Curieuse « enquête » en effet, signée par un « grand reporter » qui s’essaie sur le monde arabe, et une militante agitée, sœur de l’ancienne porte-parole (démissionnaire) du Conseil national syrien (CNS), militante anti-Bachar de la 25 ème heure, qui avait eu l’honneur, en 2008, de figurer sur la liste des personnalités syriennes, dressée par l’Ambassade de Syrie, « autorisées » à rencontre l’illustre invité de Nicolas Sarkozy.. Celle-ci nous ressert le même article qu’elle commit dans le quotidien Libération du 9 février 2012 – « Des réseaux français au service de la Syrie » –, objet d’un droit de réponse publié par le quotidien, le 20 mars dernier.
Un long préambule, d’emblée polémique, essaie de justifier ce qui va suivre sans toutefois masquer efficacement la difficulté épistémologique de l’entreprise : affirmer qu’une « troupe bigarrée », s’enivrant au « même breuvage », justifie « la fuite en avant meurtrière » de la Syrie, imputable au seul « tyran syrien ». Vient alors une énumération d’essayistes, de personnages politiques et d’activistes accusés de cautionner les atrocités de l’actuelle guerre civile qui sévit en Syrie avec, en arrière-plan, une question qui suggère le fondement de cet assemblage à la Prévert : « l’appât du gain ? ».
Au-delà de l’ignorance caractérisée concernant le pays en question ainsi que la situation régionale et internationale, ce journalisme de délation rappelle d’autres temps sombres et des pratiques plutôt incompatibles avec l’enseignement de l’École supérieure de journalisme de Lille où l’un des deux auteurs prétend être enseignant ! Mais cet échantillon est certainement conforme au « nouveau journalisme » des petits chiens de garde d’aujourd’hui (lire le dossier d’Afrique Asie de juin 2012).
Relevant plus du pamphlet que du journalisme, disions-nous, cette série de portraits, tous plus approximatifs les uns que les autres, aligne « l’impayable Roland Dumas » et l’ancien ministre libanais Michel Samaha « arrêté pour transport d’explosifs ». Non établie ni vérifiée, cette dernière affirmation – qui fait actuellement l’objet d’une procédure libanaise –, est contestée par nombre d’experts et d’enquêteurs de premier plan. Vient ensuite « l’étrange » mère Agnès-Marie-de-la-Croix, « réputée proche des services de renseignement du pouvoir ». « Réputée » sur quelle base ? L’article ne le dévoile pas, mais on comprend que son obstination à la « défense de minorités confessionnelles en péril » lui vaille la détestation de nos deux « enquêteurs ». Qualifié de « pro-palestinien radical », le père Michel Lelong en prend lui aussi pour son grade avant la chute qui reproduit, presque mot pour mot, le papier de Libération précédemment cité avec plusieurs photos.
Celle de notre collaborateur est légendée d’une étrange façon : « Influent, Richard Labévière, ancien de RFI, ici en 2006 ». Influent ? De quoi, pourquoi et comment ? L’« enquête » ne le précise pas non plus, comme elle ne cite pas une seule fois le contenu des « articles, ouvrages et rapports de l’intéressé avalisant les thèses du régime et dénotant, a minima une fascination résiduelle pour la lignée des Assad ». Parfaitement gratuit, ce procès d’intention aurait bien du mal à se fonder sur des citations précises tirées des mêmes « articles, ouvrages et rapports ». Sa pleine fascination pour la Syrie, son peuple et le Proche-Orient s’appuie effectivement sur trente années de séjours, de reportages et d’écriture dans et sur ce pays et la région. Par conséquent, nous mettons au défi les deux « enquêteurs » de trouver dans les écrits, films et interventions de Richard Labévière, comme dans l’ensemble des colonnes d’Afrique Asie, une quelconque apologie du « régime » syrien (que nous avons durant des décennies, implacablement dénoncé) ou toute espèce d’incitation à la haine raciale ou confessionnelle.
La seule « preuve » avancée s’appuie non pas sur une quelconque citation d’Afrique Asie, mais sur des bouts de commentaires tronqués de notre mensuel qui a, face à la crise actuelle, défendu inlassablement un changement de régime vers la démocratie, le multipartisme, la laïcité et le rejet de la violence d’où qu’elle vient, tout comme les ingérences étrangères. Dans notre analyse, nous avons toujours appelé au dialogue et à la préservation de l’État (de droit bien entendu) pour éviter le scénario irakien. On cite ensuite le titre d’un livre de Richard Labévière, encore une fois sans s’attaquer au contenu, en précisant qu’il est préfacé par Alain Chouet « autrefois directeur de la DGSE ». Ce dernier n’a jamais été « directeur » des services spéciaux français mais fut chef du « Service de renseignement de sécurité » de cette administration. Enquête, « quand tu nous tiens… »
La conclusion concerne Frédéric Domont qui n’a pas été licencié, comme il est écrit, pour « avoir vendu à la chaîne TV5, avant de la livrer à son employeur, une interview du raïs Assad, conduite au côté de son ami Richard Labévière ». Conjointement réalisée pour RFI et TV5, avec l’aval de la direction de ces deux filiales de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF), cet entretien a été réalisé, normalement, en préambule à la visite du président syrien en France le 10 juillet 2008.
Frédéric Domont et Richard Labévière ont été licenciés dans des conditions illégales durant l’été 2008 par mesdames Christine Ockrent et Geneviève Goëtzinger, respectivement directrice adjointe de l’AEF et directrice déléguée de RFI, pour délit « de sale gueule idéologique » et des motifs reconnus ultérieurement comme totalement injustifiés.
Encore merci à la rédaction de L’Express pour une telle publicité !
(1) 12 septembre 2012.