La dépouille du leader palestinien, mort en France le 11 novembre 2004, est exhumée ce mardi 27 novembre à Ramallah, sur demande de sa veuve Souha, qui dénonce un empoisonnement. Et si « l’affaire des poisons » n’était qu’une diversion spectaculaire dans une Palestine malheureuse et déchirée ?
C’est un Palestinien interrogé par l’AFP à Ramallah qui résume, avec le bon sens de ceux qui souffrent et souffriront encore, l’absurdité de « l’affaire des poisons », cette sinistre exhumation de la dépouille de Yasser Arafat : « C’est une histoire de famille. Ca ne fera pas avancer la cause nationale et les Palestiniens ont d’autres problèmes urgents à résoudre ». En effet ! Les prélèvements sur les restes d’Arafat, en présence de juges français, se déroulent quarante-huit heures avant que Mahmoud Abbas ne demande à l’ONU d’intégrer la Palestine avec le statut d’État non-membre.
Quelques jours après le dernier round de violences entre le Hamas et Israël, qualifié en boucle de « victoire » (malgré les morts palestiniens) par les observateurs alignés candidement sur les péroraisons triomphales du parti djihadiste. En pleine déliquescence de l’Autorité palestinienne : le président s’est fendu d’un coup de fil de félicitations à son pire rival de Gaza, Ismaïl Haniyeh, dont les hommes ont naguère liquidé les fidèles du Fatah. Au plus fort de la crise économique qui jette dans les rues de Cisjordanie des milliers de Palestiniens.
Sans oublier la montée des droites en Israël : elles risquent de l’emporter, dans leur version la plus extrême, aux élections du 22 janvier 2013, confortées par les Quassam iraniens Fajr 5 sur Tel-Aviv et le départ à la retraite du dernier leader israélien plus ou moins modéré, Ehud Barak, l’actuel ministre de la Défense. Au sein de ce chaos, dans le désert d’espérances qui reste le lot des Palestiniens, il fallait ajouter encore une couche d’incohérence. C’est ce qui est en train de se produire avec l’exhumation-diversion de Yasser Arafat.
Empoisonné, le chef mythique qui enroulait la Palestine dans son keffieh, mort en France le 11 novembre 2004 ? Empoisonné par Israël ? Ou par les clans palestiniens adverses ? Souha Arafat, la veuve blonde, grassouillette et emperlousée, qui n’avait pas revu son époux depuis deux ans quand il arriva en France pour être soigné à l’hôpital Percy, oscille d’une explication à l’autre, s’appuyant sur une enquête de la télévision qatariote Al -Jazeera qui tombait à point nommé.
La belle n’est pas vraiment aimée en terre palestinienne. Ses manières et ses préoccupations étaient celles de toutes les épouses des puissants en terre arabe, de Leila Ben Ali, son ex-copine, à Asma al-Assad : le fric, les fringues, les diams, les villas, les palaces. Yasser Arafat, d’une austérité monacale, ne manquait pas d’argent mais tous les fonds dont il disposait n’avaient qu’un but : obtenir la fidélité de ses adversaires, acheter les clans, maintenir coûte que coûte grâce à ce flux de dollars permanent la fiction d’une unité des factions palestiniennes qui vola en éclats à sa mort. Comme se déchirèrent ses héritiers, tirant à hue et à dia : l’Autorité palestinienne d’un côté, la veuve de l’autre.
Souha, chassée de Tunis avant la révolution par Leila Ben Ali qui l’accusait de trafics financiers en tout genre – on imagine le crêpage de chignons – s’est installée à Malte où il fait beau mais où il lui arrive de s’ennuyer. Cette affaire des poisons lui permet de débouler à nouveau dans les gazettes, drapée dans le deuil éternel et parfois lucratif des veuves affairistes.
Notre excellent confrère du Nouvel Observateur, Christophe Boltanski, a soumis dans sa dernière enquête le dossier médical d’Arafat aux meilleurs spécialistes français. Leur conclusion est sans appel : tout cela ne tient pas debout.
On s’en tiendra donc ici à l’examen des faits : il y a effectivement une affaire des poisons en Palestine. Mais il ne s’agit pas de ce polonium auquel aurait succombé l’homme aux sept vies voici huit ans. Le véritable poison, c’est la « fitna », la haine atroce qui divise son malheureux peuple, autant que la dénégation de son ennemi israélien. La victime a nom Palestine et c’est encore elle que des apprentis-sorciers veulent tromper en exhumant son ultime symbole.
Source : Marianne.fr