L’ancien président libérien Charles Taylor, condamné par le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone à cinquante ans de prison pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, pourrait être transféré du Royaume Uni, où il purge actuellement sa peine, vers le Rwanda.
Ce sont des responsables du TSSL lui-même qui ont approché les autorités rwandaises pour leur demander la procédure qui permettrait au prisonnier Charles Taylor d’être transféré à Mpanga, une prison construite pour accueillir les condamnés du Tribunal spécial pour le Rwanda, et où séjournent déjà quelques anciens rebelles sierra-léonais. Le motif de ce transfèrement serait purement humain : d’une part, Taylor craindrait de se faire attaquer par ses co-détenus dans sa prison actuelle, et d’autre part, cela revient très cher à sa famille de venir lui rendre visite.
Si le premier motif paraît a priori recevable, compte tenu de la violence endémique en prison – qui existe au Royaume Uni comme en France, en Italie ou ailleurs, et certainement au Rwanda – le second motif apparait quelque peu spécieux. En effet, la famille Taylor, très éclatée, ne vit pas essentiellement au Liberia ou dans un pays proche du Rwanda, lieu où il n’est pas moins coûteux de se rendre depuis l’Europe ou les Etats-Unis que la Grande Bretagne. En revanche, on peut légitimement s’interroger sur le fait de permettre à Taylor de rejoindre d’anciens rebelles du RUF (Front révolutionnaire uni, groupe rebelle qui a terrorisé la Sierra Leone pendant plus d’une décennie et avec lequel Taylor a eu des accointances depuis le début des années 1980.
Dans le même temps, le président rwandais Paul Kagame s’emploie à dénoncer une « justice internationale sélective », s’agissant de la Cour pénale internationale. Comme il s’est débarrassé des principaux auteurs du génocide de 1994 – via une justice internationale à laquelle il a lui-même collaboré et que, à l’époque, il estimait trop clémente – il lui est désormais loisible de s’en prendre à cette même justice qui ne menace plus ses adversaires, mais éventuellement lui-même. Il n’a donc pas de mots assez durs pour la condamner, s’appuyant sur le procès en cours du vice-président kenyan William Ruto et à venir du président en exercice Uhuru Kenyatta.
Il est vrai que la juridiction internationale s’en est pris, depuis 2002, essentiellement à des Africains – et accessoirement à des Européens du centre – mais ne serait-ce pas parce que ces mêmes Africains se sont rendus coupables de crimes atroces ? On pourrait ajouter, cyniquement, qu’ils ne sont certes pas les seuls mais qu’ils ont commis l’erreur de le faire à visage découvert et qu’ils se sont fait prendre…
L’impunité n’a pas de visage, elle est une zone grise dont on se plaint, que l’on dénonce dans les médias mais contre laquelle il est presque vain de lutter. La justice est aveugle, elle ne regarde pas la couleur de la peau, ni l’origine, ni la religion de celui qu’elle stoppe dans son élan. Mais, quoiqu’en dise le président Kagame, elle a une vertu cathartique. Il n’est pas de son ressort d’oeuvrer à la réconciliation nationale. Il y a, pour ce faire, des commissions Vérité et réconciliation et des bonnes volontés ent tout genre. Elle est là pour dire le droit, et sanctionner ceux ou celles qui ont cru bon s’en affranchir pour mener à bien leurs visées politiques, ou autres. Le président Kenyatta n’est, pour l’heure, pas condamné. Il a les moyens de se défendre, de prouver son innocence, de montrer à la face du monde non seulement son courage politique, mais aussi sa détermination et le bien-fondé de son action. Mais il faut que la justice fasse son travail, à moins qu’il ne conserve sur son nom une tache indélébile, celle de l’impunité.