Que retenir des assemblées annuelles du groupe de la Banque africaine de développement (Bad) qui se sont tenues fin mai et début juin dernier à Arusha, en Tanzanie ? La confiance dans les capacités du continent à répondre aux différentes crises qui secouent le monde ? Les inquiétudes sur la baisse de la résilience africaine qu’on constate avec la vulnérabilité d’un nombre croissant d’économies africaines face à la complexification des chocs exogènes ? Les experts et analystes africains et non africains ont été nombreux, à Arusha, à disserter sur l’avenir du continent et à esquisser des solutions.
Paradoxalement, c’est sur l’un des problèmes cruciaux et récurrents en Afrique, le chômage accéléré et la précarisation continue de l’emploi des jeunes, que des solutions concrètes et audacieuses se sont faites rares. La question a pourtant occupé une place centrale dans le rapport Perspectives économiques en Afrique 2012, rendu public au cours des assemblées de la Bad. Coédité par la Bad, le Centre de développement de l’OCDE, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, le rapport situe clairement, pourtant, l’étendue des difficultés.
Avec près de 200 millions d’habitants âgés de 15 à 24 ans, commence-t-il, l’Afrique possède la population la plus jeune du monde. Et celle-ci s’accroît à vive allure. Le nombre de jeunes y aura doublé d’ici à 2045. De 2000 à 2008, la population en âge de travailler (15-64 ans) est passée de 443 millions à 550 millions, soit une hausse de 25 %. Sur une année, cela équivaut aussi à une augmentation de 13 millions, soit 2,7 % selon les chiffres de la Banque mondiale. Si cette tendance se poursuit, fait savoir le rapport, la main-d’œuvre du continent sera d’un milliard de personnes en 2040. Ce sera la plus nombreuse du monde, dépassant celle de la Chine et de l’Inde.
Comment les pays africains s’organisent-ils pour faire face à cet afflux, sur le marché du travail, de jeunes dont le niveau d’instruction progresse également ? Il y aura 137 millions de jeunes diplômés du secondaire en 2030 et 12 millions du tertiaire. Si le diagnostic du chômage des jeunes est largement partagé, c’est au niveau des démarches à adopter pour y faire face que les difficultés commencent. Le constat, sur ce point, est celui d’une absence de solutions concertées, ne serait-ce qu’au plan sous-régional. Chaque pays a affronté la situation comme il le voulait, ou le pouvait.
Selon des estimations faites par l’Organisation internationale du travail, quelque 73 millions d’emplois ont bien été créés entre 2000 et 2008 en Afrique, mais seulement 16 millions pour les 15-24 ans. En conséquence, résume le rapport, « de nombreux jeunes Africains se retrouvent sans emploi ou, plus fréquemment, en sous-emploi dans le secteur informel, où la productivité et la rémunération sont faibles. Quelque 60 % des chômeurs africains sont des jeunes et, dans la plupart des pays africains, le taux de chômage des jeunes est deux fois plus élevé que celui des adultes ». Il en résulte, par ailleurs, que la pauvreté frappe davantage les jeunes. L’incidence de la pauvreté chez cette catégorie au Nigeria, en Éthiopie, en Ouganda, Zambie ou au Burundi dépasse les 80 %, selon la Banque mondiale.
Lors des discussions qui ont suivi la présentation du rapport au Centre international des conférences d’Arusha, l’unanimité s’est faite autour d’une évidence : l’impossibilité pour le secteur public africain de répondre efficacement au défi de l’emploi des jeunes. L’État ne peut pas procurer tous les emplois que les jeunes espèrent, a prévenu Jan Rielaender, économiste au Centre de développement de l’OCDE. Mais il peut toutefois aider le secteur privé à créer davantage d’emplois, a-t-il argumenté.
Les grandes entreprises, locales et multinationales, qui offrent jusque-là l’essentiel des emplois rémunérés, sont encore en trop petit nombre pour répondre aux besoins des jeunes demandeurs d’emploi. Les petites entreprises, qui constituent l’essentiel du tissu économique de nombre de pays africains, auraient pu apporter de meilleures solutions. « Il s’agit souvent d’affaires tenues par une seule personne qui vendent des produits simples ou des services de réparation, ou encore mènent une activité manufacturière rudimentaire, comme la fabrication de mobilier, note l’économiste de l’OCDE. D’autres, poursuit-il, opèrent dans les hautes technologies ou Internet, et proposent des services modernes à un secteur des communications en plein essor. Beaucoup de ces petites entreprises ne sont pas officiellement déclarées, mais elles possèdent un fort potentiel et dégagent un rendement de 60 à 70 % sur leur capital chaque année. »
Étonnamment, ces petites entreprises se heurtent à des obstacles auxquels l’État peut remédier, mais n’y est pas encore parvenu. Parfois faute de volonté politique, souvent en raison du jeu de dupes des multinationales et d’organisations financières internationales qui favorisent les riches au détriment des plus pauvres.
Une illustration en est donnée dans le domaine du financement bancaire. Les chefs de petites entreprises africaines n’ont pas accès aux crédits qui leur permettraient de développer leurs activités. Les banques en Afrique, très souvent des succursales de multinationales occidentales, octroient davantage de crédits à des entités non africaines ou à des entreprises de grande taille et exigent des petits patrons africains quantité de garanties qui constituent autant de barrières insurmontables. Le plus cocasse est que plusieurs de ces banques aux crédits très sélectifs étaient présentes à Arusha, jurant qu’elles contribuaient à l’essor du continent africain. Si ces banques étaient poussées à financer plus franchement les petites entreprises, les jeunes Africains seraient sans doute nombreux à s’auto-employer et à passer du stade de demandeur d’emploi à celui de créateur de nouveaux emplois.
L’État en Afrique peine encore à accorder les incitations qu’il faut aux petits entrepreneurs et à favoriser leur prise en compte dans les stratégies de développement. Dans des pays où 90 % des entreprises sont des petites et moyennes entreprises (PME) ou de plus petites entreprises, de tels oublis ne peuvent qu’étonner. C’est donc à un changement structurel de taille qu’il faut envisager : sortir de la dépendance envers les multinationales, prioriser les PME locales, offrir aux jeunes des formations adaptées aux exigences du marché du travail, créer des infrastructures orientées vers la production et faciliter les activités de services. Autant d’actions sans lesquelles l’emploi des jeunes restera un serpent de mer, et les discours sur l’avenir prometteur de l’Afrique une vague incantation.