Sérieusement malmenés pendant le long conflit qui a pompé l’essentiel des ressources et des cadres disponibles, les services sociaux du pays sont en pleine réorganisation. Le boom actuel de la construction a aussi bénéficié à la santé et à l’éducation. Du coup, le taux de scolarisation grimpe, mais il révèle en même temps les insuffisances du corps enseignant, en nombre et en qualité. L’heure est à la formation des formateurs, explique Pinda Simao.
Quel est le bilan dans le secteur de l’éducation dix ans après le retour de la paix ?
Nous avons beaucoup progressé en offrant un grand nombre d’opportunités pour accéder au savoir. Nous avons développé tous les niveaux de la scolarité. Cette année, nous avons enregistré plus de six millions d’élèves, tous niveaux confondus. Depuis 2002, les salles de classe ont été multipliées par trois, atteignant le nombre de 53 000. Dans l’enseignement supérieur, les étudiants, qui étaient 46 000 en 2008, sont aujourd’hui 156 000. Nous pouvons désormais compter sur un plus grand nombre de cadres angolais dans les différents secteurs d’activité.
En ce qui concerne l’enseignement technico-professionnel, crucial pour notre pays en l’état actuel, nous avons à présent trente-cinq instituts techniques disséminés sur tout le territoire, alors que pendant les longues années de guerre, il y en avait moins de la moitié, et ils étaient situés uniquement sur le littoral. À l’intérieur du pays, malgré une activité économique moindre, nous avons grand besoin de ces travailleurs qualifiés pour redémarrer l’économie. Pour preuve, les étudiants de ces filières sont immédiatement absorbés par le marché du travail.
Aujourd’hui, nous nous attaquons au développement du système de l’éducation supérieure, en particulier dans le domaine des sciences et de la technologie. Le nouveau campus de l’université Agostinho-Neto, dans la périphérie de Luanda, est destiné à devenir un centre d’excellence, notamment pour les sciences et les sciences de la Terre. La directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, qui nous a honorés avec une visite en juin dernier, a engagé son institution dans un plan de soutien spécifique en la matière, en approfondissant et en élargissant la coopération déjà en vigueur.
Y a-t-il encore un déficit important de cadres supérieurs ?
Oui, surtout dans les domaines de l’ingénierie, la physique, chimie, etc., mais également de l’informatique. Ce type de spécialisation n’est suivi que par 10 % des étudiants du supérieur. Pourtant, c’est la condition d’une « angolanisation » des entreprises de l’économie extractive et de pointe qui opèrent en Angola. En même temps qu’il faut réorienter les étudiants vers ces secteurs, on doit leur offrir les meilleures conditions d’études possibles, une qualité d’enseignement compétitif. L’État a déjà beaucoup investi dans les infrastructures, tel le nouveau campus (voir photo) promis à devenir un « centre d’excellence », et dans les universités qui ont ouvert leurs portes dans plusieurs provinces. Il faut maintenant nous assurer de la formation adéquate du corps enseignant. C’est notamment dans la formation des formateurs que l’Unesco pourra nous apporter une aide très utile.
Le nombre des instituteurs pour le primaire et secondaire a-t-il suivi l’expansion des infrastructures scolaires d’écoles dans tout le pays ?
Leur nombre n’a pas cessé d’augmenter. En 1992, on comptait 77 000 enseignants, ils sont aujourd’hui 218 000. Et nous allons en embaucher encore 12 000 à fur et à mesure de leur formation ou recyclage, ce qui est d’autant plus nécessaire que nous avons introduit un vaste plan de réformes au niveau méthodologique comme au niveau du contenu de l’enseignement.
Soixante-dix-sept pour cent des scolarisés sont actuellement dans le primaire. Nous aurions pu nous approcher plus vite de l’objectif de 100 % de scolarisés de la classe d’âge des 6-12 ans si nous n’étions pas freinés par le problème du retard scolaire. Il s’agit d’enfants encore dans le primaire après 12 ans et qui, de ce fait, occupent la place des plus jeunes. Il faut mettre en place des cycles particuliers pour faire avancer ces enfants plus rapidement. Nous étudions les modalités de cette intervention.
Le système éducatif est sous forte pression ; le nombre d’enfants par classe dépasse trop souvent le nombre maximum que nous avons fixé de trente-cinq élèves, et les conditions d’accueil ne sont pas partout celles que l’on souhaite. Mais les progrès ont été énormes, comparé avec la situation qui caractérisait le pays pendant le conflit.
Bien que rares, il y a encore des classes à l’air libre où les enfants suivent les cours sous un arbre.
Qu’en est-il du programme d’alphabétisation pour lequel l’Angola avait reçu un prix de l’Unesco au début des années 1980 ?
Depuis lors, de nombreuses régions de l’intérieur où se trouve le plus grand nombre d’illettrés, surtout des femmes, n’ont pas pu bénéficier de cours d’alphabétisation. Actuellement, il en existe dans huit des dix-huit provinces, et nous comptons bien les généraliser au reste du pays et à un plus grand nombre de municipalités.
À l’indépendance, nous étions confrontés à un défi titanesque : 85 % des Angolais étaient illettrés. Aujourd’hui, 33 % de la population ne sait pas lire et écrire, dont une majorité de femmes. En revanche, selon les dernières statistiques, le taux moyen d’alphabétisation dans les zones urbaines dépasse 80 %. La lutte contre l’illettrisme doit se concentrer dans les zones rurales.
L’enseignement public est-il toujours gratuit ?
Oui, les législateurs angolais en ont décidé ainsi. Du primaire à l’université, la gratuité est totale. Les manuels scolaires sont également gratuits. Cette année, nous avons imprimé en Angola 37 millions de livres scolaires qui ont été distribués gratuitement. Ils doivent normalement servir à trois générations d’élèves. Mais, bien évidemment, une partie des manuels qui doit être remplacée avant le délai.
Avez-vous pu introduire l’enseignement des langues locales ?
Nous sommes dans une phase expérimentale où environ 100 000 écoliers apprennent pendant les premières trois années du primaire l’une des six langues nationales écrites. On doit faire un bilan prochainement de cette expérience.
Quelle est la part du budget national allouée à l’éducation ?
Elle est de 8 % (sur environ 30 milliards de dollars, ndlr). Pour la plupart, il s’agit de salaires et de frais courants. Les investissements, tels que la construction d’écoles, sont partagés entre le ministère de l’Éducation et les autorités provinciales. Ces dernières ont notamment la charge de procéder à l’édification d’écoles primaires.
Le ministère peut également intervenir en ce domaine en pilotant des projets de construction financés par des bailleurs de fonds, telles la Bad ou l’Opep. L’Union européenne appuie des projets d’alphabétisation et de divulgation des droits de l’homme. Nous recevons également de l’aide bilatérale de plusieurs pays, dont la France et l’Italie. Cette dernière apporte son soutien depuis plusieurs années à des programmes de suivi de doctorants en ingénierie et en architecture notamment.
La récente ouverture de nombreuses universités privées est-elle appréciée par le ministère de l’Éducation ?
Certainement, et ce développement correspond à un véritable engouement de la part des jeunes pour les études supérieures. Quelque 53 % des étudiants fréquentent à présent des institutions privées. En tant que ministère de l’Éducation, nous devons cependant être plus exigeants en ce qui concerne la qualité de l’enseignement qui y est pratiqué. Il est parfois excellent, mais pas partout. Le problème est que certaines de ces institutions font appel à des professeurs qui sont déjà engagés ailleurs, ce qui a des conséquences sur la qualité de leur enseignement. Cette explosion du nombre d’étudiants est en tout cas réconfortante, la formation des futurs cadres en Angola même ne peut qu’être positive, d’autant qu’il n’est plus nécessaire de se rendre dans la capitale pour fréquenter l’université. On réduira en même temps le nombre d’Angolais diplômés à l’étranger, qui, en dépit des compétences incontestables qu’ils acquièrent, tendent à perdre de vue les réalités du terrain. Un enseignement supérieur administré en Angola permet également de faire progresser plus vite nos universités et de mieux canaliser les études vers les secteurs où le manque de cadres est le plus sensible.