Tout est allé très vite. Quarante-huit heures après la cérémonie d’investiture du président José Eduardo Dos Santos et du vice-président Manuel Vicente, le 26 septembre, le nouveau gouvernement était formé. Mais selon le fameux adage « On ne change pas une équipe qui gagne », il s’est agi pour l’essentiel de reconduire la précédente équipe. Les spéculations allaient pourtant bon train dans les médias, qui croyaient que l’heure du grand chamboulement était arrivée. « L’important est la mise en œuvre de la feuille de route du président », affirmait l’entourage du chef de l’État. Eu regard à cette feuille de route, on peut signaler la nomination d’un nouveau ministre de la Planification et du Développement territorial en la personne de Job Graça, professeur d’économie du développement, et de la ministre de l’Industrie, Bernarda Henrique da Silva, ancienne professeure de la faculté d’ingénierie et directrice nationale du même ministère. L’industrialisation et le développement de la ruralité étant parmi les priorités affichées.
« Les ambitions et les objectifs de notre programme de gouvernement ont une forte motivation de justice sociale et de développement humain, a déclaré le président Dos Santos. […] Nous donnerons continuité au programme de transfert des revenus résultant de l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables vers des secteurs générant une rente reposant sur des ressources renouvelables. Nous aurons ainsi un programme de projets structurants pour l’énergie et pour l’eau, un programme stratégique de sécurité alimentaire et un autre d’industrialisation du pays. » Et de préciser : « Nos priorités en ce domaine vont se concentrer dans l’économie non pétrolifère, attribuant un rôle plus important au secteur minier et immobilier, à l’agriculture, à l’industrie de transformation, aux réseaux de distribution, à la circulation marchande, à la prestation de service de qualité et à la concurrence du secteur privé susceptible de conduire à la réduction des prix à la consommation. » L’accès aux « biens essentiels » est un des engagements appelés à avoir « un fort impact social ».
Les premières mesures pour augmenter la production de biens manufacturés avaient été prises au cours du mandat précèdent, avec la création d’un tissu d’industries légères de transformation destinées à substituer les importations. Faute de candidats privés, la mise sur pied d’une vingtaine de ces industries – sur un programme qui en comprenant cinquante –, dans la zone économique préférentielle de Viana, près de la capitale, a été financée par la compagnie nationale de pétrole Sonangol. Celle-ci cherche actuellement à en confier la gestion à des groupes privés. Mais les coûts élevés de production (coût de l’énergie, à cause de l’indispensable recours à de générateurs thermiques, et des importations de matières premières) rendent incertaine la compétitivité sur le marché des produits finis. D’où la nécessité, encore rappelée par le chef de l’État, de mettre en place des mesures protectrices en réduisant l’importation des produits concurrentiels. Un exercice difficile en régime de marché libre.
Au chapitre de l’accès aux biens essentiels, figure en premier lieu la distribution d’eau et d’électricité, surtout dans les grandes concentrations urbaines où ils font souvent défaut. Après une période de relative stabilité qui a coïncidé avec la phase préélectorale, ces deux biens essentiels sont venus à manquer de plus en plus fréquemment dans la région de Luanda, engendrant un fort mécontentement. Premier responsable, la sécheresse qui a provoqué la baisse vertigineuse du niveau d’eau du barrage hydroélectrique de Kapanda, en amont du fleuve Kwanza, le seul qui fonctionne actuellement, mais à très bas régime : 160 MW, contre un potentiel de 400 MW, absorbé à 80 % par la région de la capitale. Le deuxième et plus ancien barrage, celui de Cambambe, quelque 200 km plus en aval, est actuellement en travaux de modernisation et d’élévation de l’ouvrage – travaux confiés à l’entreprise brésilienne Odebrecht.
Moins d’électricité, moins d’eau, dont la distribution dépend de stations qui fonctionnent à l’électricité. Beaucoup de Luandais, notamment de l’immense banlieue, n’ont alors d’autre choix que d’acheter l’eau à des distributeurs privés qui en tirent des bénéfices scandaleux. Avec l’arrivée imminente de la saison des pluies, les fournitures d’eau devraient se normaliser. Mais il faudra attendre en 2014 la fin des travaux de Cambambe – qui produira alors 700 MW – pour que la région résidentielle et industrielle du littoral centre-nord, puisse se passer de générateurs. Il y a un an, a été lancé un plan d’investissement de 17 milliards de dollars pour le secteur de l’énergie électrique, qui inclut la construction de nouveaux barrages et le développement du réseau des lignes de haute tension. Lorsqu’il sera fini, l’Angola pourrait devenir un exportateur net d’électricité, notamment vers la Namibie.
Si les prix du pétrole restent élevés, l’Angola devrait continuer à investir des sommes importantes dans les infrastructures, et tenter de nouvelles voies pour diversifier l’économie et augmenter le nombre d’emplois formels dans le secteur productif.
À présent, le secteur pétrolier, qui constitue 97 % des revenus de l’État en devises, n’emploie que 1 % de la main-d’œuvre. Les récentes découvertes dans les couches « pré-sel » de l’offshore angolais promettent, à terme, un doublement de la production, selon des experts angolais. Deuxième fournisseur de pétrole à la Chine après l’Arabie Saoudite, l’Angola peut encore longtemps compter sur des prêts et lignes de crédit chinois qui ont, depuis 2004, significativement contribué au boom de la construction des infrastructures.
Le parent pauvre demeure l’agriculture, malgré son potentiel extraordinaire et même les importants investissements. Pas moins d’un milliard de dollars a été investi dans le secteur agricole public et public-privé en 2010-2011, sans atteindre des résultats significatifs pour les cultures vivrières : la production de céréales n’a augmenté que de 10 %.
Depuis la fin du conflit en 2002, l’agriculture a bénéficié d’une série d’investissements évalués à plusieurs centaines de millions de dollars, mais l’appui à la production paysanne a été faible ou inexistant, selon l’ingénieur agronome Fernando Pacheco, figure connue de la société civile angolaise. « Après la fin de la guerre, rappelle-t-il, le ministère de l’Agriculture a fait un remarquable effort pour la réorganisation de la politique agraire, avec le soutien technique de la FAO et l’envoi sur le terrain de dizaines de spécialistes nationaux et étrangers, et a engagé de vastes consultations avec la société civile. Des diagnostics ont été faits dans toutes les provinces et régions ayant des conditions écologiques spécifiques. » En 2005, le MPLA intégrait dans son Plan 2025 nombre de ces idées et propositions, qui, « si elles avaient été mises en œuvre, insiste Pacheco, auraient permis des progrès sensibles dans le développement agricole et rural ».
Mais le gouvernement a emprunté une autre voie, celle de la mise en œuvre de grands projets agricoles qui ont exigé d’importants financements, tout en sous-estimant les investissements indispensables pour développer les capacités humaines et institutionnelles. « Les résultats ont été modestes », conclut Pacheco qui rappelle : « Même au Brésil, souvent pris comme modèle pour les grands projets agricoles et agro-industriels, les besoins de la population en produits vivriers sont satisfaits à 70 % par l’agriculture familiale. » Pacheco rappelle enfin les effets pervers du développement des grandes exploitations agricoles brésiliennes : « Exode rural, violence urbaine, dégâts environnementaux. » Ce sont les risques auxquels s’expose l’Angola, affirme-t-il, rappelant la difficulté actuelle à endiguer l’exode rural et à retenir la jeunesse dans les campagnes tant que des conditions plus alléchantes de travail et de vie n’y seront pas créées.
En dépit de ses grandes surfaces inexploitées – ou sous-exploitées –, l’agriculture angolaise n’a rien de comparable avec le gigantisme des exploitations brésiliennes. Aussi la législation empêche-t-elle l’exploitation de terres par des groupes étrangers qui ne seraient pas associés à des firmes angolaises. Cela n’est cependant pas une garantie de résultats en ce qui concerne l’objectif de sécurité alimentaire, car ces investissements ont généralement vocation de produire pour l’exportation. Pacheco, qui a passé seize ans dans le département de politique agraire du MPLA, qu’il a quitté dans les années 1990, ne se dit pas opposé à la création de grandes entreprises agricoles. Mais l’expérience angolaise enseigne, selon lui, que l’importation de modèles (y compris socialiste) qui ne tiennent pas compte des réalités locales est destinée à l’échec. « Les entrepreneurs angolais devraient comprendre que, dans cette phase, ils ont davantage à gagner en agissant en amont [fournitures des engrais, outils, semences, etc., ndlr] et en aval [commercialisation, entrepôts, etc., id.] qu’en s’engageant dans la production elle-même. »
On comprend que l’agriculture vivrière doit aujourd’hui être surtout le fait des paysans, avec les soutiens institutionnels et capitalistes indispensables pour progresser. Le débat ne fait que (re)commencer.