Tous les jours, en quittant son domicile pour se rendre à son bureau, le général-major Abdelghani Hamel mesure le fardeau qu’il porte sur ses épaules depuis qu’il a été nommé par le président Abdelaziz Bouteflika, il y a trois ans, à la tête de la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN). Cette institution clé est chargée d’assurer la sécurité du pays et des citoyens, dans un contexte national et international des plus difficiles.
Aux menaces d’origine extérieure sur des frontières longues de plusieurs milliers de kilomètres ouvrant sur des pays en crise, instables, s’ajoutent, à l’intérieur, la lutte contre la criminalité et diverses formes de violence dans une société traumatisée. À peine surmontées les horreurs de la répression coloniale pendant la longue guerre de libération, elle a dû affronter la sanglante « décennie rouge » du terrorisme. Des coups mortels ont été assénés aux terroristes, mais des poches subsistent encore dans des coins peu accessibles du territoire.
Bourreau de travail, officier rigoureux des premières promotions d’après l’indépendance, le général-major Hamel appartient au corps d’élite de la gendarmerie, réputé pour son excellente tenue et les qualités professionnelles et humaines de ses officiers, sous-officiers et hommes de rang. Un parcours brillant l’a conduit à en gravir les échelons, depuis le commandement du groupement de gendarmerie d’Oran, la capitale économique du pays, jusqu’à la direction de la prestigieuse Garde républicaine, chargée de la sécurité présidentielle, en passant par la gestion du groupement des gardes-frontières (GGF). La cinquantaine à peine franchie en juillet 2010, fraîchement élevé au grade de général-major, il s’est vu confier, à 52 ans, la lourde tâche de diriger la police, qui venait d’être secouée par une effroyable tragédie : l’assassinat quatre mois auparavant, dans son bureau, de son prédécesseur, le colonel Ali Tounsi, par un de ses proches collaborateurs.
La confiance placée en lui par le chef de l’État était à la mesure des défis qu’il lui demandait de relever pour remettre de l’ordre dans la « grande maison ». La Sûreté nationale devait être repensée en tenant compte du contexte sécuritaire, de la poussée de la criminalité, de son évolution et des exigences techniques et scientifiques imposées par la modernisation de cette institution. Elle doit plus que tout s’appuyer sur le renseignement en marchant sur ses deux jambes : prévention et répression.
Les chantiers de la modernisation
C’est à ce chantier vaste et complexe que le nouveau patron de la police devait s’atteler. Il l’a pris à bras le corps en se fixant des priorités et un plan d’action serré centré sur la réforme des structures, la professionnalisation, la féminisation et le rajeunissement des effectifs et des cadres, la réorganisation de la hiérarchie, l’équipement et la formation des unités à l’intervention citoyenne dans le strict respect des droits humains. Ainsi, a-t-il instauré une formation spécifique pour les policiers afin qu’ils assurent les interpellations et les gardes à vue dans le respect scrupuleux des procédures prévues par la loi et de la dignité des interpellés.
La gestion démocratique des foules
L’une des toutes premières applications sur le terrain du nouveau code de conduite assigné par le général-major Hamel aux forces de l’ordre dès sa prise de fonction est intervenue très tôt, en 2011. Confrontée à une vague de manifestations à travers le pays, dans le sillage des « printemps arabes », la police s’en est bien tirée, gérant les mouvements de foule avec un souci majeur : préserver la sécurité publique sans porter atteinte aux libertés démocratiques, malgré la tension. Sous tous les cieux, l’obsédante crainte des agents de l’ordre est en effet de voir une foule, en apparence pacifique, saisie soudain de fureur irrationnelle, échappant à tout contrôle. Pour contourner l’obstacle, la stratégie définie fut de déployer face aux manifestants le maximum d’hommes dotés d’un équipement léger. Leur mission : étouffer dans l’œuf les marches illégales, dissuader les éléments les plus violents, serrer de près les provocateurs souvent légion, et recourir le moins possible aux moyens répressifs habituels tels que les canons à eau ou les grenades de gaz lacrymogènes.
Pas de bavures et ni de sang qui coule : telles étaient les fermes consignes du général-major Hamel à ses hommes, qu’il a aussi appelé à faire preuve de sang-froid, de patience, de maîtrise et d’endurance. C’est ce que les responsables de la police qualifient de « gestion démocratique » des foules. Elle est fondée sur une évaluation stricte de la menace, un dialogue direct et ininterrompu avec les initiateurs des rassemblements, une anticipation vigilante des débordements toujours possibles et une grande réactivité. La méthode en appelle aussi à la maturité politique des meneurs et à leur sens civique. Elle a été étudiée de près par les « patrons » des polices arabes réunis à Alger en décembre 2012, qui ont reconnu son efficacité.
Parmi les tâches quotidiennes de la police, figure la lutte contre la délinquance et la criminalité sous toutes leurs formes : vols, violences urbaines, trafic de drogue, immigration illégale, traite d’êtres humains, corruption, trafics en tout genre, cybercriminalité, contrefaçon, délits économiques, etc. Cependant, le crime organisé transnational ignore les frontières depuis que ses caïds ont apprivoisé les technologies de l’information et de la communication (Tic). Dans le contexte d’une mondialisation débridée, c’est un des défis majeurs que la police doit relever. Pour y faire face, la DGSN a établi une coopération efficace avec d’autres polices du monde – africaines, arabes et européennes notamment, ainsi qu’Interpol – et s’est dotée de structures et de moyens d’investigation et d’intervention adéquats, à la hauteur des enjeux.
L’État n’a pas été avare de crédits pour assurer sa modernisation tout au long de ces dernières années. Les effectifs sont en augmentation constante depuis trois ans et devraient atteindre 200 000 fonctionnaires en 2014, dont environ 11 % des femmes. La police a renforcé ses unités héliportées d’intervention, équipées de nouveaux appareils, a modernisé ses laboratoires et s’est dotée d’équipements d’investigation sophistiqués mis à la disposition de brigades et unités spécialisées. Les policiers et officiers ont été rajeunis – baisse de sept à dix ans de l’âge limite de recrutement dans chacune des deux catégories. Ils sont astreints à une formation continue et à des entraînements réguliers pour garder la main. Un nouveau statut de la police répondant aux aspirations de ce corps est en train en vigueur depuis plus d’un an.
Éradiquer le fléau du trafic transfrontalier de la drogue
Malgré les efforts considérables déployés par les services de répression et de prévention, l’Algérie est devenue ces dernières années une plateforme d’écoulement de drogues et de stupéfiants acheminés d’Amérique latine à travers le continent africain. Elle est aussi un marché lucratif pour les trafiquants. En tête de ces trafics, la résine de cannabis, objet d’une vaste contrebande à travers la frontière marocaine. Selon l’Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie (ONLDT), plus de 127 tonnes de résine de cannabis ont été ainsi saisies durant les huit premiers mois de l’année, et 13 000 délinquants ont été interpellés en relation avec ce trafic illicite. Tous les ans, plusieurs centaines de contrevenants sont déférés devant la justice. Le fléau atteint désormais les plus jeunes dans les établissements scolaires.
Devant cette menace, la DGSN a décidé de participer avec quelque 350 associations nationales au parrainage de caravanes de sensibilisation mettant en garde les jeunes contre ces maux sociaux. Elle s’appuie sur des films, des conférences, de statistiques et des publications scientifiques. Durant le premier semestre, près de 4 000 toxicomanes ont été pris en charge dans des centres de désintoxication et des centres intermédiaires de soins, dans le cadre de la politique nationale de prévention et de lutte contre le trafic de drogue. Les mêmes opérations préventives sont organisées par ailleurs dans le cadre de la lutte contre les violences urbaines, qui ont connu ces dernières années une inquiétante flambée. Les policiers voudraient l’éteindre par le dialogue et le travail de proximité dans les quartiers difficiles.
Les dossiers ne s’arrêtent pas là, loin s’en faut. Pour être exhaustif, il faudrait évoquer les atteintes à l’environnement, les infractions urbaines, la lutte contre les marchés informels et le travail au noir, entre autres. Mais l’essentiel, pour le général-major Hamel est que la police a acquis la place qui est la sienne parmi les institutions républicaines. Il la veut professionnelle, respectueuse de son code de l’honneur, moralement irréprochable, au seul service de l’État et du citoyen.