Le plus grand projet de développement du Canal de Suez depuis son inauguration en 1869, lancé en grande pompe par le gouvernement égyptien, fait grand débat.
Le projet de développement du Canal de Suez renferme deux phases. La première s’étend sur un an et la seconde sur 8 ans (détails sur les deux phases sur page 13). La première est bien définie, tandis que la seconde est plus ambitieuse et surtout très coûteuse. L’inauguration du projet le 5 août dernier a été grandiose, mais soudaine. Depuis, des questions et inquiétudes apparaissent. L’Hebdo les a regroupées en 4 catégories: le coût, le mode de financement et le manque de transparence autour du projet. La dernière porte sur la gestion du projet et la gouvernance des rapports avec les multinationales étrangères lors de la seconde phase. Le président de l’Autorité du Canal, le général Mohab Mamich, a apporté en exclusivité à l’Hebdo les clarifications nécessaires.
Quel est le coût du projet ?
D’après les déclarations du général Mamich, la première phase devait initialement coûter 4 milliards de dollars (21 milliards de L.E.). Or, après que le président Al-Sissi eut raccourci des deux tiers la période d’exécution, une hausse des coûts est inévitable. Mamich ne révèle pas le nouveau chiffre, mais déclare qu’il a été obligé d’allonger le temps de travail quotidien à 24 heures, c’est-à-dire en un jour trois fois 8 heures pour achever l’oeuvre dans les temps. « L’ampleur du travail nous a obligés à recourir à davantage d’entrepreneurs », ajoute-t-il.
Quant à la seconde phase, rien n’est clair. Mamich a annoncé, lors de l’inauguration, qu’elle s’étend jusqu’en 2022. Le montant total des investissements attendus serait une somme vertigineuse de 100 milliards de dollars (soit presque 40% du Produit Intérieur Brut du pays). Mamich déclare cependant que les 6 projets prioritaires d’infrastructure (voir p. 13) coûteraient quelque 60 milliards de L.E. Mamich prévoit de plus que dans 8 ans, les recettes annuelles provenant du Canal augmenteront de 20 fois comparées à leur niveau actuel, pour atteindre 100 milliards de L.E.
Comment le projet sera-t-il financé ?
La question porte sur la première phase du projet. Le président Al-Sissi tient à ce qu’elle soit inaugurée dans un an, au lieu de 3 originalement visés, et que le financement se fasse par une souscription réservée aux Egyptiens. Alors que le plan est de le financer partiellement par des investissements étrangers, d’autant que pour lancer une souscription publique, la loi actuelle indique que la société soit cotée en Bourse depuis au moins deux ans, ce qui n’est pas le cas pour le Canal de Suez.
Plusieurs experts se demandent si la souscription publique implique que le Canal soit partiellement privatisé (en cas de lancement d’actions). Une option réfutée par l’opinion publique égyptienne. Salwa Al-Antari, ex-directrice du département des recherches au sein de la première banque égyptienne NBE, s’inquiète d’ouvrir la souscription aux sociétés égyptiennes qui sont majoritairement possédées par des étrangers: « Cela pourrait être très dangereux. Par exemple, les banques sur le marché égyptien, détenues majoritairement par des capitaux étrangers, pourraient être, selon la loi, parmi les actionnaires ou les détenteurs des obligations».
Mohab Mamich souligne que le Canal restera national et ne sera pas privatisé. « Quel que soit le mode de financement, le ministère se débrouillera pour trouver des règlements aptes à l’organiser ». Et d’ajouter qu’il étudie actuellement avec le ministère des Finances les différentes alternatives de financement et les règlements qui organiseront cette question. « Ce sujet pourrait être achevé en mi-septembre », note-t-il.
Nayel Al-Shafei, ingénieur et conférencier au Massachusetts Institute of Technology (MIT, Etats-Unis), se demande pourquoi recourir à la souscription publique alors que « l’Autorité peut autofinancer le projet tout comme les multiples précédentes expansions semblables (voir tableau) ». D’après ses calculs, la somme demandée est exagérée et ne représente qu’une fraction des recettes annuelles du Canal (voir graphique).
Pourquoi le gouvernement cache-t-il les détails du projet ?
La seconde phase est la plus ambiguë. « Comment un si grand projet peut-il être annoncé du jour au lendemain ? », se demandent plusieurs experts parmi lesquels Mahmoud Omara, un grand partisan du développement de la région et investisseur dans le secteur agricole, nommé en 2012 membre au conseil du développement du Canal de Suez (un conseil qui n’existe plus). Pour lui, le fait de ne pas donner d’informations sur le consortium qui exécutera le projet est « mal perçu ». La presse et non le gouvernement a toutefois évoqué un bureau de conseil français, dont le nom n’a pas été dévoilé pour des raisons sécuritaires, qui désignera le consortium.
Le quotidien égyptien financier Al-Mal a indiqué que 14 consortiums ont présenté leurs offres pour l’exécution de la seconde phase et 3 principaux ont été nommés, qui regroupent tous des partenaires étrangers. Soit en tout 33 sociétés, selon le quotidien Al-Shorouk. Reuters a publié de son côté qu’un consortium saoudien nommé Dar Al-Handassa présidé par l’armée égyptienne était le plus proche de remporter le contrat. Rien n’est donc vraiment clair.
Le Conseil d’Etat, la plus haute instance judiciaire administrative, s’est abstenu la semaine dernière d’approuver la version du contrat qui devrait être signée avec le consortium qui exécutera le projet, et ce, pour manque de documents présentés par le gouvernement. Mamich, lui, a expliqué le retard par des raisons procédurales. Deux jours après la publication de cette information, Mamich s’est félicité d’avoir convaincu le Conseil d’Etat ainsi que le département de la sécurité nationale d’avoir accepté le contrat. Il assure que les détails seront dévoilés dans un très court délai, « d’ici cinq jours, le nom du consortium gagnant pour exécuter le projet sera déclaré, accompagné d’un plan directeur du projet ».
Comment gérer le projet et comment régler les conflits avec les partenaires étrangers ?
L’Autorité du Canal de Suez semble s’inscrire de fait à la tête du projet de développement. D’ailleurs plusieurs en appellent à une institution indépendante qui puisse mener cette tâche, puisqu’il s’agit d’un développement urbain industriel et agricole de grande ampleur, hors de la compétence de l’Autorité. Un spécialiste de la gouvernance territoriale qui requiert l’anonymat suggère la création d’un organisme à l’instar de celui du développement du Sinaï, en plus puissant et autonome.
Dernière ambiguïté: les partenaires étrangers avec la question épineuse du règlement des conflits par l’arbitrage international. C’est le privilège qu’offre le gouvernement égyptien à la plupart des géants internationaux opérant dans le pays. Mais Nayel Al-Shafei tempère: « Si un conflit n’est pas résolu en 30 jours, l’investisseur étranger a le droit de recourir à l’arbitrage. Or, l’Egypte a perdu dans presque toutes les affaires portées à l’arbitrage depuis 1860 ».
Dans ce cadre, Mamich souligne que l’Autorité du Canal de Suez, en coopération avec le ministère des Finances et celui de l’Investissement, est en phase d’élaboration des règlements qui seront clairement formulés pour éviter ce genre de conflits. Pour lui, il est peu probable que ces entreprises aient recours à l’arbitrage car « le cahier des charges inclut toutes les exigences en ce qui concerne le projet ».
Source : Ahram Hebdo