trois siècles (1192- 1489) ; l’arrivée des Vénitiens avant que ceux-ci ne s’effacent devant les Ottomans en 1571 (qui mirent fin à la production d’icônes) ; la cession aux Britanniques en 1878 (avec eux apparaîtront les premières photographies de l’île), et finalement l’indépendance en 1960, avec la répartition des pouvoirs entre Chypriotes grecs et Chypriotes turcs, mais dont certaines dispositions ont rapidement donné lieu à des conflits communautaires.
Plus de 140 objets rares parsèment l’exposition, témoins du mélange entre les arts byzantin, franc et vénitien. Ainsi, on reste ébahi devant la beauté des cinquante icônes, à la facture typiquement chypriote, dont la plupart sortent pour la première fois des évêchés, églises et monastères, et qui rejoindront une exposition au Louvre, à l’automne. Les cartes géographiques sont autant d’œuvres d’art, au même titre que les gravures et peintures, dont certaines du Titien et du Tintoret. Celui-ci a notamment réalisé un portrait magnifique de Caterina Cordaro, qui a régné sur Chypre de 1474 à 1489, année où Venise l’a obligée à renoncer au trône. Deux salles sont consacrées à l’Othello de Shakespeare et à la musique de la cour des Lusignan à travers des extraits sonores du Codex franco-chypriote, un recueil de musique composée au xve siècle pour le roi Janus de Chypre.
La jeune scène artistique chypriote est également représentée, dont un artiste du côté turc, Mustafa Hulusi. Les notions de territoire, division, frontière, identité sont omniprésentes, mais sans jamais verser dans le pathos. Une vidéo de Yioula Hadjigeorgou montre un couteau qui coupe l’eau, comme une métaphore de cette île divisée depuis le coup d’État du 15 juillet 1974 contre le président Makarios et l’invasion turque qui s’en est suivie. Leurs regards témoignent d’un refus de la fatalité et d’une inclination vers le vivre-ensemble. L’île n’a-t-elle pas vu naître Aphrodite ? Comme en écho, deux auteurs belges, un Flamand et un francophone, se sont rendus l’un dans la partie grecque de Nicosie, l’autre dans sa partie turque. Leurs récits figurent dans le guide gratuit du visiteur.
Jusqu’au 23 septembre au palais des Beaux-Arts à Bruxelles. www.bozar.be