Les nationalistes chrétiens ont fait des percées au Texas en poussant à l’élimination de la séparation entre l’Église et l’État.
Par Schuyler Mitchell*
Lorsque les écoliers du Texas retourneront en classe à l’automne prochain, des milliers d’entre eux pourraient être confrontés à de nouveaux enseignements imprégnés de la Bible. Le conseil de l’éducation du Texas a, par un vote, approuvé vendredi (22/11) le « Bluebonnet Learning », un programme optionnel développé par l’État pour les écoles primaires publiques, qui intègre des enseignements chrétiens tels que l’Évangile selon Matthieu et le Sermon de Jésus sur la montagne.
Le vote des autorités texanes gagné à 8 voix contre 7 intervient alors que les groupes nationalistes chrétiens partout dans le pays intensifient leurs efforts pour introduire la religion dans les programmes scolaires des États. Au début du mois, un juge fédéral a temporairement bloqué une loi de la Louisiane exigeant que toutes les salles de classe des écoles publiques affichent les Dix Commandements d’ici le 1er janvier. Par ailleurs, le surintendant de l’instruction publique de l’Oklahoma, Ryan Walters, a envoyé en juin une note de service imposant à tous les enseignants du CM2 à la terminale de faire figurer la Bible dans leurs programmes de cours.
Des directives similaires ont été rejetées par la justice dans le passé. Le Premier amendement de la Constitution américaine fait généralement l’objet d’une lecture qui garantit la séparation entre l’Église l’État, interdisant au gouvernement d’établir une religion nationale ou de favoriser un système de croyance par rapport à un autre. Toutefois, forte d’une nouvelle supermajorité conservatrice à la Cour suprême des États-Unis et d’un système judiciaire fédéral composé de personnes choisies par Donald Trump, l’extrême droite chrétienne voit une nouvelle occasion de renverser des décennies de jurisprudence.
« L’élection de dirigeants plus conservateurs, et la Cour suprême des États-Unis qui devient plus conservatrice et rend une série de décisions fragilisant la séparation entre l’Église et l’État, sont des facteurs qui ont stimulé les nationalistes chrétiens et les autres groupes de droite religieuse », a déclaré Alex J. Luchenister, directeur juridique associé d’Americans United for Separation of Church and State, l’un des principaux plaignants dans le litige concernant la loi sur les Dix Commandements de Louisiane et le mandat biblique du superintendant de l’Oklahoma.
L’une de ces décisions a été rendue en 2021, lorsque la Cour suprême a estimé que le Maine devait inclure les écoles religieuses dans son programme d’aide à l’éducation financé par l’État. L’année suivante, peu après avoir rendu la décision historique qui a annulé l’arrêt Roe contre Wade, la Cour suprême a renversé six autres décennies de jurisprudence dans l’affaire Kennedy contre Bremerton. Joseph Kennedy, entraîneur de football dans un lycée, avait pris l’habitude de diriger des prières collectives au milieu du terrain après chaque match. Après avoir tenté de négocier des accommodements religieux avec Kennedy, le district scolaire public de Bremerton, dans l’État de Washington, a finalement refusé de renouveler son contrat, invoquant la crainte que sa conduite ne soit inconstitutionnelle. La Cour suprême a estimé que le Premier amendement protégeait le droit de Kennedy à mener ces prières dans les écoles publiques et permettait d’inclure les institutions religieuses dans les programmes de bons d’études de l’État. [Ce sont des bons scolaires qui permettent de garantir aux parents la liberté de choisir une école privée pour leurs enfants sous forme de bons d’études, sur fonds publics, permettant de payer tout ou partie des frais de scolarité qu’il s’agisse d’une école religieuse ou non, NdT].
Les avocats de l’American Civil Liberties Union ont écrit dans une analyse que, prises conjointement, ces deux décisions pourraient rendre « les lignes entre l’Église et l’État désespérément floues, voire les éliminer totalement. »
En tant qu’avocat d’Americans United, Luchenister lutte depuis plus de 20 ans contre les attaques de la droite religieuse à l’encontre de l’enseignement public. Mais, a-t-il déclaré à Truthout, l’organisation a constaté « des pressions beaucoup plus agressives des groupes nationalistes chrétiens » au cours de la seule année dernière.
« Avant cela, on assistait rarement à ce type de tentatives visant à défier les jurisprudences existantes et à faire entrer la religion dans les salles de classe de manière flagrante », a déclaré Luchenister. À ce jour, en 2024, Americans United a recensé au moins 91 projets de loi dans les États visant à promouvoir la religion dans les écoles publiques, notamment en protégeant la prière à l’école. Cela représente presque le double des propositions de loi similaires déposées l’année dernière.
Mais en sapant les protections constitutionnelles fondamentales, les groupes nationalistes chrétiens pourraient remporter bien plus que le droit à la prière dans les écoles ou les programmes de cours fondés sur la Bible. Les batailles juridiques qui se déroulent devant les tribunaux fédéraux pourraient entraîner des violences anti-LGBTQ et des discriminations cautionnées par les États à l’encontre des minorités religieuses.
« Les enfants pourraient être amenés à se sentir marginalisés, à se sentir étrangers ou ostracisés par leurs camarades s’il y a la moindre indication qu’ils ne sont pas fidèles à la religion majoritaire, a déclaré Luchenister. De tels agissements menacent les plus vulnérables des écoliers de ces États. »
Luchenister estime toutefois que les jurisprudences de la Cour suprême constituent un rempart solide contre les récentes attaques judiciaires des nationalistes chrétiens, en particulier dans le cadre du procès des Dix Commandements de Louisiane. Après tout, la Cour a déjà rendu un arrêt dans une affaire presque identique, Stone contre Graham. En 1980, les juges ont estimé qu’une loi du Kentucky, exigeant que les écoles publiques affichent des copies des Dix Commandements, était inconstitutionnelle et violait le Premier amendement.
Pourquoi, alors, les législateurs des États tenteraient-ils de défier de manière flagrante des protections constitutionnelles aussi claires ? Luchenister a déclaré que la législation de la Louisiane avait probablement été adoptée « dans l’intention de déclencher une action en justice » qui serait portée devant les tribunaux fédéraux, dans l’espoir que la Cour suprême s’en saisisse et annule le précédent de l’affaire Stone. En effet, la Louisiane a déjà fait appel de la décision du tribunal de district auprès du cinquième circuit. [Le Congrès a créé deux niveaux de tribunaux fédéraux au-dessous de la Cour suprême, à savoir les cours de district des États-Unis et les cours d’appel de circuit des États-Unis. Il existe 12 de ces cours d’appel régionales (circuits) intermédiaires situées dans divers endroits du pays, NdT].
« Nous sommes convaincus que la Cour suprême continue de défendre le principe fondamental selon lequel les élèves des écoles publiques ne doivent pas se voir imposer une religion dans les écoles publiques, a déclaré Luchenister. Mais nous sommes peut-être trop optimistes. »
Un rapport du Center for American Progress, un institut politique progressiste, a qualifié la Cour d’appel du 5e circuit de « scélérate ». Ces dernières années, la Cour d’appel du 5e circuit, qui supervise la Louisiane, le Texas et le Mississippi, a rendu une série de décisions qui ont « permis à des juges extrémistes de juridictions de niveau inférieur [La Constitution des États-Unis établit la Cour suprême des États-Unis et octroie au Congrès l’autorité nécessaire pour instaurer les tribunaux fédéraux inférieurs, NdT] de rendre des décisions radicales et politiquement lourdes de conséquences. » Cette approche, écrivent les auteurs du rapport, « a contribué à saper la séparation des pouvoirs, les précédents établis et le raisonnement juridique fondé sur des principes au profit des objectifs politiques de la droite. »
Les groupes d’extrême droite qui font pression en faveur d’un changement législatif sont également bien financés et très bien organisés. Le First Liberty Institute, un cabinet d’avocats chrétiens à but non lucratif, a engrangé près de 25 millions de dollars l’année dernière et a participé en tant que co-conseiller à plusieurs victoires importantes de la Cour suprême, notamment dans l’affaire Kennedy contre Bremerton. L’Alliance Defending Freedom, une organisation chrétienne d’extrême droite classée par le Southern Poverty Law Center comme un groupe extrémiste anti-LGBTQ, déclare être impliquée dans « plus de 1 000 affaires juridiques en cours » en permanence. Le First Liberty Institute et l’Alliance Defending Freedom siègent tous deux au conseil consultatif du Project 2025, une coalition conservatrice dirigée par la Heritage Foundation qui a élaboré un projet de politique extrémiste pour le second mandat de Trump.
« Il existe un mouvement beaucoup plus important et plus généralisé qui tente d’éroder et de détruire le mur entre l’Église et l’État en utilisant les écoles comme vecteur », a déclaré Colleen McCarty, directrice exécutive fondatrice du centre Appleseed de l’Oklahoma pour le droit et la justice, co-plaignant dans le procès contre Walters, superintendant de l’Oklahoma, le département de l’éducation de l’Oklahoma et les membres du conseil scolaire de l’État.
Dans une interview accordée à CNN la semaine dernière, Walters a dénoncé « les manipulations de la gauche » et « l’incitation à la haine envers ce pays exercée par les syndicats d’enseignants. » Dans le cadre de son mandat d’enseignement de la Bible, Walters a exigé que les écoles de l’Oklahoma projettent à leurs élèves un film dont le premier volet est une prière qu’il prononce en faveur de Trump, le président élu, et il a récemment annoncé que le premier lot de bibles « God Bless the USA » (Dieu bénisse les USA), approuvées par Trump, était disponible pour l’enseignement public.
« La mission du président Trump est claire : il veut que la prière revienne à l’école. Il veut que le gauchisme radical disparaisse des salles de classe », a déclaré Walters à l’animateur de CNN. « Son projet est clair comme de l’eau de roche. »
Schuyler Mitchell
*Schuyler Mitchell est écrivaine, rédactrice et vérificatrice de faits originaire de Caroline du Nord, vivant actuellement à Brooklyn. Son travail a été publié dans The Intercept, The Baffler, Labor Notes, Los Angeles Magazine et autres. Retrouvez-la sur X : @schuy_ler
Source : Truthout, Schuyler Mitchell, 25-11-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises