Peu de gens savent qu’après Boeing et Airbus, le troisième plus gros constructeur d’avions est brésilien. Embraer domine le marché des courts courriers tout en multipliant la gamme des petits avions civils et des appareils militaires. Un marché en pleine croissance. À l’instar d’Embraer, l’entreprise Petrobras se situe au niveau des grands conglomérats du pétrole et de la pétrochimie. Son importance a crû avec la découverte de vastes réserves sous-marines au large des côtes du pays. Tenues secrètes, ces informations avaient fait l’objet il y a cinq ans d’espionnage industriel de la part de concurrents américains. Dans ces deux cas, comme dans celui de l’agriculture, privilégiée dans de nombreux secteurs (café, cacao, soja, canne à sucre, élevage, etc.), la position du Brésil est enviable. Ce n’est là que la partie émergée d’une réussite discrète, mais indiscutable. Elle se fonde sur plusieurs facteurs dont la convergence – maintenue au fil des ans par les pouvoirs politiques successifs – a permis de bâtir une nation forte et unie, en dépit de ses diversités, mais aussi grâce à elles.
Étalé sur près de la moitié du continent sud-américain, le Brésil occupe une bonne partie de ses terres les plus riches et les mieux exploitables (voir encadré « Un bloc homogène ») ; en particulier la majeure partie du bassin de l’Amazone, la totalité de ceux du São Francisco, du Tocantins et du Parnaíba et une partie significative de celui du Paraná. Irrigué de la sorte par d’abondants fleuves, sans compter les nombreuses rivières, le pays ne manque pas d’eau dans son ensemble. Cependant, des problèmes se posent dans certaines régions. Les sécheresses cycliques dans le Sertao, au nord-est (Nordeste), et la déforestation abusive dans certaines parties du Cerrado (savane du centre-est) et de l’Amazonie sonnent l’alerte. Pour remédier à cette aridité, naturelle ou provoquée par la surexploitation, des projets existent, dont le détournement d’une partie du São Francisco vers le Nordeste et la gestion raisonnée du couvert forestier, incluant des campagnes de reboisement.
Fortune agricole
Quoi qu’il en soit, l’immensité du territoire, encore largement inexploité, a permis jusqu’ici d’aller de l’avant, en abandonnant au besoin des terres usées pour en conquérir de nouvelles sur la savane ou la forêt. La nation brésilienne dispose encore de longues années devant elle avant que ne s’épuisent ses capacités de croissance agricole et que son territoire ne soit pleinement investi. Aussi les campagnes internationales déclenchées pour « sauver l’Amazonie » comportent-elles, en dépit de leur part de vérité, une indiscutable volonté de freiner un concurrent en pleine croissance.
À cette considérable fortune agricole, il faut ajouter d’indéniables et prometteuses richesses minérales, qui ne sont pas encore toutes mises en valeur. Le nom même de l’un des États les plus riches de la fédération – Minas Gerais (Mines générales) – et son développement restent liés à la découverte et l’extraction de l’or, des pierres précieuses et des diamants, dès le xviiie siècle. Les besoins d’une population en pleine croissance stimulaient déjà la conquête de nouvelles terres. L’attrait du gain et la volonté d’échapper à des conditions de vie difficiles ont été et demeurent parmi les plus importants moteurs de massives migrations internes. La quête de l’or puis celle des pâturages ont attiré les migrants vers le Mato Grosso, tandis que la fièvre du caoutchouc a suscité les premières implantations de masse au cœur de l’Amazonie, en particulier à Manaus.
C’est ainsi qu’arrivent les premières vagues de peuplement dans des régions centrales, jusqu’alors laissées aux seuls Amérindiens. Un déferlement qui s’effectue habituellement au détriment des autochtones. Après la ruée, puis une mise en valeur hâtive, vient le reflux, la reprise en main par l’État, les tentatives de normalisation et l’introduction de nouvelles activités rentables. C’est ainsi que Manaus, qui s’était endormie un bon demi-siècle, après la période de flambée du caoutchouc, s’est reconvertie récemment à l’électronique et à l’électroménager, devenant le troisième pôle industriel du pays après São Paolo et Rio de Janeiro. La manifestation la plus éclatante de cette volonté de s’implanter à l’intérieur des terres a été la décision de créer de toutes pièces, en 1960, la nouvelle capitale de Brasilia, à plus de mille kilomètres des côtes, en lieu et place de Rio de Janeiro.
Un peuple dynamique
Ce front de marche est toujours ouvert. À la base se trouvent les Brésiliens. Peuple actif, dynamique, doué d’une propension à bouger pour suivre les opportunités qui se présentent. Sa diversité même constitue l’un des facteurs principaux de la réussite du pays. À partir de migrants venus du Portugal dès le xvie siècle et de millions de Noirs amenés d’Afrique par la traite pour la culture de la canne à sucre ou du café, s’était constitué, avec les Amérindiens, un premier noyau multi-ethnique porté au métissage. État multiracial par excellence (voir encadré « Une société multicolore »), le Brésil a ensuite intégré des migrants venus d’horizons culturels très divers, apportant leur savoir-faire particulier, leur art de vivre et contribuant, par leurs relations avec leur pays d’origine, à développer l’influence brésilienne. Aujourd’hui, les Afro-Brésiliens représentent les intermédiaires idéaux pour renforcer les relations avec les États d’Afrique, en particulier lusophones (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, Cap-Vert, et São Tomé et Principe). Tout comme les Syro-Libanais, très nombreux à São Paolo, autorisent des ouvertures vers le Proche-Orient, tandis que les Allemands, Italiens et Japonais constituent des courroies de transmission commodes vers la terre de leurs pères.
Débordements multiformes
Cependant, certains facteurs ont produit des effets explosifs : le déracinement forcé des Africains, qui a marqué leur conscience ; le brassage incessant de populations traversant en tous sens ce sous-continent ; la liberté accompagnée de quasi-impunité qui caractérise les implantations sauvages en brousse ou en forêt, et la surpopulation de certaines zones urbaines, ajoutées aux inégalités sociales parfois criantes, qui accolent quartiers riches et bidonvilles mal desservis (les favelas). Une violence endémique et difficile à réduire est susceptible de surgir dans l’environnement quotidien des Brésiliens. Elle se traduit par près de 50 000 homicides par an, des organisations criminelles et des gangs de rue qui étendent leurs tentacules sur les quartiers pauvres et jusqu’à l’intérieur des prisons. Dans les régions rurales, le vol des terres aux Indiens ou aux petits propriétaires se réalise parfois par la liquidation des ayants droit. La police a de la difficulté à réduire ces phénomènes à plusieurs visages. Parfois, en désespoir de cause, certains policiers se sont approprié le même type de comportement pour tenter de l’éradiquer, allant jusqu’à massacrer les enfants des rues sous prétexte de supprimer ce grave problème de société. Les autorités municipales des grandes cités, la Fondation nationale de l’Indien (Funai), les divers services de police et l’État fédéral s’activent pour régler ces débordements multiformes et dangereux pour l’ordre social.
L’accession au pouvoir en 2002 du Parti du travail (PT) et de Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula, et la politique d’aide aux déshérités pratiquée par son régime ont contribué à faire baisser les tensions sociales qui frôlaient l’explosion. Pourtant, les problèmes de sécurité restent pendants. Le spectaculaire soulèvement du Premier commando de la capitale (PCC) en 2006 les a jetés à la face du monde. Ce mouvement, au sigle faussement révolutionnaire, est en réalité une organisation mafieuse contrôlant les prisons de l’État de São Paolo. Depuis, l’État fédéral a semblé vouloir attaquer ce problème de violence endémique. Reste à savoir si la présidente Dilma Roussef, élue le 31 octobre 2010, parviendra à juguler une telle culture, souvent intégrée dans les mœurs. Un coup d’œil sur l’histoire du Brésil depuis deux siècles laisse optimiste quand on découvre les nombreuses crises et menaces surmontées depuis.
Alors que le xixe siècle vit l’empire colonial espagnol en Amérique se décomposer en États indépendants et rivaux, les circonstances maintinrent le bloc hérité du Portugal inentamé, et même grandi. L’invasion du Portugal par Napoléon Ier en 1807 avait poussé son souverain, Jean VI, à fuir et s’établir avec sa cour dans la riche colonie du Brésil. Dès lors, le statut de la colonie changea, se transformant rapidement en empire, avec toutes les prérogatives d’un État souverain. De retour à Lisbonne en 1821, Jean VI laissa à son fils Pierre le gouvernement du Brésil. Celui-ci s’en proclama empereur en 1822 et le détacha du Portugal. En 1831, Pierre Ier abdiquait en faveur de son fils mineur, Pierre II (1831-1889). Le règne de ces deux souverains marquera significativement le destin du Brésil. Acquis l’un et l’autre aux idées libérales, mais décidés à conserver l’unité de leur empire, ces monarques empêcheront plusieurs tentatives de détachement des provinces, en particulier le Nordeste, et contribueront à centraliser la gestion du pays. Par ailleurs leurs idées progressistes les pousseront à moderniser la société et à imposer des réformes refusées par les élites conservatrices. C’est d’ailleurs l’abolition de l’esclavage, proposée plusieurs fois par Pierre II et finalement imposée en 1888, qui conduira l’armée à déposer le souverain et à instaurer la république.
Depuis l’histoire du Brésil oscille entre tentatives de retour en arrière (República Velha 1889-1930), parfois encadrées par des militaires (dictature de 1964 à 1985), et réformes instaurées par des pouvoirs progressistes, tandis que sporadiquement éclataient des révoltes (soulèvement communiste de 1935). Cependant les principes de la souveraineté de l’État, de l’inviolabilité du territoire et du maintien de son unité sont acquis, de sorte que les tentatives ultérieures de sécession ont chaque fois tourné court (Rio Grande do Sul 1893-1895, Mato Grosso 1901-1917). Cette stabilité d’ensemble a favorisé le développement économique du pays et en particulier son industrialisation.
Montée en puissance
Dans un premier temps, les puissances européennes – d’abord le Portugal, puis la Grande-Bretagne au xixe siècle, et les États-Unis au xxe siècle – cherchèrent à freiner le développement industriel. Leur volonté d’exporter leurs propres productions et de contrôler les leviers de l’économie brésilienne y mit un premier obstacle. Mais les deux conflits mondiaux bloquèrent l’arrivée des produits manufacturés outre-mer, détachèrent le pays de ses fournisseurs habituels et fragilisèrent le contrôle que ceux-ci exerçaient à travers leurs investissements sur place. Ce fut bénéfique pour l’industrie et le capital brésiliens qui se développèrent et prirent progressivement le contrôle des intérêts étrangers. Depuis, la tendance s’est accentuée. Le fer, le charbon et bien sûr le pétrole ont été à la base de cette montée en puissance. La croissance du marché intérieur a permis de soutenir la diversification des productions et assure désormais l’essentiel des besoins nationaux. De la construction mécanique (voitures, trains, navires, etc.) à l’électronique, en passant par la chimie, l’agroalimentaire et les produits de consommation courante, une économie autosuffisante et concurrentielle existe.
Car le Brésil mène désormais une politique de grande puissance s’élargissant selon trois cercles concentriques. Avec ses voisins immédiats d’Amérique du Sud, il engage à la fois des relations bilatérales et multilatérales. Il réalise ainsi des projets en duo, dont le colossal barrage d’Itaipu, sur le Paraná, avec le Paraguay (comparable à celui des Trois-Gorges en Chine), l’importation massive de gaz bolivien, essentiel pour ses industries, et la signature en 2006 d’un accord avec l’Argentine pour protéger les secteurs de production menacés par une compétition trop dure. Au niveau multilatéral, la constitution du Mercosul, avec l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay, et plus récemment le Venezuela, donne une position dominante à Brasilia dans un ensemble qui tente une intégration régionale du type de celle de l’Union européenne.
Dans un second cercle, Le Brésil s’attache à agréger l’univers lusitanien, c’est-à-dire le Portugal et ses anciennes colonies africaines (déjà évoquées) et asiatiques : Goa, Diu, Damao (dans la défunte Inde portugaise), le Timor oriental et Macao. Brasilia aspire ainsi à élargir son influence commerciale et politique dans le Vieux Monde. Depuis quelques années sa participation au Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), groupement au départ informel qui se positionne comme un contre-pouvoir à l’échelle mondiale, donne à son action une ampleur planétaire. Le Brésil aimerait bien le couronner par un siège au Conseil de sécurité de l’Onu.