Assad envisage un nouveau mandat, fustige l’opposition et ses soutiens.
Le président syrien Bachar al-Assad a annoncé dans une interview exclusive à l’AFP qu’il y avait de « fortes chances » qu’il brigue un nouveau mandat et exclu de confier un futur gouvernement à un opposant, à deux jours de la conférence de Genève II.
Dans cet entretien réalisé dimanche au palais du Peuple à Damas, M. Assad a souligné que sa guerre contre la rébellion serait de longue durée mais a averti que « si la Syrie perd la bataille, le chaos s’étendra à tout le Moyen-Orient ».
La conférence internationale sur la Syrie, qui doit réunir pour la première fois autour d’une même table pouvoir et opposition, s’ouvre mercredi à Montreux en Suisse et est censée trouver une issue politique au conflit qui a fait plus de 130 000 morts depuis mars 2011.
« Je considère que rien n’empêche que je me porte candidat (…) et si l’opinion le souhaite, je n’hésiterai pas une seconde à le faire. Bref, on peut dire qu’il y a de fortes chances que je me porte candidat », a dit M. Assad, alors que l’opposition exige qu’il soit écarté de toute transition politique.
Dans le palais somptueux perché sur une colline dominant la capitale, M. Assad, vêtu d’un costume bleu marine, est apparu souriant et décontracté. Il a confié qu’il ne vivait ni ne travaillait dans ce palais, trop vaste, préférant son bureau et son appartement en ville.
Âgé de 48 ans, M. Assad est arrivé au pouvoir après le décès de son père Hafez al-Assad qui avait dirigé le pays pendant près de 30 ans. Élu par un référendum en juillet 2000, il a été reconduit à la tête du pays en 2007 pour un nouveau mandat de sept ans. Le prochain scrutin est prévu en juin 2014.
Interrogé sur l’opposition qui a finalement accepté de participer à Genève II mais avec unique objectif de se débarrasser de lui, il lui a dénié toute représentativité, estimant qu’elle était « fabriquée » par les renseignements étrangers.
« Tout le monde sait maintenant que quelques-unes des parties (de l’opposition) sont apparues durant la crise à travers des services de renseignements étrangers, que ce soit au Qatar, en Arabie saoudite, en France, aux États-Unis ou dans d’autres pays. Lorsque je m’assois avec ces gens-là, cela veut dire que je négocie avec ces pays », a-t-il dit.
Pour lui, la présence de l’opposition dans un futur gouvernement signifierait « que ces États participent au gouvernement syrien ».
Il s’est moqué des dirigeants de l’opposition installés à l’étranger et qui prétendent « dominer 70 % de la Syrie mais n’osent pas venir dans ces 70 % soi-disant libérés ».
« Ils viennent aux frontières pour une demi-heure avant de prendre la fuite, comment peuvent-ils devenir membres du gouvernement ? Est-ce qu’un ministre peut exercer ses fonctions de l’extérieur ? De telles idées sont totalement irréalistes, on peut les considérer comme une plaisanterie », selon lui.
« Pas de victoire imminente »
M. Assad a souligné que son armée avait réalisé « des progrès dans la lutte antiterroriste, mais cela ne signifie pas que la victoire est imminente. Ce genre de bataille est compliqué, elle n’est pas facile et demande beaucoup de temps ».
Mais, « quand on défend son pays, on n’a qu’une seule alternative, c’est celle de gagner », a insisté le président qui n’a jamais reconnu l’existence d’une contestation contre son régime.
Débuté par une contestation pacifique, le conflit en Syrie s’est militarisé face à la répression mettant aux prises régime et rebelles. Il est devenu plus complexe avec des combats opposant rebelles et jihadistes, auparavant alliés dans le combat face au régime.
« Il ne s’agit pas d’une révolte populaire contre un régime qui opprime son peuple, ni d’une révolution en vue de la démocratie et de la liberté, comme les médias occidentaux ont voulu présenter les choses », a-t-il dit. « Une révolution populaire ne saurait durer trois ans puis échouer, une révolution ne saurait répondre à des agendas extérieurs ».
M. Assad a rejeté toute distinction entre rebelles et djihadistes : « Nous sommes face à une seule partie, à savoir les organisations terroristes extrémistes indépendamment des appellations dans les médias occidentaux ».
Pour M. Assad, la première priorité de Genève II doit être « la lutte contre le terrorisme ». « Cela serait le résultat le plus important. Tout résultat politique qui ne comprendrait pas la lutte contre le terrorisme n’aura aucune valeur ».
La conférence de Genève II cherche à appliquer un accord conclu à Genève en 2012, prévoyant un gouvernement de transition doté de pleins pouvoirs mais ne mentionnant pas le sort de M. Assad. Elle a été initiée par Washington, soutien de l’opposition, et Moscou, allié indéfectible du régime.
« Il n’y a pas de guerre propre »
M. Assad a mis l’accent sur l’importance des accords de cessez-le-feu « localisés » entre armée et rebelles intervenus ces dernières semaines dans des localités de la région de Damas. « Ces initiatives pourraient être plus importantes que Genève II (…), ces réconciliations permettent de limiter l’effusion de sang ».
Malgré la guerre qui ravage son pays, M. Assad, qui vit à Damas avec sa femme et ses trois enfants, n’a jamais pensé à l’exil.
« Fuir n’est pas une option dans ces cas-là. Je dois être aux premiers rangs des défenseurs de la patrie. C’était le seul scénario depuis le premier jour de la crise », a martelé le président.
Il a soutenu que son camp n’avait commis « aucun massacre » depuis le début de la guerre accusant les rebelles d’en commettre « partout ».
« L’État syrien défend toujours les civils. Les séquences vidéos et les photos confirment que ce sont les terroristes qui commettent des massacres. Il n’y a aucun document qui prouve que le gouvernement syrien en a commis depuis le début de la crise jusqu’à l’heure actuelle », a-t-il assuré.
L’ONU et des organisations internationales ont accusé aussi bien les soldats que les rebelles d’avoir commis des atrocités.
M. Assad a affirmé que « l’armée ne bombarde pas des régions mais frappe les endroits où se trouvent les terroristes », tout en admettant qu’il pouvait y avoir des victimes civiles.
« Malheureusement cela arrive dans toutes les guerres, il n’y a pas de guerre propre, qui ne fasse pas de victimes innocentes ».
« Pourquoi y a-t-il des gens aussi méchants » ?
Il a en outre justifié le combat du Hezbollah libanais aux côtés de son armée, estimant qu’il ne serait intervenu s’il n’y avait pas, en face, « des combattants de plusieurs dizaines de nationalités qui (l’ont) attaqué, notamment à la frontière syrienne ».
M. Assad a néanmoins souligné que « le départ de tous les (combattants) non Syriens est un des éléments de la solution en Syrie ».
Le président syrien a en outre révélé avoir opposé une fin de non-recevoir à des services de renseignements occidentaux qui souhaitaient établir des canaux de communication avec Damas en matière de lutte antiterroriste.
« Plusieurs rencontres ont eu lieu avec plus d’un service de renseignement de plus d’un pays. Notre réponse a été que la collaboration dans le domaine de la sécurité est indissociablement liée à la collaboration politique et celle-ci ne peut avoir lieu lorsque ces pays adoptent des positions politiques hostiles à la Syrie », a-t-il dit.
M. Assad a accusé la France, qui soutient la rébellion, d’être devenue un pays « vassal » du Qatar et de l’Arabie Saoudite en échange des « pétrodollars ».
L’entretien a duré 45 minutes dans la bibliothèque du palais du peuple. Les trois premières questions-réponses ont été filmées par les services de la présidence et le photographe de l’AFP a été autorisé à prendre des photos durant l’interview.
Interrogé sur ce qui a changé dans sa vie quotidienne, il a répondu : « Nous vivons chez nous comme auparavant ». Selon lui, ses enfants, comme tous les petits Syriens, posent des questions comme « Pourquoi y a-t-il des gens aussi méchants ? », « pourquoi y a-t-il des morts ? » Ce n’est pas facile d’expliquer de telles choses aux enfants ».
Voici le texte intégral de l’interview du président Bachar al-Assad avec l’Agence France Presse.
AFP : Monsieur le Président, l’Agence France Presse vous remercie infiniment pour cet entretien, certainement très important puisqu’il intervient avant la conférence de Genève. Qu’attendez-vous de cette conférence ?
Bachar al-Assad : La chose évidente dont nous parlons constamment est que la Conférence de Genève doit aboutir à des résultats clairs concernant la lutte contre le terrorisme en Syrie, et l’envoi de terroristes, ainsi que d’argent et d’armes aux organisations terroristes, notamment par l’Arabie Saoudite et la Turquie, et bien entendu par les pays occidentaux qui assurent la couverture politique à ces organisations terroristes. Telle serait la décision ou le résultat le plus important de la Conférence de Genève. Tout autre résultat politique auquel sans la lutte contre le terrorisme n’aura aucune valeur. Il n’est pas possible d’avoir une action politique avec un terrorisme qui se propage partout, non seulement en Syrie, mais dans les pays voisins. Sur le plan politique, la Conférence pourrait être un catalyseur du processus du dialogue entre les Syriens eux-mêmes. Il faut qu’il y ait une action syrienne qui se produise à l’intérieur de la Syrie, et Genève pourrait être un catalyseur mais non une alternative à une action politique qui se produise entre les Syriens eux-mêmes et à l’intérieur de la Syrie.
Après trois ans d’une guerre destructive en Syrie et le grand défi de la reconstruction du pays, serait-il possible que ne soyez pas candidat aux prochaines élections présidentielles ?
Cela dépend de deux choses : ma propre volonté ou ma décision personnelle, et l’opinion publique en Syrie. En ce qui me concerne, je considère que rien n’empêche que je me porte candidat. Quant à l’opinion publique en Syrie, il nous reste encore 4 mois environ avant l’annonce des dates des élections. D’ici là, s’il y a une volonté populaire, si l’opinion souhaite que je me porte candidat, je n’hésiterai pas une seconde à le faire. Bref, on peut dire qu’il y a de fortes chances pour que je me porte candidat.
Avez-vous pensé, même pour un instant durant ces dernières années, que vous allez perdre la bataille ? Avez-vous pensé à un scénario alternatif pour vous-même et pour votre famille ?
Dans toute bataille, les possibilités de gain et de perte sont toujours présentes, mais quand on défend son pays, on n’a qu’une seule alternative, c’est celle de gagner. Car si la Syrie perd la bataille, cela signifiera le chaos pour tout le Moyen-Orient. Il ne s’agit pas seulement de la Syrie. Il ne s’agit pas d’une révolte populaire contre un régime qui opprime son peuple, ni d’une révolution en vue de la démocratie et de la liberté, comme les médias occidentaux voulaient présenter les choses. Tous ces mensonges sont désormais clairs pour tout le monde. Une révolution populaire ne saurait durer 3 ans puis échouer. Une révolution ne saurait répondre à des agendas extérieurs. Quant aux scénarios que j’ai établis, dans ce genre de bataille il y en a évidemment plusieurs et cela peut aller d’un seul scénario jusqu’à dix. Mais tous ces scénarios consistent à défendre la patrie et non à fuir. Fuir n’est pas un choix dans ce cas-là. Je dois être au premier rang des défenseurs de la patrie. C’étaient les seuls scénarios dès le premier jour de la crise et jusqu’à l’heure actuelle.
Monsieur le Président, pensez-vous avoir gagné la guerre ?
Cette guerre n’est pas la mienne pour que je la gagne. C’est notre guerre à tous, Syriens. Je pense qu’il y avait deux étapes dans cette guerre : ce qui a été planifié au début, à savoir renverse l’État syrien en quelques semaines ou quelques mois ; et maintenant, au bout de trois ans, nous pouvons dire que cette étape a été vouée à l’échec, c’est-à-dire que le peuple syrien a gagné cette étape à travers laquelle certains pays voulaient faire effondrer l’État pour aboutir à la division de la Syrie en petits mini-états. Cette étape a donc certainement échoué et le peuple syrien l’a emporté. Mais il y a une autre étape de la bataille, à savoir la lutte antiterroriste, que nous vivons quotidiennement. Elle est donc toujours en cours, et nous ne pouvons pas parler de victoire dans cette étape sans éradiquer définitivement les terroristes. Nous pouvons dire que nous réalisons un progrès dans ce sens. Nous allons tout droit vers notre but, mais cela ne signifie pas que la victoire est imminente. Ce genre de bataille est compliqué. Il n’est pas facile et demande beaucoup de temps. Mais j’affirme et je répète que nous réalisons un progrès, sans pouvoir dire à présent que nous avons emporté la victoire.
De retour à Genève, seriez-vous favorable à un appel lancé par la conférence pour que tous les combattants étrangers quittent la Syrie, y compris ceux de Hezbollah ?
Il va de soi que la défense de la Syrie est une mission qui incombe aux Syriens eux-mêmes, à leurs institutions, notamment à l’armée syrienne. Aucun combattant non syrien ne serait entré, s’il n’y avait pas des combattants de plusieurs dizaines de nationalités venus de l’extérieur et qui ont attaqué le Hezbollah et des civils au Liban, notamment sur les frontières syriennes. Lorsque nous parlons du départ des combattants, il faut absolument que cela soit une partie d’un ensemble visant à ce que tous les combattants sortent et qu’ils remettent leurs armes à l’État syrien, y compris les Syriens. Il faudrait par conséquent établir la stabilité. Ma réponse évidente serait : oui, je ne dirai pas que le départ de toute personne non syrienne est un objectif, mais c’est un des éléments de la solution en Syrie.
Concernant l’échange des détenus et le cessez-le-feu à Alep, quelles sont les initiatives que vous êtes disposé à présenter à Genève 2 ?
L’initiative syrienne a été lancée il y a juste un an, en janvier de l’année dernière. Il s’agit d’une initiative intégrée avec un côté politique et un côté sécuritaire, ainsi que tous les points qui aboutissent à la stabilité. Tous ces détails font partie de l’initiative déjà lancée par la Syrie. Mais toute initiative, qu’elle soit celle-ci ou une autre, doit absolument être le résultat d’un dialogue entre les Syriens eux-mêmes. Tout ce que nous proposons nécessite au fond l’aval des Syriens, à commencer par la question du règlement de la crise et de la lutte antiterroriste, et à terminer par la vision des Syriens de l’avenir politique de la Syrie et du système politique en Syrie. Aussi, notre initiative était un processus facilitateur de ce dialogue et non un point de vue du gouvernement syrien. Notre point de vue était toujours que toute initiative devait être collective et émaner de toutes les forces politiques en Syrie, et du peuple syrien en général.
L’opposition qui participera à Genève est divisée. Plusieurs factions sur le terrain estiment qu’elle ne les représente pas. Si les deux parties parviennent à un accord, comment pourrait-on l’appliquer sur le terrain ?
C’est justement la question que nous posons en tant que gouvernement. Lorsque je négocie, avec qui je le fais ! ? À Genève, il devrait y avoir plusieurs parties. Nous ne savons pas qui viendra encore. Il devrait y avoir plusieurs parties, dont le gouvernement syrien. Tout le monde sait maintenant que quelques-unes des parties avec qui on pourrait négocier étaient inexistantes, et qu’elles sont apparues durant la crise à travers des services de renseignement étrangers, que ce soit au Qatar, en Arabie Saoudite, en France, aux États-Unis ou dans d’autres pays. Lorsque je m’assois avec ces gens-là, cela veut dire que je négocie avec ces pays. Est-il logique que la France fasse partie de la solution en Syrie, ou encore le Qatar, les États-Unis, l’Arabie Saoudite ou la Turquie par exemple ? C’est insensé. Lorsque nous négocions avec ces forces, nous négocions avec les pays qui les appuient et qui soutiennent le terrorisme en Syrie. Mais il existe en Syrie d’autres forces de l’opposition avec un agenda national. On peut négocier avec elles, comme je viens de le dire, sur la vision de l’avenir de la Syrie. Elles peuvent contribuer avec nous à gérer l’État syrien, au sein du gouvernement et dans les diverses institutions. Mais tout accord avec toute partie, que ce soit à Genève ou en Syrie, doit absolument obtenir l’aval du peuple, et ce à travers un référendum général auquel participent les citoyens syriens.
Dans ce cadre, est-ce que les accords de cessez-le-feu entamés à Barza et à Mouaddamieh peuvent être une alternative à Genève ?
En effet, cette initiative pourrait être plus importante que Genève. C’est vrai. Car la plupart des forces rebelles qui perpètrent des actes terroristes n’ont aucun agenda politique. Certaines d’entre elles sont des bandes de voleurs, d’autres – comme vous le savez – sont des organisations takfiristes qui visent à établir des émirats islamistes extrémistes, ou quelque chose de la sorte. Toutes ces forces ne sont nullement concernées par Genève. C’est pourquoi, travailler de près avec ces forces, et ce qui a été réalisé à Mouaddamiyeh, à Barza et dans d’autres régions de la Syrie s’est prouvé utile dans ces mêmes régions. Mais c’est différent du volet politique qui concerne l’avenir politique de la Syrie. Ces réconciliations permettent de rétablir la stabilité et d’atténuer l’effusion du sang en Syrie. Mais c’est le début du dialogue politique que je viens d’évoquer.
Monsieur le Président, êtes-vous prêt dans un futur gouvernement transitoire d’avoir un premier ministre de l’opposition ?
Cela dépend de ce que représente cette opposition. Lorsqu’elle représente une majorité, disons une majorité parlementaire par exemple, il serait normal qu’elle préside le gouvernement. Cependant, avoir un premier ministre de l’opposition qui ne dispose pas de la majorité, ce serait contraire à la logique politique dans tous les pays du monde. Dans votre pays par exemple ou dans des pays comme le Royaume-Uni, le premier ministre ne peut pas appartenir à une minorité parlementaire. Cela dépend donc des prochaines élections évoquées dans l’initiative syrienne, lesquelles détermineront le vrai volume des diverses forces de l’opposition. Quant à la participation en soi, nous sommes pour, et c’est nouveau.
Est-ce que par exemple vous êtes prêt à avoir comme premier ministre Ahmad Al-Jarba ou Mouaz El-Khatib ?
Cela nous ramène à la question précédente. Est-ce qu’ils représentent le peuple syrien, ou même une partie du peuple syrien ? Est-ce qu’ils représentent leur propre opinion, ou plutôt l’État qui les a fabriqués ? S’ils participent, cela veut dire que ces États participent au gouvernement syrien !! Et de un. Et de deux : supposons que nous acceptons que ces gens-là participent au gouvernement. Vous savez bien qu’ils n’osent pas le faire. L’année dernière, ils prétendaient dominer 70 % de la Syrie. Mais ils n’osent pas venir à ces 70 % soi-disant libérés. Ils viennent aux frontières pour une demi-heure puis prennent la fuite. Comment peuvent-ils alors devenir membres du gouvernement ? Est-ce qu’un ministre peut exercer ses fonctions de l’extérieur ? Aussi de telles idées sont totalement irréalistes. On peut les considérer comme une plaisanterie.
Vous dites que ça dépend des élections. Mais comment pouvez-vous faire des élections alors qu’une partie du pays est sous la main des rebelles ?
Durant cette crise, après le déclenchement des troubles de sécurité en Syrie, nous avons mené des élections à deux reprises : la première fois des élections municipales, et la deuxième des élections parlementaires. Évidemment les élections ne pourront pas être similaires à celles qui se déroulent dans des conditions normales. Mais les chemins sont praticables entre les différentes régions de Syrie, tout le monde peut se déplacer d’une région à une autre. Par conséquent, les personnes qui se trouvent dans les régions sous tension peuvent venir dans des régions voisines pour participer aux élections. Il y aura des difficultés certes, mais ça ne sera pas impossible. Il n’y a vraiment aucun problème à ce sujet.
Puisque les rebelles combattent à présent les djihadistes, est-ce que vous faites la distinction entre les deux ?
J’aurais pu donner une réponse au début des événements, ou avant même la crise. Mais aujourd’hui, je peux dire que la réponse à cette question est totalement différente, car il n’y a pas à présent deux groupes. Tout le monde sait qu’il y a quelques mois, les organisations terroristes extrémistes qui se trouvent en Syrie se sont emparées des derniers postes de rassemblement des forces que l’occident voulait présenter comme modérées, et qu’il appelle « forces modérées » ou « laïques », ou ce qu’on appelait « l’armée libre ». Ces forces n’existent plus. Nous sommes à présent devant une seule partie, à savoir les forces extrémistes qui sont des groupes divers. Quant aux combattants qui étaient du côté des forces dites « modérées », selon la logique occidentale, la plupart d’entre eux ont été obligés de rejoindre les organisations extrémistes, soit en les terrorisant, soit pour l’argent. Car ces organisations disposent d’énormes moyens financiers. Bref, nous combattant à présent une seule partie, à savoir les organisations terroristes extrémistes indépendamment des appellations que vous voyez dans les médias occidentaux.
Il est donc impossible que l’armée et les rebelles combattent côte à côte les djihadistes ?
Nous collaborons avec quiconque souhaite se joindre à l’armée pour combattre les terroristes. Cela a déjà eu lieu, car beaucoup de personnes armées ont quitté ces organisations et rejoint l’armée. C’est possible, mais ce sont des cas individuels, et on ne peut pas dire ici que l’armée s’est alliée avec des forces modérées contre des forces terroristes. Cette image est irréelle. Elle est illusoire. L’occident y a recours uniquement pour justifier son soutien au terrorisme en Syrie. Il veut soutenir un terrorisme déguisé en modéré pour combattre un terrorisme extrémiste. C’est illogique et complètement faux.
L’État accuse les rebelles d’utiliser les civils comme boucliers humains dans certaines régions qu’ils contrôlent. Mais ne considérez-vous pas que lorsque l’armée bombarde ces régions, elle tue des innocents ?
L’armée ne bombarde pas des régions, elle frappe les endroits où se trouvent les terroristes. En général, et dans la plupart des cas, lorsque les terroristes pénètrent une région, les civils en sortent. Sinon pourquoi nous avons des déplacés ? La plupart des déplacés en Syrie, ils comptent par million, ont quitté leurs régions lorsque les terroristes y sont entrés. Il est donc impossible qu’il y ait des civils là où il y a des groupes armés. Sinon on n’aurait pas eu tant de déplacés. L’armée combat les terroristes armés. Il y a eu des cas où les terroristes se sont servis des civils comme boucliers humains. Quant aux victimes parmi les civils, malheureusement cela arrive dans toutes les guerres. Il n’y a pas de guerres propres qui ne font pas des victimes parmi les civils. C’est dans la nature des guerres. La solution c’est donc d’arrêter la guerre. Il n’y en a pas d’autres.
Il y a des organisations internationales qui ont accusé à la fois les rebelles et l’armée d’abus. Est-ce qu’à la fin de la guerre vous accepterez une enquête sur les abus commis en Syrie ?
Selon quelle logique peut-on imaginer que l’État syrien tue son peuple, comme disent ces organisations, alors que des dizaines de pays œuvrent contre la Syrie, et que malgré tout cela l’État a résisté pendant 3 ans. C’est totalement illogique. Si vous tuez votre peuple, le peuple se soulèvera contre vous, et l’État ne pourra pas résister plus de quelques mois. Il s’effondra nécessairement par la suite. Si vous résistez durant 3 ans, c’est grâce au soutien de votre peuple.
Est-il possible que le peuple se tienne à notre côté alors que nous le tuons ? Non seulement c’est illogique, mais c’est aussi contre nature. Ce que disent ces organisations reflète leur ignorance de ce qui se passe en Syrie, ou alors, du moins pour certaines d’entre elles, il s’agit d’un discours qui sert l’agenda politique des pays qui leur demandent de parler de la sorte. Cependant, l’État syrien défend toujours les civils. Les séquences vidéo et les photos confirment que ce sont les terroristes qui commettent des massacres, et tuent partout les civils. On dispose de documents qui le confirment, alors que ces organisations ne disposent d’aucun document qui prouve que le gouvernement syrien a commis un massacre à l’encontre des civils nulle part depuis le début de la crise et jusqu’à l’heure actuelle.
Nous savons qu’il y a des journalistes étrangers qui sont aux mains des organisations rebelles ou des organisations terroristes. Est-ce qu’il y a des journalistes étrangers dans les prisons gouvernementales ?
Il vaut mieux poser la question aux organes concernés et spécialisés. Ils vous donneront la réponse.
La réconciliation est-elle possible un jour entre la Syrie d’une part, l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie de l’autre ?
La politique change toujours, mais elle change en fonction de deux choses : les principes et les intérêts. Nous ne partageons pas les mêmes principes avec ces pays. Ils soutiennent le terrorisme, et ont contribué à l’effusion du sang syrien. Quant aux intérêts, il y a une autre question à poser : le peuple syrien accepte-t-il de partager avec ces pays les mêmes intérêts, après tout ce qui s’est passé… après tout le sang qui a coulé en Syrie ? Je ne veux pas répondre à la place du peuple syrien. Si le peuple estime qu’il a des intérêts avec ces pays, et si ces derniers changent de politiques et cessent d’appuyer le terrorisme, le peuple syrien pourrait alors accepter de rétablir ses relations avec eux. Mais je ne peux pas seul, et comme président, répondre à cette question à la place de tout le peuple syrien dans les circonstances actuelles. C’est au peuple de décider.
Monsieur le Président, vous avez été accueilli en France, vous avez été reçu à l’Élysée, vous étiez représenté comme le nouvel espoir arabe. Êtes-vous surpris par la position de la France, et pensez-vous que la France un jour pourra revenir en Syrie ?
Non je ne suis ni étonné ni surpris. Car cet accueil et cette étape entre 2008 et début 2011 était une tentative d’assimiler et de dévier le rôle de la Syrie et sa politique. La France a été chargée par les États-Unis de jouer ce rôle lorsque Sarkozy est arrivé à la présidence de la république. Il y avait un accord entre la France et l’administration Bush sur ce point, étant donné que la France est un vieil ami des Arabes et de la Syrie, et le plus apte à jouer ce rôle, à cette époque on voulait utiliser la Syrie contre l’Iran et le Hezbollah et l’éloigner de l’idée de soutenir les organisations de résistance dans notre région. Cette politique française a échoué parce qu’elle était flagrante. Puis est intervenue le soi-disant printemps arabe, et la France s’est retournée contre la Syrie après avoir échoué de réaliser ses promesses aux États-Unis. Telle est la raison de l’attitude de la France à l’époque, et de son bouleversement en 2011. Quant au futur rôle de la France… parlons franchement. Au moins depuis 2001, il n’y a pas eu une politique européenne, sinon bien avant depuis les années 1990. Mais après 2001 et les attaques terroristes du 11 septembre à New York, il n’y a pas de politique européenne, il y a seulement une politique américaine en occident, et que certains pays européens exécutent. Ce fut le cas durant la dernière décennie vis-à-vis de toutes les questions concernant notre région. À présent nous constatons la même chose : les politiques européennes prennent l’autorisation des États-Unis avant d’être exécutées ; ou alors les États-Unis chargent les pays européens d’exécuter leurs politiques. Je ne pense pas que l’Europe, surtout la France qui dirigeait jadis la politique européenne, soit capable de jouer le moindre rôle en Syrie à l’avenir. Et peut-être même dans les pays voisins. Par ailleurs, les responsables occidentaux ont perdu leur crédibilité. Il s’agit de responsables qui suivent une politique non seulement de deux poids deux mesures, mais de triple et de quadruple poids… Ils ont toutes sortes de critères qui varient selon les cas. Ils ont perdu toute crédibilité, et ont renoncé aux principes contre les intérêts. Il est impossible par conséquent de construire avec eux une politique constante. Ils font aujourd’hui le contraire de ce qu’ils pourraient faire demain. Je ne pense donc pas que la France aura un rôle à jouer dans le proche avenir, à moins qu’elle ne change totalement et fondamentalement de politique, et qu’elle devienne un État indépendant dans ses prises de position, comme ce fut le cas dans le passé.
Est-ce que la Syrie sera débarrassée des armes chimiques, combien de temps faut-il pour ça ?
Cela dépend de l’aptitude de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques de procurer les équipements nécessaires à la Syrie pour le faire. D’un côté, ce processus est lent. De l’autre, le démantèlement des armes chimiques ne se fait pas en Syrie, comme vous le savez, ni par l’État syrien. Mais il y a des pays de plusieurs régions du monde qui se sont portés volontaires et qui effectueront cette opération. Certains pays acceptent de procéder au démantèlement de produits de faibles risques, d’autres refusent totalement de le faire. Le calendrier dépend donc de ces deux facteurs : le premier dépend de l’organisation, le second des pays qui accepteront de démanteler ces produits sur leurs territoires. La Syrie ne peut donc pas fixer des délais à ce sujet. Elle a accompli son devoir en préparant les données, et en accueillant les inspecteurs qui ont vérifié ces données et examiné les produits chimiques. Le reste, comme je viens de le dire, ne dépend pas de la Syrie mais d’autres pays.
Qu’est-ce qui a changé dans votre vie quotidienne pour vous et votre famille. Est-ce que vos enfants comprennent ce qui se passe ? Est-ce que vous en avez parlé en famille ?
Certaines choses n’ont pas changé : je vais au travail comme d’habitude, et nous vivons chez nous comme auparavant. Les enfants vont à l’école. Ces choses n’ont pas changé. Par ailleurs, il y a des choses qui ont atteint tout foyer syrien, y compris le nôtre. C’est la tristesse que nous vivons dans notre quotidien et au fil des heures, en raison de ce que nous voyons et constatons, à travers les souffrances, les victimes tombées partout et qui ont affligé chaque famille, la destruction des infrastructures, des intérêts et de l’économie. Tout cela nous a affectés. Il est évident que, dans des circonstances pareilles, les enfants sont plus touchés que les adultes. Il y a peut-être une maturité précoce de cette génération dont la conscience s’est développée durant la crise. Les enfants posent des questions qu’on n’entend pas dans des circonstances normales. Notamment : pourquoi voit-on de telles choses ? Pourquoi y a-t-il des gens aussi méchants ? Pourquoi y a-t-il des morts ? Il n’est pas facile d’expliquer de telles choses aux enfants. N’empêche que ce sont des questions quotidiennes, et une conversation de tous les jours entre les parents et les enfants. Nous faisons partie de ces familles qui discutent ces mêmes questions.
Quelle était la situation la plus difficile que vous avez connue durant ces années ?
Ce n’est peut-être pas nécessairement une situation mais un fait. Il y en a plusieurs qu’il était, et qu’il est toujours difficile de comprendre. D’abord, je pense que c’est le terrorisme. Le niveau de barbarie et de sauvagerie atteint par les terroristes, et qui nous rappelle des histoires racontées sur le moyen âge en Europe depuis plus de cinq siècles. À l’époque moderne, ça nous rappelle les massacres commis par les Ottomans qui ont tué un million et demi d’Arméniens et un demi-million de syriaques orthodoxes en Syrie et en Turquie. Autre chose qu’il est difficile de comprendre, c’est la superficialité que nous avons constatée chez les responsables occidentaux qui n’ont pas compris ce qui s’est passé dans la région, et qui ont par conséquent étaient incapables de voir et le présent et l’avenir. Ils voyaient toujours les choses très en retard par rapport aux événements, et étaient donc toujours dépassés par le temps. Troisièmement, on comprend mal l’influence du pétrodollar sur le changement des rôles sur la scène internationale. Par exemple, le Qatar, cet État marginal, se transforme en une grande puissance. La France se transforme en un État qui suit le Qatar et exécute sa politique ; c’est aussi ce que nous constatons entre la France et l’Arabie Saoudite. Comment le pétrodollar peut-il transformer certains responsables de l’occident, notamment en France et les porter à vendre les principes de la Révolution française et à les échanger contre quelques milliards de dollars. C’était quelques exemples, il y en a beaucoup d’autres similaires qu’il est difficile de comprendre et d’admettre.
Le procès des accusés de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafik Al Hariri a commencé. Pensez-vous qu’il sera juste ?
Nous parlons d’un tribunal qui date de 9 ans. A-t-il été juste ? Chaque fois, ils accusaient une partie pour des raisons politiques. Même durant les quelques derniers jours, nous n’avons constaté aucune preuve tangible avancée sur les parties impliquées dans cette affaire. Une autre question demeure cependant : pourquoi ce timing ? Je pense que tout ce qui se passe est en corrélation et vise à faire pression sur le Hezbollah au Liban, comme sur la Syrie dans le passé tout de suite après l’assassinat de Hariri.
Vous avez dit que la guerre prendra fin lorsque le terrorisme sera éradiqué. Mais les Syriens, tout le monde veut savoir quand est-ce que la guerre prendra fin, dans un mois, dans une année, dans quelques années ?
Nous espérons que la Conférence de Genève apportera une réponse à une partie de la question, lorsqu’elle fera pression sur ces pays. Cette partie ne dépend pas de la Syrie, sinon on aurait dès le premier jour exercé des pressions sur ces pays et on aurait empêché l’infiltration des terroristes. En ce qui nous concerne, lorsque ce terrorisme cesse de s’infiltrer, ça ne prendra plus que quelques mois.
Il semble que les services de renseignement occidentaux souhaitent rétablir les canaux de communication avec Damas et demander votre aide dans la lutte antiterroriste. Êtes-vous prêt à cela ?
Plusieurs rencontres ont eu lieu avec plus d’un service de renseignement dans plus qu’un pays. Notre réponse était que la collaboration dans le domaine de la sécurité est indissociablement liée à la collaboration politique, et celle-ci ne peut avoir lieu lorsque ces pays adoptent des positions politiques hostiles à la Syrie. Telle fut notre réponse de manière claire et précise.
Vous avez dit dans le passé que l’État avait commis quelques erreurs. Quelles sont celles qui auraient pu être évitées à votre avis ?
J’ai dit qu’il pouvait y avoir des erreurs dans toute action, mais je n’ai pas précisé quelles étaient ces erreurs. On ne peut les déterminer objectivement que lorsqu’on dépasse la crise et qu’on réévalue tout ce que nous avons traversé. Ce n’est qu’alors qu’on pourra les voir objectivement. Mais quand on est au cœur de la crise, notre évaluation sera incomplète.
Monsieur le Président, est-ce que sans l’aide de la Russie, de l’Iran et de la Chine, vous auriez pu résister à une pression aussi forte au niveau international ?
C’est une question virtuelle à laquelle on ne peut pas répondre, car on n’a pas vécu le contraire. Selon les faits actuels, l’aide russe, chinoise et iranienne était importante et a aidé à résister durant cette période. Sans cette aide, les choses auraient peut-être été beaucoup plus difficiles. Mais comment… il est difficile d’imaginer maintenant quelque chose de virtuel.
Après tout ce qui s’est passé, pouvez-vous imaginer un autre président diriger le processus de reconstruction du pays ?
Lorsque le peuple syrien souhaite une situation pareille, il n’y aura aucun problème. Je ne suis pas du genre à m’accrocher au pouvoir. De toute manière, si le peuple syrien ne souhaite pas que je demeure président, il est évident qu’il y aura un autre président. Je n’ai aucun problème psychologique à cet égard.
Source : AFP reprise par Sana