Le 15 octobre, à l’ouverture solennelle de la troisième session parlementaire à laquelle a été convié le président José Eduardo dos Santos, les nouveaux élus avaient tous pris place. Y compris ceux de l’opposition qui avaient, un moment, menacé le boycott en raison du non-aboutissement de leurs plaintes concernant des fraudes électorales supposées. Examinées d’abord par la Commission électorale puis par la Cour constitutionnelle, les plaintes ont été récusées en absence de tout élément probant. La tendance à la normalisation de la vie politique s’était en réalité déjà manifestée lors de la toute première session destinée à élire la présidence de l’institution, début octobre. Tous les députés s’étaient présentés et l’ancien vice-président de la République, Fernando da Piedade dos Santos, dit « Nando », avait été élu président de l’Assemblée à l’unanimité.
On doit à l’intervention de deux députés du nouveau parti de l’opposition, la Large convergence pour le salut de l’Angola-Coalition électorale (Casa-CE) la démission d’un député élu du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), Bento Kangamba, qui avait été maintenu sur les listes des candidats du parti au pouvoir alors qu’il était frappé d’inéligibilité. Kangamba avait été condamné en 1996, et une deuxième fois en 2000, par le Tribunal militaire suprême angolais pour détournement et falsification de documents auprès de fournisseurs portugais de l’armée angolaise, pour un total de 360 000 euros. Ancien officier de la section logistique de l’armée, Kangamba était devenu, depuis, une haute figure de l’animation populaire du MPLA dans la région de Luanda. Il est soupçonné d’être l’instigateur de milices qui ont bastonné, l’an dernier, les manifestants de l’opposition ayant répondu à l’appel de jeunes rappeurs.
L’affaire de l’arnaque de Kangamba a brusquement refait surface en septembre, lorsqu’un avion de la compagnie nationale TAAG a été saisi au Portugal sur ordre de la justice de ce pays. La TAAG a aussitôt réglé la dette afin de libérer son avion, et bien sûr demandé au gouvernement d’assumer toutes les charges dérivant de cette embarrassante affaire. La presse angolaise en a aussitôt fait ses choux gras, mais pas de réaction de Kangamba, qui avait déjà décroché son siège au Parlement, ni du MPLA qui aurait dû réexaminer le bien-fondé de son élection.
L’opposition a donc joué son rôle. Et ce d’autant plus facilement que le député de la Casa-CE ayant soulevé la question, l’ex-amiral André Mendes de Carvalho, qui dirigeait les relations internationales du ministère de la Défense, connaissait le dossier. Son adhésion à la Casa-CE, dont il a aussitôt assumé les fonctions de vice-président, et celle de son frère Manuel, ex-général de l’armée, ont été vécues comme une douloureuse défection par le MPLA – la famille de l’ancien officier comptant parmi les plus anciens soutiens de ce parti, et ce dès la fin des années 1950 et la guerre de libération.
Jusque-là, les militants ayant quitté le MPLA avaient généralement constitué des partis nouveaux – qui n’ont pas encore pu s’affirmer au niveau populaire –, mais n’ont pas cherché à rejoindre l‘Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita) ou, comme c’est le cas avec les frères Mendes de Carvalho, un parti proche. La Casa-CE est la création d’une forte personnalité issue de la direction de l’Unita, qu’il a quittée en janvier dernier : Abel Chivukuvuku. En invitant André Mendes de Carvalho à devenir le numéro deux de son parti, Chivukuvuku a donné à sa nouvelle formation la crédibilité qui lui manquait en tant parti d’opposition indépendant. Cette ouverture lui a certainement valu le score réalisé à Luanda : 13,5 % des voix (6 % au niveau national).
Abel Chivukuvuku a tout de même d’autres atouts. Il est parmi les dirigeants de l’Unita qui s’est le mieux intégré dans les milieux politiques et sociaux de la capitale où il s’est marié et a élu domicile. C’est la conséquence d’un épisode peu connu. Chivikuvuku a été blessé pendant la fuite de la colonne militaire de l’Unita qui venait d’échouer dans sa tentative de prendre Luanda par la force, quelques semaines après sa défaite électorale de septembre 1992. Il a alors été fait prisonnier et a été soigné à Luanda. Libéré avec d’autres dirigeants politiques et militaires, après les accords de paix de Lusaka en 1994, Chivukuvuku s’est établi dans la capitale. Absent du gouvernement d’unité et réconciliation de transition formé en 1997 avec l’Unita, malgré la poursuite de la guerre par la « faction » de Savimbi, Chivukuvuku a rejoint la direction de l’Unita « originelle », présidée par Isaias Samakuva, après la mort de son leader. Pendant ces deux décennies, et contrairement à d’autres figures historiques de l’Unita (dont certaines ont même rejoint le MPLA), Chivukuvuku est resté fidèle au fondateur de son parti et a activement concouru à la succession de Samakuva. Pendant longtemps, on lui a prêté des relations étroites avec les diplomates américains qui l’auraient identifié comme l’héritier de Savimbi, le plus apte à moderniser l’Unita et ratisser au-delà de son réservoir ethnique constitué par la communauté de langue umbundu.
Pendant ce mandat, avec ses 8 députés (sur 32 de l’Unita, 175 du MPLA, 3 du Parti de la rénovation sociale et 2 du FNLA), Chivukuvuku devra montrer l’étoffe d’habile politicien dont on l’affuble. Et, on l’espère, de démocrate convaincu.