La politique et la Palestine, et non l’enrichissement, sont les principaux obstacles à l’accord de normalisation israélo-saoudien
Amos Harel
Les déclarations publiques des dirigeants américains, israéliens et saoudiens concernant l’avancement des négociations sur les accords de normalisation entre ces deux pays suscitent pour la première fois un débat politique et médiatique sur les accords émergents. Mais de nombreux détails ne sont pas encore connus du public. Du côté israélien, l’establishment de la sécurité reste silencieux et c’est Benjamin Netanyahu qui décide de la quantité d’informations à divulguer concernant les pourparlers. À ce stade, il ne s’agit que de détails partiels.
Malgré le verbiage répandu ces derniers jours sur la demande saoudienne aux États-Unis (et indirectement à Israël) d’accepter le lancement d’un programme nucléaire civil sur le sol du royaume, il est douteux que cela soit le principal obstacle à la signature d’un accord.
Le principal problème sera d’ordre politique, tant en Israël qu’aux États-Unis. Du côté américain, l’administration Biden doit obtenir un large soutien au Congrès, malgré les nombreuses réserves que suscite l’accord, tant du côté républicain que de l’aile gauche du parti démocrate, qui, chacun pour ses propres raisons, n’est pas très enthousiaste à l’égard du régime saoudien. Du côté israélien, le problème se situe à droite – l’opposition des deux partis d’extrême droite à toute concession aux Palestiniens et l’exigence des partisans du coup d’État de poursuivre la législation, malgré les attentes contraires de Washington.
L’opposition à la disposition nucléaire en Israël est exprimée par le chef de l’opposition, MK Yair Lapid (Yesh Atid) et plusieurs anciens hauts responsables des services de sécurité, y compris des experts nucléaires. L’entourage de M. Netanyahou affirme que les opposants ne connaissent pas les détails de l’accord et que lorsque ceux-ci seront révélés, il apparaîtra clairement qu’il n’y a pas de réel problème dans la pratique. Cette réponse est basée sur des rapports d’Amir Tibon et de Ben Samuels publiés dans Haaretz il y a environ deux semaines : L’administration Biden étudie la possibilité de construire sur le sol saoudien des installations d’enrichissement de l’uranium à des fins civiles, mais celles-ci seront soumises à une surveillance et à un contrôle à distance de la part des Américains.
Il est possible qu’un tel arrangement, s’il est soutenu par les services de sécurité israéliens, suscite moins d’opposition. M. Netanyahou cherchera plutôt à mettre l’accent sur les nombreux bénéfices à tirer d’un accord avec l’Arabie saoudite : Ouverture de la porte à l’établissement de relations avec d’autres pays arabes et musulmans, réduction possible de l’influence iranienne dans le monde arabe, opportunité commerciale extraordinaire pour l’économie israélienne.
Ce que Netanyahou ne dit pas tout haut, c’est qu’il n’est pas l’acteur principal de cet accord. Il progresse parce qu’il s’agit d’un accord utile du point de vue américain et, dans une certaine mesure, du point de vue saoudien également. Non seulement Joe Biden a besoin d’une réussite en matière de politique étrangère avant les élections présidentielles de 2024, mais il a aussi besoin d’un accord avec l’Arabie saoudite. Le principal problème est que les États-Unis sont engagés dans une compétition stratégique mondiale avec la Chine, et c’est le prisme à travers lequel les Américains examinent presque tout. Un accord israélo-saoudien, et les nombreux avantages qui en découleront pour Riyad, renforceront les liens des Saoudiens avec l’Occident au détriment de l’influence croissante de la Chine.
Bien que Netanyahou ne l’admette pas, il comprend que son rôle est plutôt mineur dans cette histoire. Il en va de même pour les tentatives américaines de parvenir à des accords à long terme avec l’Iran, y compris un engagement iranien à geler l’enrichissement de l’uranium à des niveaux plus élevés, en échange de concessions économiques, ainsi qu’une libération mutuelle de prisonniers et d’otages, ce qui a déjà eu lieu. Ici aussi, l’influence israélienne est marginale et Netanyahou en est réduit à émettre une critique périodique.
Il est intéressant de noter que la rhétorique de Netanyahou a également changé. Avant les élections de novembre dernier, au cours desquelles le bloc de droite qu’il dirige a remporté une victoire qui l’a ramené au pouvoir, M. Netanyahou décrivait encore la prévention d’un Iran nucléaire comme la mission de sa vie. Cette mission a récemment été remplacée. L’accent est désormais mis sur la « paix historique », comme il la définit, avec l’Arabie saoudite, sur l’ouverture des portes à d’autres pays arabes sunnites et sur l’opposition à la demande de règlement du conflit israélo-palestinien en tant que condition de la paix avec ces pays.
L’administration de Washington est prête à faire beaucoup pour resserrer les liens entre les États-Unis et l’Arabie saoudite, et Israël peut également en bénéficier. Un exemple frappant est l’accord visant à supprimer l’obligation de visa pour les Israéliens visitant les États-Unis, dont la mise en œuvre a été longtemps retardée, et qui va maintenant avoir lieu. Ce que M. Biden ne révèle pas pour l’instant, c’est ce qu’il exigera exactement d’Israël en retour.
Son confident, Thomas Freedman, a écrit au cours du week-end que, parallèlement à l’accord, M. Biden a clairement fait savoir à M. Netanyahu qu’il attendait des avancées significatives sur la question palestinienne. Jusqu’à récemment, on espérait que les pressions exercées par M. Biden amèneraient M. Netanyahou à décider de freiner le blitz législatif. Pour l’instant du moins, il semble que l’administration ait réduit la pression sur ce front.
La question palestinienne
La principale difficulté réside dans la question palestinienne. Bezalel Smotrich, Itamar Ben-Gvir et certains députés du Likoud ont déjà fait savoir qu’ils s’opposeraient à tout ce qu’ils considèrent comme une concession aux Palestiniens dans le cadre de l’accord. Et ce, en dépit du fait que l’entourage de Netanyahou s’emploie à divulguer que ces concessions incluront principalement un afflux massif de fonds de l’Arabie saoudite vers l’Autorité palestinienne à Ramallah, et qu’il n’y a donc aucune raison que cela suscite de l’opposition. Netanyahou se comporte comme si la question était réglée et que l’opposition à l’accord au sein de la coalition serait faible. Mais il semble que l’administration américaine parte du principe qu’il ne sera possible de signer un accord qu’avec une autre coalition, qui inclurait le parti de Benny Gantz au lieu des deux partis d’extrême-droite. Ce changement dépend de l’accord de Gantz, qu’il n’a pas encore donné, et de la volonté de Netanyahou de parier sur une telle démarche, qui ne le sortira pas nécessairement de son imbroglio juridique. D’une manière générale, malgré l’optimisme affiché par le premier ministre au cours de la semaine écoulée, la période proverbiale de l' »après-fêtes » n’est pas nécessairement prometteuse pour lui. Il devra notamment faire face à la demande des partis ultra-orthodoxes d’adopter le projet de loi militaire, à une pétition concernant la loi dite d’incapacité, qui le préoccupe beaucoup, et à d’autres pétitions de la Haute Cour concernant les lois sur le coup d’État judiciaire.
Pendant ce temps, les territoires continuent de brûler. Les manifestations violentes à la frontière de la bande de Gaza sont redevenues quotidiennes, et le Hamas ne se donne pas beaucoup de mal pour cacher qu’il en est à l’origine. La Cisjordanie est le théâtre de plusieurs fusillades par jour et des dizaines d’avertissements ont été lancés concernant la préparation de graves attaques terroristes en Cisjordanie et à l’intérieur de la ligne verte. Lors d’une conférence des organisations palestiniennes à Beyrouth, il a été décidé d’augmenter les attaques contre Israël.
Dans la nuit de samedi à dimanche, une force des FDI (armée israélienne) a pénétré dans le camp de réfugiés de Nour a-Shams, près de Tul Karm. Deux Palestiniens ont été tués lors de l’échange de coups de feu et un soldat a été blessé. Les FDI et le Shin Bet ont arrêté huit étudiants, membres du Hamas, à l’université de Bir Zeit, près de Ramallah, qui, selon les services de renseignement, prévoyaient de commettre un attentat dans un avenir proche. Tous ces événements se déroulent indépendamment des progrès réalisés dans la chaîne israélo-saoudienne, mais ils en subiront les conséquences et exerceront peut-être un impact sur elle, à mesure que les parties se rapprocheront de la signature d’un accord.
Haaretz – Amos Harel