AFRIQUE ASIE: Vous avez pris vos fonctions il y a exactement un an, après avoir remporté, à 52%, la première élection pluraliste de la Guinée depuis l’Indépendance.
Un an après, un bilan est-il déjà possible?
J’ai trouvé une situation plus difficile que je l’imaginais: catastrophique!
Aussi, j’ai entrepris des réformes structurelles, fondamentales: c’est peut être loin de la politique-spectacle, il est peut être encore trop tôt pour que la population en recueille les bénéfices, mais c’est ce qu’il fallait à la Guinée. Et d’ailleurs les résultats tant attendus devraient être bientôt sensibles, au plus tard le second semestre 2012.
Regardez le riz, vital pour la population: il était monopolisé par certains commerçants, vendu à plus de 300 000 f guinéens le sac(de 50Kg); ils envisageaient même de le vendre à plus de 500 000 pendant le carême!Par des importations à moindre coût, nous avons cassé cette spéculation, de sorte que le prix du riz est aujourd’hui inférieur à ce qu’ils envisageaient.
J’ai d’ailleurs encouragé fortement la paysannerie reprendre la production, faisant même fermer des mines pour qu’ils retournent à la terre. En subventionnant des engrais, en fournissant des tracteurs pour la première fois depuis longtemps, la production agricole a fortement repris.
L’important est que nous importons moins, que nous allions vers l’autosuffisance alimentaire:notre but est de ne plus importer de riz dans 3 ans- alors que les importations sont aujourd’hui de 300 000 tonnes.
Pour ce faire, nous allons mieux organiser la production, notamment en mettant en place une Agence spécifique pour le développement agricole, comme en montrent l’intérêt des expériences au Brésil ou en Cote d’ Ivoire.
Q: Si nous abordons les questions directement politiques, à quand la date des législatives tant attendues?
Il faut tout d’abord remarquer que nous avons tout fait pour que ces élections se passent en décembre! C’est à la demande du facilitateur, sur proposition de la CENI que sera arrêtée la date exacte des élections. L’important, à ce sujet, est qu’après concertation, se tiennent enfin des élections libres, démocratiques, et inclusives.
Q: A propos de ces élections à venir, vos opposants disent volontiers que votre parti d’origine, le RPG, ne représente pas plus de 30% des voix. Est ce à dire que vous devrez passer des alliances, et lesquelles?
De fait, le paysage politique a bien évolué! Par ailleurs, je ne ferai pas de commentaires particuliers sur cette question de politique intérieure!
Q: Les « organisations des droits de l’homme » , telles Human Right Watch, ont tendance à critiquer la Guinée en se focalisant sur la répression étatique,les tensions ethniques – en particulier le « problème peul »; que répondez vous à ces critiques?
Certaines de ces critiques sont très souvent exagérées, ou excessives, en ce sens qu’elles méconnaissent l’Histoire chaotique de la Guinée.
Prenons l’Armée. Nous avons accompli un effort important pour démilitariser Conakry. L’armement lourd, en particulier, a été décentralisé à l’intérieur du pays. Ce n’est que depuis l’attentat récent du 19 juillet que de 3h à 6h de la nuit est exercée une surveillance nocturne de la capitale.
L’important est que l’armée est désormais encasernée: seule la gendarmerie et la police interviennent dans la capitale.
Certes on a pu constater quelques bavures: mais qui a relaté, en sens inverse, le sort de gendarmes pris à partie lors des manifestations: deux d’entre eux ont été tués récemment à l’arme blanche.
Vous avez fait allusion à la situation des Peul: qui écrit que contrairement aux rumeurs, il y en a 7 dans mon gouvernement? Si des observateurs trop pressés ne les prennent pas en compte, c’est sans doute aussi que nous avons des patronymes communs, tels Traoré, ou Sylla, ou Fofana, à 80%!
Q: Où en est -on de la Commission de Réconciliation? « Juger l’histoire », peut il devenir une utopie dangereuse pour la paix civile?
Nous avons longuement expliqué son processus. Il s’agit d’y associer tous les Guinéens, pour qu’il y ait, en amont de la justice, une véritable volonté de réconciliation. Il ne s’agit pas de se précipiter: la Guinée a une longue et particulière Histoire. Et non pas comme certaines ONG, de se focaliser sur les violences du Stade [sous Dadis Camara], le 28 septembre 2009. Il n’aura pas d’impunité: les 400 morts de 2007, par exemple, sont tout aussi importants.
La Commission sera Indépendante. Dès maintenant, comme plus tard aucun membre du gouvernement n’y participe. Elle définira son budget. Elle fonctionnera de manière autonome de tout pouvoir.
Q: L’économie guinéenne, de l’avis de tous les observateurs, est en pleine relance. Avez vous des secteurs prioritaires, des méthodes spécifiques?
Ma priorité, pour le moment, est le point d’achèvement du PPTE, qui dépend du FMI, et qui nous permettra d’alléger sensiblement la dette.
A l’inverse, l’urgence dans le court terme est certainement le problème de l’électricité. Si dans les semaines qui suivent, l’alimentation de Conakry devrait être assurée, à terme sont posés les réformes des centrales thermiques et d’un réseau de distribution obsolète: pensez qu’il n’a pas été renouvelé depuis 25 ans, et que nous perdons dans le transport 40% de la production!
A court terme, des puissants groupes électrogènes sont installés pour pallier aux coupures, notamment dans la capitale. Mais à long terme, mon ambition est que la Guinée devienne ce qu’elle peut être: le château d’eau de l’Afrique! ll s’agit d’avancer pour les grands barrages de Kaleta(250 Mw prévus) -pour lequel nous avons avancé 110millions de dollars d’études; mais aussi le barrage de Fomi et celui de Swapiti, pour lesquelles des études de faisabilité sont lancées;tout cela suppose, en plus des barrages, des routes, des systèmes de transports de l’ électricité.. Une oeuvre gigantesque, quand on pense qu’un seul barrage, d’ailleurs plus ou moins inutile, a été construit depuis l’indépendance!
Mais les barrages ne sont qu’un exemple de Grands Travaux que nous avons engagés: l’eau, le port, mais aussi la production agricole sont aussi nos priorités!
Q: Que de projets de projets! Y a t il un renouveau des « Plans » comme ceux qui ont rendu célèbre Samir Amin sous la première république? Y a t il une méthode?
Certes!loin des impératifs à la soviétique des « plans quinquennaux » d’antan, notre action est indicative! Le travail a déjà commencé dans les actions dont nous avons parlé.
Je revendique d’ ailleurs l’idée de passer systématiquement, dans cette période de renouveau des « partenariats stratégiques », bien sûr sous contrôle de l’Etat.
Le grand problème est celui de la gestion: l’administration n’est pas capable de gérer actuellement de tels grands Projets; ainsi nous avons un appareil d’Etat sous informatisé; 80% des fonctionnaires ne connaissent pas Internet – par ailleurs encore peu performant en Guinée. A terme, les relations décomplexées que nous entretenons avec les experts extérieurs permettront de former des cadres performants!
Nos partenaires étrangers ne s’y trompent pas:des hôtels sont en construction partout à Conakry, une dizaine à Kaloum, qui accueillent des hommes d’affaires du monde entier! A tel point qu’une société de cimenterie marocaine est venue s’implanter…En somme, plus de « Plans » utopiques, mais du concret!
Q: Qu’en est -il de l’Armée?
La loi concernant l’armée guinéenne a été votée par le CNT (Conseil national de transition) et ratifiée; elle a eu l’approbation de la communauté internationale, notamment du « comité de pilotage » et du général Lamine Cissé, du Sénégal qui avait la responsabilité de la mission CEDEAO.
Comment réformer l’Armée? C’est bien la problématique principale que l’on retrouve dans le Livre Blanc!
Nous avons engagé des actions importantes: la gendarmerie a été érigée en commandement; plus républicaine, elle a vocation d’équilibrer l’Armée. 4200 militaires sont mis à la retraite: certains d’entre eux y avaient passé 36ans! Ce sont des vétérans des promotions 1962 à 1975 qui sont enfin à la retraite –ce qui est facilité par des mesures d’accompagnement, notamment le versement de s trois mois de salaires.
De manière stratégique, il s’agit de redéployer l’armée: encasernée, de préférence à l’intérieur du pays, elle retrouvera son rôle traditionnel de défense aux frontières.
Q: en Relations Internationales, ‘n y a t il pas en Guinée de nouveaux acteurs? En d’autres termes est ce la fin de l’influence française, sort- on du fameux « pré carré »?
Bien au contraire, la France a toute sa place! Lors d’un récent séjour à Paris, de nombreux hommes d’affaires du CIAN, du Medef étaient désireux d’investir. Des entreprises comme Edf, ou la CFDT pour le coton, Bolloré pour le port autonome, la RATP pour la gestion des transports sont très présentes en Guinée.
Tout en préservant la place des intérêts français, quoi de plus normal, dans cette phase de renouveau, que de faire appel à tout le monde:oui, les USA ou le Brésil sont là, avec la Chine et l’Inde, dans un souci de renforcer la coopération Sud/Sud. Nous ne négligeons pas la relation avec la France qui traduit une Histoire propre; pour autant il n ‘y pas de chasse gardée…Les appels d’offres sont ouverts à tous!
Q: Vous avez passé 32 ans dans l’opposition, et vous venez en décembre de célébrer le premier anniversaire de votre accession au pouvoir. Peut t on vraiment « changer les choses » en Guinée, quelle est votre conception du politique, et s’est elle déjà heurtée à la réalité ?
Un élément bien connu me paraît essentiel:la Guinée connaît un régime présidentiel. Et la Constitution, élaborée pendant la transition, l’a été par des gens qui ont lutté pour la démocratie!
Il ne suffit pas d’avoir une vision, il faut une équipe qui peut suivre- et elle est bien dirigée, au quotidien, par le Premier Ministre Mohamed Saïd Fofana.
Car impulser le mouvement ne suffit pas:c’est le suivi au jour le jour qui fait le résultat…Or ici, en Guinée, on avait perdu l’habitude du travail: à nous de donner l’exemple!Oui, je n’hésite pas à dire qu’il faut que nous apprenions à travailler comme dans les pays occidentaux. Les ministres eux mêmes savent que je suis les décisions;
Je l’ai déjà dit; nous avons hérité d’un pays, pas d’un Etat. En particulier d’une administration, qui reste à construire.
Je préfère à un plan sur 12 mois un suivi continu des projets; l’administration, il faut bien le dire, est sclérosée, et pour cause: il n ‘y a pas de haut débit Internet en Guinée, la fibre optique arrive tout juste!
Q: Et vous même, en un an, qu’avez vous pu changer en Guinée?
L’arrivée au pouvoir n’est jamais facile, mais certaines critiques se retournent en fait contre leurs auteurs! Le vol et le mensonge étaient là… et s’attaquer à eux entraîne quelques réactions…
Que n’a t on entendu! « Il vient de nulle par »t… Et plus savoureux, et révélateur: « Alpha est un Blanc », car « il ne laisse pas manger »! Notamment quand j’ai réalisé l’unicité des caisses, pour bloquer toute corruption. Oui, j’espère que c’est la fin de la « politique du ventre »!
Rendez vous compte que 80% des contrats passés ont été annulés pour vices de forme. ..A l heure où nous parlons, il n y a pratiquement plus de gré à gré: quel contraste avec les centaines de milliards de détournements pendant la période de transition!
Laissez moi vous relater une anecdote qui m’a fait plaisir: un homme d’affaires occidental, voyant la nouvelle rigueur des affaires, le suivi et la ponctualité de nos réunions – que je suis personnellement, s’est spontanément exclamé : « Il y a vraiment un président en Guinée »!
Quand des investisseurs importants viennent, je peux leur prendre un rendez vous personnel avec un ministre: lequel osera me dire qu’il n’a pas le temps!
Nous avons mis en place un « Numéro Vert », sur lequel les gens parlent spontanément des dysfonctionnements. Quand par ce biais nous avons appris, dans l’éducation qu’un contrat de livres scolaires allait être passé avec un important pot de vin prévu, le responsable a été radié!Transparence et réforme: il s’ agit de promouvoir, non sans mal , une nouvelle culture administrative.
Tout est à faire ; un recensement, un rajeunissement important des cadres; ainsi on vient de faire appel à 300 jeunes cadres, en formation actuellement, qui vont renouveler les directions financières des administrations.
Oui, il y a un risque que nous prenons consciemment à réformer les fondamentaux partout, en même temps: mais en même temps, la Guinée change très vite, et nous espérons que la population, légitimement impatiente après ces décennies noires, verra son niveau de vie s’améliorer, concrètement , en 2012!