À trop vouloir jouer avec le feu, on finit par se brûler les doigts ! L’Arabie Saoudite, une monarchie pétrolière qui s’imagine entourée d’ennemis, s’est mise sous le parapluie américain. L’Égypte nassérienne, l’Iran impérial ou islamique, l’Irak baathiste, États robustes aux ambitions panarabe ou panislamique, étaient redoutés et traités comme l’ennemi à abattre, ouvertement ou sournoisement. Selon la vision étriquée des souverains wahhabites, ils constituaient une menace existentielle pour la survie de leur régime anachronique. Tour à tour, les Saoudiens ont combattu Nasser au Yémen, l’Iran en volant au secours de Saddam Hussein dans sa guerre contre le chah puis contre Khomeiny et contre la Syrie aujourd’hui, alliée de l’Iran et du Hezbollah… Jusqu’ici, ils avaient plutôt bien réussi dans leur jeu d’affaiblissement de leurs adversaires. À l’Égypte nassérienne ont succédé les régimes de Sadate et de Moubarak qui ne lui refusaient rien. Moubarak avait envoyé son armée combattre l’Irak de Saddam. Depuis le renversement du chah, les relations étaient rompues entre Le Caire et Téhéran, pour le bonheur des Saoud.
Si les Saoudiens avaient réussi à amadouer la Syrie de Hafez al-Assad, ils ne parviennent pas à neutraliser son héritier Bachar, dont ils ont juré, depuis 2003, la perte. Après avoir massivement armé l’opposition djihadiste syrienne, sans résultat, ils ont espéré à un moment une intervention militaire occidentale. L’accord Kerry-Lavrov sur la Syrie, suivi de l’ouverture des négociations internationales sur le nucléaire iranien, les a fragilisés. Or, plutôt que de suivre le mouvement, ils ont croisé le fer avec leur protecteur américain et entamé un rapprochement surréaliste avec Israël, un autre perdant dans ce revirement américain.
L’Arabie Saoudite, qui traverse la plus grave crise de son existence avec une féroce guerre de succession, est la grande perdante de la crise syrienne. Sa stabilité va certainement s’en ressortir. Les six obus de mortier lancés depuis la frontière irakienne contre le royaume, le 21 novembre, sont des coups de semonce à prendre très au sérieux. On ne peut pas allumer à l’infini des incendies chez les voisins sans en être atteint. Les « protecteurs » américains vont-ils enfin siffler la fin de partie et sacrifier l’odieux prince Bandar, leur homme des sales besognes, ou tout simplement remplacer le régime monarchique par un autre plus présentable ?