Autrefois centre commercial et portuaire prospère, Lobito, ville côtière à 500 kilomètres au sud de Luanda, attend son heure. Ses habitants avaient massivement voté pour le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (Unita en 1992), avant de tourner le dos au mouvement de Savimbi et voter pour l’Union pour l’indépendance totale de l’Angola (MPLA) en 2008. Au niveau national, le parti au pouvoir engrangeait 81 % des suffrages alors que l’Unita passait de 34 % à 10 %. Pourquoi ce changement dans les fiefs mêmes de l’Unita ? Beaucoup n’ont pas apprécié la consigne de reprendre les armes contre le pouvoir élu en 1992 – et reconnu internationalement. Les pertes humaines et les destructions massives que cette décision a provoquées furent pires que celles infligées par l’armée sud-africaine qui venait de se retirer peu avant, déconfite. Quatre millions de déplacés internes, soit un tiers de la population, campagnes abandonnées, infrastructures détruites, eau et électricité manquantes, pénuries alimentaires…
Très affecté par le conflit, le plateau central s’est vidé de sa population, surtout de ses jeunes qui se sont dirigées sur la côte, elle-même en très grande difficulté. Lobito n’a pas fait exception, comme en témoigne encore l’étendue des bidonvilles. En 2008, l’espoir renaît avec la reconstruction des routes et la réhabilitation de la voie ferrée historique reliant Lobito au port de Beira, au Mozambique, en passant par la République démocratique du Congo (RDC). Dans les régions autrefois acquises à l’Unita, le vote pour le MPLA au pouvoir fut un vote pour la paix et en faveur de la poursuite des grands travaux de reconstruction.
Le 31 août se tiendra la deuxième élection générale depuis la fin du conflit en 2002. Même en absence de sondages, personne ne doute de la victoire du parti au pouvoir. Son ampleur et l’éventuel taux d’abstention seront les principaux indices du degré de mécontentement populaire. Le coût de la vie, le chômage toujours élevé et la pauvreté, notamment en milieu rural, sont, on le comprend, les chevaux de bataille de l’opposition, ainsi que, bien sûr, l’hégémonie politique du MPLA.
À Lobito, les yeux sont rivés sur la réouverture prochaine de la totalité du chemin de fer de Benguela (CFB) et la relance de l’activité portuaire que cela engendra. La construction à proximité d’une nouvelle grande raffinerie, projet enfin approuvé après tant de reports, devrait transformer la ville en un des pôles économiques majeurs nationaux.
Avec son centre ville restauré et réaménagé, repeint dans ses couleurs pastel originales, Lobito renaît doucement. La ville fêtera 100 ans le 2 septembre 2013. Âge respectable, mais bien inférieur à celui de sa voisine Benguela – territoire séparé de l’Angola en 1615 par le roi portugais Filipe II, afin d’y créer le royaume de Benguela. Ou encore de l’âge officiel de la capitale Luanda, fondée en 1576 par l’explorateur portugais Paulo Dias de Novais. Dans le contexte angolais, Lobito est donc une ville moderne, créée de toutes pièces autour des deux formidables atouts que furent le CFB et son port naturel sur l’Atlantique.
La construction du chemin de fer fut la conséquence directe de la conférence de Berlin de 1884-1885 sur le partage de l’Afrique. Le Portugal ne put faire accepter par l’Angleterre et la Belgique son projet de continuité territoriale entre ses possessions de l’Angola et du Mozambique. Mais les deux puissances coloniales s’accordèrent pour construire un chemin de fer transafricain Lobito-Beira. Sous l’impulsion d’un ami de Cecil Rhodes, Sir Robert Williams, gestionnaire de la britannique Tankanyka Concessions, les travaux commencèrent en 1902. Lobito naîtra onze ans plus tard. Achevé en 1929, le CFB transforma son port en principal débouché des minerais du Katanga et de la Rhodésie du Nord, la Zambie actuelle. Cela fit la prospérité de la ville, attirant jusqu’en 1974 des générations de « nouveaux » colons. Ceux-ci gérèrent la ville dans un style proche de celui de l’apartheid, à la différence de Benguela, autre ville côtière marquée par un fort métissage et l’enracinement de colons d’origine modeste ou, depuis la fin du xixe siècle, d’anciens prisonniers politiques. Benguela s’est toujours considérée comme intellectuellement supérieure à Lobito. Une rivalité qui a donné vie à deux micro-nationalismes entre des villes séparées par 30 km de chemin de fer !
En 2001, à l’expiration de la concession de quatre-vingt-dix-neuf ans accordée par Lisbonne à la Tanganyka Concessions (90 % du capital), le CFB est récupéré par l’État angolais, et sa remise en état à nouveau à l’ordre du jour. En 2004, il figure parmi les projets de réhabilitation des infrastructures que la Chine financera via des prêts à long terme gagés sur le pétrole. Les travaux, exécutés par des entreprises chinoises, commencent enfin en 2006. La totalité de l’ouvrage sera achevée à la fin de cette année, avec 32 nouveaux ponts et 105 nouvelles gares !
Celle de Lobito, élégant édifice bleuté aux structures métalliques géométriques, trône du côté du port, en face de la vieille gare. « Trop moderne », ou « trop chinoise », affirment ceux qui trouvent qu’elle tranche trop avec le style de la vieille ville coloniale. Les jeunes semblent plutôt favorables, mais ils y voient surtout le point de départ d’une nouvelle ère pour les emplois et le retour à la prospérité dont ils ont tant entendu parler.
Pour Aquiles de Carvalho, jeune cadre de la direction du CFB-Entreprise publique, cette réhabilitation – après celles des lignes Luanda-Malange en 2010 (450 km) et Namibe-Menongue (environ 900 km) – constitue un formidable atout pour la renaissance de la ville et de la région. En montrant sur la carte les détails du projet qui a coûté plus de 2 milliards de dollars, il affirme, enthousiaste : « Le CFB va désenclaver l’intérieur des terres, qui étaient parmi les principaux greniers de l’Angola, et permettre aux gens de voyager à moindres frais. Sa rentabilité sera assurée à terme par la reprise des exportations de minerais katangais, pour lesquels le port de Lobito a construit un nouveau terminal. Les compagnies minières du Congo attendent avec impatience la reprise du trafic et ont déjà stocké 3 000 tonnes de cuivre pour inaugurer la ligne. De l’autre côté de la frontière, le chemin de fer est prêt pour cette jonction historique, près de vingt ans après le passage du dernier train. »
Le sommet de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), qui s’est tenu à Luanda début juin, a été informé de l’avancement des travaux, et la Zambie a réitéré son intérêt pour construire une nouvelle ligne reliant Luena (chef-lieu de l’est de l’Angola) à Ndola, dans les régions minières de la ceinture de cuivre, sans passer par la RDC.
Dix ans après la fin du conflit, l’Angola bouge, c’est certain. Il pourrait pourtant ne pas tirer tous les bénéfices de l’indéniable travail de reconstruction et de modernisation des infrastructures économiques en cours, qui ont absorbé des dizaines de milliards de dollars de recettes pétrolières depuis 2004. La raison ? L’enrichissement ostentatoire de la nouvelle bourgeoisie. Pas seulement parce que cette exhibition d’opulence nourrit les soupçons de corruption, mais aussi parce qu’elle révèle l’insensibilité de cette bourgeoise à une réalité sociale où les progrès – et il y en a – sont encore trop lents, impuissants à atténuer à moyen terme les inégalités qui se sont creusées ces dernières années.
Un questionnement sur l’avenir que le parti au pouvoir se pose, comme dans sa « Vision pour 2025 ». L’exécutif en réalise les prémices, avec la remise en état et le développement des infrastructures indispensables à la relance de l’économie d’un pays grand comme deux fois et demie la France. Mais pour affronter les distorsions économiques et sociales actuelles qui bloquent un développement plus harmonieux, il faudra au MPLA plus de courage et de cohérence.