Chose promise chose faite. Jean-Marc Ayrault, le ministre français en fin de mandat et le digne successeur de Laurent Fabius, qui avait en décembre 2012 déclaré, depuis le Maroc, qu’al-Qaida, alias al-Nosra, « fait du bon boulot en Syrie », vient d’ordonner à ses services de produire – plutôt fabriquer – un rapport prouvant la culpabilité du gouvernement syrien dans l’attaque chimique contre la localité de Khan Cheikhoun le 4 avril 2017. Le renseignement français, aux ordres du gouvernement, a répondu favorablement aux souhaits de son commanditaire, le Quai d’Orsay. Ce dernier a donc publié le rapport tant attendu par les médias sur l’attaque au gaz sarin commise le 4 avril 2017 en Syrie à Khan Cheikhoun. Ce rapport est disponible ici :
Ce rapport a été repris en cœur par tous les grands média. Il contiendrait des preuves de l’implication du régime de Damas. Il se termine comme suit : « la France estime que les forces armées et de sécurité syriennes ont mené une attaque chimique au sarin contre des civils à Khan Cheikhoun, le 4 avril 2017. » Faut-il apporter du crédit à un tel rapport ? En attendant une vraie enquête digne de ce nom, nous reproduisons l’analyse critique du site citoyen Agoravox et la réaction officielle russe.
Le site Agoravox, qui se définit comme un « média citoyen » (https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-pretendues-preuves-du-192423) n’a pas été emballé par la « démonstration » du Quai d’Orsay.
Voici sa réaction au contenu de ce rapport à charge et peu crédible :
« Il est très flou :
– Quelle est l’heure de l’attaque ? L’information n’est pas donnée.
– Quel est le vecteur de dispersion du gaz ? L’information n’est pas donnée. Seulement des soupçons sur un largage aérien de grenade ou roquette mais aucune preuve.
– Où sont ces restes d’obus/grenades/roquettes (prétendument) syriens et (prétendument) largués par avion qui pourraient accrédités l’hypothèse 1) d’un vecteur de dispersion du gaz par largage aérien 2) d’une attaque au sarin par Damas ? L’information n’est pas donnée.
– Quel est l’objectif tactique de l’attaque à Khan Cheikhoun (situé en arrière des lignes d’affrontement) plutôt que le choix d’un objectif plus proche de la ligne de front ? L’information n’est pas donnée.
Le §§ : « A la connaissance des services français, aucun de ces groupes ne dispose de la capacité à mettre en œuvre un agent neurotoxique, ni ne dispose des capacités aériennes nécessaires » Encore une fois, ça ne constitue pas une preuve de l’innocence des rebelles puisque le vecteur n’est pas prouvé. Le terme « à la connaissance » implique également qu’il est possible que les rebelles aient acquis ces savoirs sans que le renseignement français le sache.
La seule « preuve » est que le sarin analysé (comment les ont-ils obtenus ? Et par qui ? L’information n’est pas donnée.) possède les même composés chimiques de stabilisation que ceux utilisés par le laboratoire qui avait synthétisé les stocks détruits de sarin syrien. Ce sarin serait également le même que celui utilisé le 29 avril à Saraqeb et qui aurait fait une vingtaine de victime. Comme par hasard. Donc ces composés chimiques de stabilisation seraient utilisés SEULEMENT par CET UNIQUE laboratoire syrien ?? Comment nos renseignements le savent-il ? Sont-ils sûrs que de tels procédés ne peuvent pas être utilisés par d’autres laboratoires pour synthétiser du sarin ?
Nous pouvons voir que les arguments avancés dans ce rapport et qui accuseraient Damas ne tiennent pas debout. Il est impossible de dire avec certitude lorsque l’on termine la lecture de ce rapport que c’est bien Damas qui a lancé cette attaque. De plus ce rapport appelle également une question : si la France détenait les preuves d’attaque chimiques au sarin par Damas le 29 avril 2013, pourquoi cette information a-t-elle tant tardée à sortir ? Surtout qu’elle aurait confirmé la « ligne rouge » d’Obama à l’été 2013.
Et Agoravox de conclure :
« Tant d’incohérences demeure confondant. La presse française, en avalant crûment les vagues soupçons fournis par le renseignement français publie des informations sans les recouper ni les analyser une fois de plus. L’amateurisme est criant lorsqu’on regarde la mesure des réactions côté russe :
« Le fait du recours au sarin ne fait guère de doutes, mais il est impossible de faire des conclusions sur qui en est responsable sans une enquête internationale », a réagi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, qui souligne que Moscou « ne comprend pas que l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) s’abstienne pour l’heure d’une telle enquête ». (https://www.parismatch.com/Actu/International/Attaque-au-sarin-de-Khan-Cheikhoun-la-France-accuse-le-regime-syrien-1242344) ».
Le contre-rapport russe
Prenant la suite de Dmitri Peskov, le ministère russe des Affaires étrangères, a réagi par un communiqué sans concessions aux allégations fantaisistes et pseudo-scientifiques de son homologue français. Voici le texte intégral de ce communiqué concernant l’enquête française sur l’usage présumé de l’arme chimique à Khan Cheikhoun en Syrie :
Le renseignement français a-t-il collaboré avec Al-Qaïda ?
« Paris a publié un rapport des renseignements français présentant l’appréciation du pays quant à l’usage présumé de l’arme chimique près de la ville de Khan Cheikhoun dans la province syrienne d’Idleb. Il s’agit déjà de la troisième enquête menée par un membre de la communauté internationale après la Turquie et le Royaume-Uni. On a l’impression que soit ces États ne font pas confiance à l’OIAC, soit ils cherchent à influencer son travail dans la direction qu’ils souhaiteraient.
Une première analyse du document français de cinq pages soulève déjà de nombreuses questions, notamment concernant les circonstances dans lesquelles la partie française a obtenu les échantillons qui, affirme-t-on, ont été prélevés directement sur les lieux des faits. Si les renseignements français les ont prélevés eux-mêmes, cela signifie qu’ils ont accès à la zone contrôlée par des groupes armés d’opposition syrienne liés à Al-Qaïda. Si les échantillons ont été obtenus dans un autre endroit, disons dans un pays voisin de la Syrie, alors la véracité de l’analyse effectuée est immédiatement remise en question.
Il convient de rappeler que conformément aux règles internationales, les échantillons analysés doivent rester intacts sur tout le trajet entre le lieu des faits et le laboratoire.
Pour prouver que le sarin soi-disant utilisé à Khan Cheikhoun a été produit par la Syrie, les auteurs du rapport indiquent que sa « recette » témoigne de l’usage de méthodes élaborées par les laboratoires syriens. On ignore d’où vient cette certitude, étant donné que le sarin sous forme « prête » n’a jamais existé en Syrie: il n’y avait que ses précurseurs qui ont été entièrement évacués du pays en 2014. Par ailleurs les dispositifs mobiles permettant de synthétiser le sarin ont été détruits, comme l’a confirmé l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC).
Amateurisme et exotisme
L’unique « accroche » des auteurs du rapport est la prétendue correspondance des résultats de l’analyse récente avec l’étude d’échantillons reçus par la France en 2013 à partir des lieux d’un autre incident qui pourrait également être lié à l’usage de sarin. C’est peu convaincant car la Mission de l’Onu, en 2013 déjà, n’avait pas pu confirmer indépendamment l’information du rapport français sur le prétendu incident à Saraqib et le respect de la procédure de préservation des preuves, y compris pendant le transport des échantillons prélevés. L’unique preuve matérielle à laquelle se réfèrent les auteurs du rapport est, à en juger par la photo, une grenade à main contenant du sarin qui aurait été lancé à partir d’un hélicoptère syrien. L’usage d’une grenade avec du sarin – c’est nouveau. C’est un cas sans précédent dans toute l’histoire des armes chimiques, à ce que l’on sache. Une munition chimique aussi « exotique » n’est pas très sûre pour son utilisateur.
Incohérences
En d’autres termes, de nombreuses incohérences témoignent de la mauvaise qualité de l’enquête. La seule possibilité réelle d’établir la vérité serait d’envoyer à Khan Cheikhoun et à la base aérienne de Chayrat, où se trouvait soi-disant le sarin utilisé à Khan Cheikhoun, la Mission de l’OIAC d’établissement des faits en utilisant toutes les méthodes prévues par la Convention sur l’interdiction des armes chimiques et par le mandat de cette Mission. Il est également important que sa composition respecte le paragraphe 8 de ce mandat, qui exige la formation d’un groupe d’experts sur la base géographique la plus large possible. C’est seulement dans ce cas que les résultats de l’enquête internationale pourront être admis avec confiance par tous les pays.
Cessez ces « jeux politiques indécents » !
C’était précisément l’objectif du projet récemment soumis par la Russie et l’Iran pendant la session spéciale du Conseil exécutif de l’OIAC. Malheureusement, il a été bloqué essentiellement par les pays occidentaux, dont la France, qui à titre d’alternative à une enquête internationale impartiale a entrepris sa propre enquête très ratée d’un point de vue professionnel.
Nous appelons à nouveau à cesser les « jeux politiques » indécents autour du dossier chimique syrien et d’entreprendre les démarches sur lesquelles la Russie insiste depuis trois semaines: envoyer à Khan Cheikhoun et à Chayrat un groupe de spécialistes dont feraient également partie des représentants de pays qui ne sont pas aveuglés par la haine envers le gouvernement légitime syrien. »
Pour aller plus loin, lire la remarquable étude rédigée par Caroline Galactéros sur son blog : Bouger les lignes :
https://galacteros.over-blog.com/2017/04/ou-sont-les-preuves-l-evaluation-nationale-sur-khan-cheikhoun-une-lecon-de-sophisme-peu-convaincante.html
Photos : Après Colin Powell, pris en flagrant délit de mensonge au Conseil de sécurité de l’ONU en 2003, Jean-Marc Ayrault marche sur ses pas et présente un rapport mensonger sur la prétendue attaque chimique de Khan Cheikhoun qu’il attribue au gouvernement syrien sans aucune enquête sur le terrain…