Puis, on s’est attaqué à la Syrie, dont le régime semble résister plus que jamais aux coups de boutoir des factions armées, germant çà et là printemps oblige, après le passage des semeurs étrangers.
On l’appréhendait depuis plusieurs mois, certains prédisaient même le pire après la victoire du parti « Ennahdha » et la formation d’un gouvernement islamiste en Tunisie. De ce côté-ci de la frontière, on espérait même voir le pays voisin échapper aux convulsions et aux souffrances que nous avons connues en Algérie. Las, les derniers évènements, les attentats contre les libertés, puis le meurtre, mercredi dernier, d’une éminente figure de l’opposition tunisienne, nous interpellent de nouveau. Sans doute, n’est-ce pas le lieu de rappeler ici la solitude qui fut la nôtre, et la façon scandaleuse dont certaines voix, à l’Est et à l’Ouest, se sont empressées de se démarquer. Il y a eu des commentaires désobligeants, et blessants dans le contexte, sur les capacités de certaines nations, mieux outillées que d’autres face aux crises.
Ces jours-ci, encore, alors que mausolées et tombes étaient profanés, et détruits, la même antienne est revenue, mais comme un acte futile d’exorcisme. Heureusement, ils ne sont plus très nombreux, en Tunisie, à vouloir se persuader qu’ils ne vivraient pas le drame, vers lequel ils se précipitaient pourtant tout droit. Nos voisins sont désormais bien conscients que le langage de la violence engendre la violence et les liquidations physiques, que l’extase religieuse n’autorise pas la négation de l’autre. Aujourd’hui, il est encore plus évident que les mêmes causes produisent les mêmes effets, à fortiori dans une région de population aussi homogène que le Maghreb. On voit, aujourd’hui, que les révolutions qui ont triomphé, sans violence ou avec un minimum de dégâts, ne faisaient que différer cette violence. Tout avait pourtant bien commencé en Tunisie, d’où l’odeur du jasmin se répandait sur toute la rive Sud de la Méditerranée, mais les soubresauts continus mettent à nu l’inanité de certains néologismes, trop vite hissés au rang de dogme immuable. C’est le cas de ce Printemps arabe, lancé par quelques nostalgiques qui ont raté ou refusé de respirer l’air du Printemps de Prague. Depuis les années soixante, la terminologie n’a pas évolué, et de vieux slogans sont ressortis des placards, hâtivement époussetés, pour un usage de circonstance. L’absurdité suprême, ou l’audace suprême du vocabulaire de la conspiration, aura été de vouloir faire pousser du jasmin partout. Même là où il avait fort peu de chances de pousser, et même là où l’on n’avait pas du tout envie de cultiver ce genre, préférant les orties locales à un jasmin, aux forts relents de « Chanel ». De Tunis à Bahreïn, on a vu, et, aussi, entendu, ce slogan racoleur auquel ont succombé les Arabes eux-mêmes, en proie à une crise de psittacisme, sans égale dans leur histoire. A la pointe de ce combat pour un « printemps », élaboré pour des Arabes dans des laboratoires non arabes, on a retrouvé un certain Sarkozy. A la barre d’une France, que son timonier dirigeait « à droite toute », l’ancien président n’a réussi qu’un seul prodige : détester les Arabes de Saint-Denis, en le montrant bien sûr, et aimer, de façon tout aussi ostentatoire, d’autres Arabes, ceux de Benghazi. En Tunisie, il n’a pas osé, parce que la ficelle aurait été trop grosse, au regard des relations de Paris avec le régime déchu. Ensuite, il y a eu d’autres « printemps », ou des ersatz de la saison des floraisons, comme en Egypte où Moubarak, lâché par Washington, a abandonné. Puis, on s’est attaqué à la Syrie, dont le régime semble résister plus que jamais aux coups de boutoir des factions armées, germant çà et là printemps oblige, après le passage des semeurs étrangers. Là, on ne se donne même plus la peine d’agir, selon la tradition, en se contentant de signer des chèques. Désormais, les financiers tiennent à contrôler eux-mêmes, et sur place, la destination et l’usage final de leur argent.
Salah Arezki