La chronique philo de Cynthia Fleury dans l’Humanité
La fermeture du camp d’Ashraf, entendez les derniers et plus meurtriers actes du massacre et de la destruction du camp d’Ashraf, est désormais programmée. Ce sera la nouvelle de début d’année offerte, non comme allégeance mais comme signe de connivence et de bonne volonté, de la part du régime irakien en direction des autorités iraniennes. Le fait d’abattre et de démanteler un des groupes d’opposition les plus permanents depuis l’époque du Shah et l’avènement de la révolution iranienne, principalement composé des Moudjahidine du peuple, aujourd’hui désarmés et normalement protégés par le statut de la 4e convention de Genève, après l’action américaine de confiscation de leur artillerie et de leurs chars, voilà donc le type de cadeaux que peuvent se faire entre eux des États.
Beaucoup s’émeuvent trop peu de la tragédie qui s’abat sur Ashraf. Pourtant, la population du camp a été torturée, battue, décervelée par la redondance et le caractère assourdissant des haut-parleurs (installés par les mercenaires locaux et les agents du Vevak, le ministère du Renseignement iranien) qui beuglent de manière incessante, tirée comme des lapins, affamée, dévitalisée par la grève de la faim qu’on fait la plupart des survivants aux attaques et considérablement affaiblie par le manque de soins prodigués à leurs blessures. Pourquoi donc un tel silence sur Ashraf et une telle circonspection ? Parce qu’Ashraf, ce sont en grande partie les Moudjahidine du peuple, organisation longtemps classée terroriste (elle ne l’est plus depuis 2009, par l’Union européenne), que l’on considère par ailleurs sous la domination psychologique de Maryam Radjavi, présentée comme le soleil de la révolution.
Sur le point terroriste, personne ne peut nier l’histoire des Moudjahidine du peuple et leur collaboration ancienne avec l’Irak. Seulement, depuis dix ans, aucun acte terroriste n’a été commis et les violons sont venus remplacer les armes dans le camp d’Ashraf. Les femmes jouent la musique de la liberté, ce qui, faut-il le rappeler, est interdit en Iran.
Deuxième point, Radjavi, en vingt ans, au fur et à mesure de la conquête de son pouvoir, a installé des femmes à tous les postes de commande et a bafoué la règle des mollahs posant la domination absolue de l’homme sur la femme. Des femmes qui, pour une partie d’entre elles, avaient subi des vilenies dans les prisons iraniennes. Depuis 1993, le comité central est composé de femmes. Et les femmes formaient dans l’Armée de libération 30 % des effectifs et plus de 50 % des officiers.
Troisième point, rappelons les principes défendus par Radjavi, car ils parlent sans doute mieux que toute forme d’antipropagande : suffrage universel, liberté de parti et d’assemblée, respect des libertés individuelles, liberté d’expression, presse libre, interdiction de l’inquisition et de la censure, abolition de la peine de mort, séparation de la religion et de l’État, tolérance de toutes les religions. Sans oublier l’égalité totale entre les femmes et les hommes, en termes de droits civiques et politiques, mais aussi en termes de droits économiques et sociaux. Bien sûr, la participation active des femmes aux affaires publiques et le libre choix de leurs vêtements. L’indépendance des juges, la présomption d’innocence, l’abolition de la torture et des châtiments dégradants. La reconnaissance d’une économie de marché. Une politique étrangère fondée sur la coexistence pacifique entre les États. La condamnation du nucléaire militaire ou de son simple risque.
Cet Iran-là, Ashraf aujourd’hui en est le symbole. Ne l’abandonnons pas au massacre des autorités iraniennes et irakiennes.