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Le Parlement a approuvé à une écrasante majorité le projet de révision de la Loi fondamentale qui lui était soumis par le président Abdelaziz Bouteflika, à l’issue d’une large consultation et d’une maturation qui a duré cinq années.
« Notre pays vient d’écrire une nouvelle page de son histoire politique et constitutionnelle. Une ère prometteuse s’ouvre aujourd’hui pour notre peuple, marquée par des conquêtes démocratiques substantielles et illustrée par des acquis irréversibles visant la préservation des constantes nationales et des principes fondateurs de notre société. » C’est en ces termes que le président Abdelaziz Bouteflika a tiré les leçons du vote émis par les deux Chambres du Parlement réunies en session extraordinaire pour examiner les amendements constitutionnels proposés. Saluant « le sens élevé de la responsabilité, le patriotisme et la clairvoyance » des parlementaires, il leur a signifié qu’ils avaient manifesté par leur vote leur « entière adhésion aux conquêtes démocratiques que ce nouveau texte ambitionne de réaliser ».
Estimant que le vote était un test essentiel pour la « jeune démocratie algérienne », il a en outre souligné : « Si un constat s’impose, à l’évidence, c’est celui qui atteste de la vitalité de notre jeune démocratie et de la dynamique constante qui la fait vivre. En effet, si un certain nombre de parlementaires ont voté contre le projet et que d’autres ont préféré s’abstenir, cela ne peut être que révélateur d’un Parlement qui fonctionne au rythme d’une démocratie pluraliste, un Parlement librement choisi par le peuple pour exprimer sa volonté et reflétant la diversité des courants d’idées et d’opinions qui animent notre société. »
Les amendements ont été approuvés par cinq congressistes sur six : 499 pour, 16 abstentions et 2 contre, sur les 606 élus formant les deux Chambres. Une partie de l’opposition, notamment les islamistes, engluée dans ses querelles internes, a préféré se réfugier dans le boycott pour ne pas avoir à se prononcer sur une réforme qui engage pourtant l’avenir. Elle a choisi de regarder passer le train, en témoignant de sa propre impuissance et de sa marginalisation sur l’échiquier politique en gestation. Les nouvelles dispositions visent à « approfondir la démocratie, consolider les fondements de l’État de droit et renforcer les garanties constitutionnelles de promotion et de protection des droits et liberté de l’homme et du citoyen dans notre pays », a soutenu le président.
La révision constitutionnelle s’inscrit dans un processus d’approfondissement de la démocratie amorcé depuis l’entrée du pays dans l’ère du pluralisme politique, en 1989. Les nouvelles dispositions introduisent des changements substantiels qualitatifs en termes de « contrat social » et dans les méthodes de gouvernance. La langue berbère – le tamazight –, en réponse à une vielle revendication, a été promue « langue nationale et officielle » de l’Algérie, aux côtés de la langue arabe. Celle-ci se voit en même temps confortée dans son statut de « constante nationale » et restera l’unique langue officielle de l’État. En particulier, l’administration et la justice traiteront avec les administrés et les justiciables en langue arabe. Deux académies nationales seront chargées de promouvoir chacune des deux langues dans l’espace national.
Cette avancée culturelle, saluée par l’ensemble de la classe politique, a déçu les défenseurs, très minoritaires, de la darija, un ensemble de parlers régionaux et locaux disparates, reflet d’un mauvais apprentissage de la langue mère, qu’ils voudraient substituer – vieille lubie coloniale – à l’arabe comme langue d’enseignement. L’offensive a été reprise ces dernières années en Algérie, en Tunisie et au Maroc par des pédagogues et linguistes francophones – voire francophiles – gravitant autour des centres culturels français.
La Constitution réformée, tout en réaffirmant le caractère présidentiel du régime, a réduit le nombre de mandats successifs autorisés pour un même président à deux mandats de cinq ans chacun. Le chef de l’État a la charge de nommer le premier ministre, après consultation de la majorité parlementaire. Il n’est pas responsable lui-même devant le Parlement, qu’il peut cependant dissoudre s’il s’avère nécessaire de faire arbitrer par le recours au peuple un éventuel conflit entre l’exécutif et le législatif. Le recours du président aux ordonnances est limité aux seuls cas d’urgence durant les vacances parlementaires.
Le Parlement voit ses pouvoirs de contrôle renforcés, tandis que le premier ministre reste le « coordinateur » du gouvernement sous l’autorité du président de la République, pierre d’angle de l’exécutif. Le texte met fin par ailleurs au « nomadisme politique », une pratique opportuniste consistant pour un élu à changer de parti ou de groupe parlementaire en cours de législature en fonction de ses humeurs et/ou de ses intérêts. Elle sera désormais sanctionnée par la perte du mandat.
L’opposition parlementaire obtient par ailleurs le droit de saisine du Conseil constitutionnel s’il lui paraît que des projets sont contraires à l’esprit et à lettre de la Loi fondamentale. Les islamistes qui plaidaient pour un régime parlementaire – synonyme d’instabilité ministérielle en particulier dans les jeunes démocraties peu rompues aux jeux parlementaires – ont été déboutés. C’est sans doute l’une des raisons de leur refus de participer à la consultation sur les amendements constitutionnels.
Pour la première fois une haute autorité, présidée par une personnalité indépendante, sera chargée de superviser les scrutins afin de leur donner le maximum de crédibilité et de transparence. Elle doit être sur pied pour les prochaines législatives prévues en mai 2017, qui seront suivies en 2019 par une nouvelle élection présidentielle. Entretemps, il faudrait réaménager quantité de textes à la lumière de nouvelle Constitution. Du pain sur la planche pour le gouvernement, en prévision des grands débats politiques qui vont agiter la société et mobiliser les acteurs sociaux. Une commission spéciale placée aux côtés du chef de l’État sera chargée de veiller à l‘application des nouvelles dispositions constitutionnelles.
Dans la présentation du projet devant les parlementaires, le premier ministre Abdelmalek Sellal a souligné qu’à travers les nouveaux amendements, l’objectif recherché était le renforcement de l’unité nationale. Il en est ainsi de l’intégration de la « réconciliation nationale », qui a permis au pays de mettre un terme à fitna terroriste, de même que la valorisation du rôle joué par l’Armée de libération nationale (ALN) et le Front de libération nationale (FLN) pour le recouvrement de la souveraineté nationale (1954-1962).
La nouvelle Constitution favorise l’alternance démocratique par la voie des urnes, garantit les libertés démocratiques individuelles et collectives : liberté de manifestation pacifique, droit d’accès à l’information, droit de circulation. Le délit de presse ne sera plus passible de privation de liberté, en réponse à une revendication des associations de journalistes professionnels.
« Notre génération à la conviction d’avoir fait ce qu’il fallait faire, au moment où il fallait le faire et avec les moyens qui s’offraient à elle, a dit le chef de l’État dans son émouvante exhortation à la fin de la session du Parlement. Une autre génération, qui aura peut-être une vision différente de la nôtre, continuera, avec d’autres idées, d’autres moyens et d’autres manières, ce qui a été commencé par leurs aînés. Elle léguera à son tour, le moment venu, l’œuvre qu’elle aura accomplie à la génération suivante, de telle sorte que chacune de ces générations aura contribué à la construction patiente de l’édifice constitutionnel avec la spécificité de sa démarche et la particularité de son empreinte. C’est ainsi que se construisent, au fil du temps, patiemment et sûrement, dans la continuité et la diversité, les fondements des nations fortes par la volonté inébranlable de leurs peuples. » Il rendait ainsi hommage à sa manière, comme il y a quelques années à Sétif, à cette génération de l’indépendance à laquelle il appartient, qui a fait son devoir et qui doit désormais être prête à passer le témoin.