Lugubre coïncidence. Peu après la publication du roman historique d’Aloys Misago Descente aux enfers (1), le 3 septembre dernier, un communiqué de presse diffusé par l’état-major des Forces nationales de libération (FNL), qui avaient déposé les armes en 2009, a annoncé la reprise de la guerre. Au lendemain d’une attaque à la roquette, contre une position de l’armée près de l’aéroport de Bujumbura.
La déclaration n’a surpris qu’à moitié les Burundais. La situation sécuritaire ne cesse de se dégrader depuis les municipales de juin 2010, dénoncées par l’opposition, à commencer par le chef des FNL, Agathon Rwasa, qui a quitté le pays. Le communiqué justifie la reprise des combats par son refus de la « politique d’extermination des membres des FNL », dont plusieurs centaines de membres – selon Human Rights Watch – ont été tués par les forces de sécurité depuis les élections de 2010. Le Conseil de sécurité de l’Onu désigne comme responsables des membres de la police, de l’armée, des services secrets ou de la Ligue des jeunes du Conseil national pour la défense de démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti du président Pierre Nkurunziza, lui aussi à dominante hutu. Selon Pierre Claver Mbonimpa, président de l’Association pour la protection des personnes détenues et des droits humains (Aprodeh), les victimes sont jetées dans des cachots de police avant d’être amenées dans des forêts où elles sont torturées. Des cadavres ont été retrouvés démembrés et jetés dans des rivières.
La confusion a régné quelques jours quant à l’authenticité de la revendication, car la déclaration n’est pas signée par le chef des FNL, Agathon Rwasa, mais par le général Aloys Nzabampema, ancien commandant de la zone Ouest au sein de la rébellion avant la fin de la guerre. Nzabampema appelle le peuple burundais à la résistance et demande à la communauté internationale de sortir de son silence quand des militants des FNL sont massacrés comme « des bêtes sauvages ». Il dénonce aussi le harcèlement des opposants, ainsi que l’emprisonnement des journalistes et des membres de la société civile. Enfin, le général dénonce la corruption et les malversations économiques commises par la « clique » du président Nkurunziza, ainsi que la fraude électorale de 2010.
Ces critiques rejoignent celle des neuf partis d’opposition qui ont formé avec les FNL la coalition Alliance des démocrates pour le changement-Ikibiri (ADC-Ikibiri). Néanmoins, le porte-parole des FNL, Aimé Magera, a pris ses distances avec le général rebelle, évoquant une « manipulation » des autorités. Dans le passé, celles-ci ont en effet déjà suscité une scission chez les FNL. Mais, cette fois, les observateurs sont sceptiques, car les autorités nient le caractère politique de l’insécurité attribuée aux « bandits armés ».
Plusieurs responsables de la coalition ADC-Ikibiri ont condamné la déclaration du général. Ces réactions s’expliquent par la crainte qu’elle n’entraîne des représailles contre les militants de la coalition, y compris ceux des FNL. Selon l’Aprodeh, le Burundi compte déjà plus de 400 prisonniers politiques, dont la plupart sont des militants des FNL.
La recherche de la paix ne sera pas facile. Considérées dès leur création comme la branche armée du Parti pour la libération du peuple hutu fondé en 1980, les FNL sont aujourd’hui divisées en plusieurs factions. On estime leur nombre à un millier d’éléments, en partie déployés au Sud-Kivu.
Le Burundi est en train de replonger dans la guerre civile. L’ambassade de France recommande d’éviter les lieux publics comme les gares routières, les marchés et les bars, cibles potentielles d’attentats. Hors de Bujumbura, après 18 heures, les routes ne sont plus contrôlées par les forces de l’ordre et toutes les provinces connaissent « des problèmes récurrents de banditisme ». Les agents de l’Onu sollicitent des escortes armées pour sortir de Bujumbura.
Pour cet ex-compagnon de route du CNDD-FDD qui préfère garder l’anonymat, le pire est à venir. Le système ne souffre aucune critique et réagit avec une grande brutalité qui engendre elle-même la violence. « Malheureusement, l’opposition ne milite que pour remplacer ceux qui sont au pouvoir. Seule la société civile est active et responsable. Mais combien de temps tiendra-t-elle ? », demande-t-il. L’assassinat le 9 avril 2009 du vice-président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques, Ernest Manirumva, dont les commanditaires présumés seraient dans la Sûreté et la police, a refroidi les vocations.
(1) AML Éditions ISBN-10 2-87168-065-5 Bruxelles mai 2012.