Il ne mâchait pas ses mots, Philip Ngole Ngwese, ministre camerounais des Forêts et de la Faune. C’était en mars dernier, et ce haut responsable venait de suspendre le permis d’exploitation de vingt-sept sociétés pour non-respect de la législation. Une décision qui visait à remettre un peu d’ordre dans une activité toujours aussi opaque. Entre 1990 et 2005, rappelait au passage le ministre, « la couverture forestière du Cameroun a chuté de plus de 13 %. Avec des conséquences sur le changement climatique dont sont principalement victimes les pays en voie de développement, mais aussi, outre la perte de biodiversité, un grave préjudice aux populations locales ». Ce que soulignait encore son directeur des Forêts, Samuel Ebia Ndongo : « L’exploitation illégale crée des conflits pour les ressources, fragilise les communautés locales et indigènes, participe à la corruption et aux conflits armés, et contribue à la perte de revenus pour l’État et les populations locales. » En quelques mots était énoncée l’ampleur du problème pour les pays du bassin du Congo confrontés, à des degrés différents, aux mêmes situations.
Le dilemme est cruel quand on sait ce que la filière bois peut représenter. Jusqu’à 6 % du PIB de certains pays, comme le Cameroun, ou être le deuxième pourvoyeur d’emplois, à l’image de la Centrafrique. D’ailleurs, la crise financière l’a largement démontré. Pour une chute de 37 % des exportations de grumes, 26 % des sciages et 30 % des sciages rabotés en République démocratique du Congo (RDC), on a enregistré une perte de 3 500 emplois, ou un chômage technique de 1 000 autres au Cameroun. Toute la question est donc posée. Préserver l’environnement, certes, mais ne pas aggraver l’appauvrissement des populations.
Contre cette exploitation frauduleuse, les angles d’attaque sont variés. On peut évidemment parler des accords de partenariat avec des pays consommateurs de bois exotiques. C’est le cas avec ceux de l’Union européenne (UE) qui a mis en place depuis 2003 un processus de contrôle de la provenance des essences (Flegt). Si l’UE exige désormais que les bois importés soient d’origine certifiée, elle attribue également des fonds pour aider les États et les populations à effectuer cette démarche. En 2010, un accord a été signé entre l’Europe et le Congo-Brazzaville. Quelque 4,5 milliards de francs CFA ont été alloués pour une meilleure gestion de l’espace forestier. Sur le même principe, 262 millions de francs CFA devaient être attribués pour un meilleur accompagnement des populations. Au niveau du Bassin lui-même, des accords ont également été signés entre plusieurs États. C’était le cas du Cameroun, du Gabon et de la Centrafrique, concernant les 14,6 millions d’hectares communs.
À une échelle nationale, on peut évoquer la décision gabonaise d’interdire l’exportation du bois brut et des grumes et d’entreprendre leur transformation sur son territoire. Outre le fait que la filière est ainsi mieux maîtrisée, la zone économique spéciale (ZES) de Nkok, créée en partenariat avec les Singapouriens d’Olam, fournira quelque 9 000 emplois directs et indirects. Protection forestière et dynamisation économique.
Autre signe intéressant : la préservation de l’espace forestier n’incombe plus aux seuls États. Ceux-ci ont introduit une approche plus participative des ONG et des populations locales. Au Cameroun, le droit de ces dernières est reconnu, et les premières forêts communautaires ont été délimitées. Seul écueil : le manque de moyens des habitants, et le fait qu’ils confient souvent la gestion de l’espace à des opérateurs économiques, étrangers ou nationaux. Avec les conséquences que l’on suppose. Les intérêts ne sont pas tout à fait les mêmes.
Des réflexions diverses ont donc vu le jour, ainsi que la prise de conscience de tous les acteurs – gouvernementaux, non gouvernementaux, populations – et leur volonté de « faire le ménage ». Au Cameroun, beaucoup mettent en cause le rouage administratif. Directeur du Centre mondial agroforestier pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest, Zacherie Tchoundjeu l’a clairement déclaré : « La décision du gouvernement de sanctionner l’exploitation illégale des forêts est une étape louable pour renforcer la gouvernance dans un secteur qui a été assailli par la corruption, corruption ayant mis en échec les efforts initiaux pour infléchir la déforestation. »
Même chose en RDC où, malgré les moratoires et les permis d’exploitation précis, on continue de contourner la loi. En mai 2012, Juvin Akiak, responsable pour Greenpeace Afrique, prenait l’exemple de Bolobo et Oshwe, deux territoires de la province du Bandundu. « Ici les permis d’exploitation artisanale sont délivrés à des personnes morales étrangères et non aux Congolais, comme le prévoit la loi en la matière […]. » Sous couvert de coupe « artisanale », ces sociétés conduisent des exploitations industrielles. Petit détail succulent, les permis, en totale contradiction avec la législation et les arrêtés ministériels, ont été délivrés par… le ministère national de l’Environnement, Conservatoire de la nature et Tourisme à Kinshasa. La forêt africaine mérite mieux. Et elle le prouve. Mais certains continuent à traîner la semelle et la tronçonneuse.