Certains médias aux ordres en France et au Maroc avaient véhiculé des ragouts à propos d’une divergence de vue entre l’Algérie et la Russie. Un communiqué de la présidence de la république algérienne, publié à l’issu d’un entretien téléphonique entre les deux chefs d’état, a coupé court à ces fakenews. Le président Abdelmadjid Tebboune effectuera bel et bien en mai prochain une visite d’État en Russie. Ceux qui avaient parié sur le report de cette importante visite auront été pour leurs frais.
Par Philippe Tourel
La date de cette importante visite d’État a été fixée de commun accord entre les deux chefs d’Etat. «Les perspectives de coopération énergétique» sera certes à l’ordre du jour, mais il n’y pas que cette question, aussi cruciale soit-elle. Elle sera précédée par «la réunion de la Grande commission mixte algéro-russe » qui débattra de l’ensemble des relations multidimensionnelles entre les deux pays : stratégiques, militaires, économiques, culturelles….Si la dimension énergétique sera aussi discutée, c’est que les deux pays sont de grands producteurs et exportateurs de gaz. Une denrée qui fait courir les Européens vers Alger et à leur tête l’Italie et la France.
Mais les relations entre l’Algérie et la Russie dépassent de loin la question gazière. Elles sont cimentées par une longue histoire d’amitié, de coopération et, surtout, d’affinité idéologique. Les deux pays appellent de leurs vœux à l’instauration d’un nouvel ordre mondial multipolaire, un nouvel ordre économique et médiatique mondial et à la fin de l’hégémonie d’un seul pôle, les États-Unis d’Amérique. Dans plusieurs de ses déclarations et interviews à la presse internationale et nationale, le président Tebboune a évoqué l’amitié historique et militante qui lie l’Algérie à la Russie et la Chine. Ceux qui avaient cherché, notamment aux États-Unis et en Europe, à dévier l’Algérie de cette voie s’étaient heurtés à une fin de non-recevoir, claire, nette et non négociable. L’Algérie, pays non-aligné, viscéralement attaché aux principes du droit international, tout en comprenant les raisons complexes et profondes qui avaient amené la Russie à intervenir en Ukraine, affiche une neutralité positive, souhaitant une sortie négociée de ce conflit.
La Russie a bien compris cette position de principe. Le chef de la diplomatie russe, Sergey Lavrov a réservé sa première visite après l’éclatement du conflit ukranien à Alger et à Oman, deux pays qui ont le sens de la médiation et du règlement des conflits dans leurs gênes.
Précédant l’appel téléphonique entre Abdelmadjid Tebboune et Poutine, survenu le 31 janvier, Lavrov a dressé un tableau fort élogieux des relations entre les deux pays. Invité de l’émission phare News Makers de la chaine de télévision russe RT arabic (Roussiya al-Yaoum), il a résumé ces relations par ces points :
- Nous avons de bonnes relations avec l’Algérie et nous avons soutenu l’Algérie dans sa lutte pour mettre fin au colonialisme ;
- Nous avons reconnu l’indépendance de la République algérienne trois mois avant sa proclamation ;
- Le président Tebboune comprend l’essence, l’histoire et l’avenir du partenariat stratégique russo-algérien ;
- Nous avons un dialogue actif avec l’Algérie dans tous les domaines ;
- Les niveaux des échanges commerciaux et économiques avec l’Algérie sont impressionnants et c’est l’un de nos trois plus grands partenaires en Afrique ;
- Notre partenariat avec l’Algérie déborde le cadre de l’OPEP Plus ;
- Comme l’Algérie, nous voulons des marchés stables, il n’est donc pas nécessaire d’essayer de manipuler artificiellement les prix ;
- Les Algériens ne sont pas des gens qui se laissent dicter ou exécuter des directives en provenance de l’outre-mer (USA) ;
- Le nombre de candidats à l’adhésion aux BRICS dépasse le nombre de ses membres actuels. L’Algérie en fait partie et nous soutenons sa candidature.
Lavrov connaît bien le poids de l’Algérie dans la région. Il n’ignore pas que c’est à Alger que l’idée d’une Opep-Plus a germé. Il connaît aussi la profondeur historique de la relation entre les deux peuples et les deux pays qui remonte à la guerre de libération. La Russie, contrairement aux pays occidentaux, regardait avec respect et sympathie le mouvement des non-alignés et le mouvement afro-asiatique dont l’Algérie était, depuis Bandung, un membre très actif. Cela explique pourquoi l’Algérie, tout en restant fidèle à ses alliés et amis, ne claque pas la porte à la face d’autres pays. Elle tient à avoir les meilleures relations possibles avec tous les pays du monde y compris avec les États-Unis et l’Europe dans la mesure où ils respectent sa souveraineté, son indépendance et ses choix stratégiques.
Pendant les années noires, la Russie, héritière de l’Union soviétique, se tenait du côté de l’Algérie dans sa lutte contre le terrorisme. Ce n’était le cas de la France.
L’Algérie, comme la Russie, avaient condamné vigoureusement les révolutions de couleurs et les printemps arabes que l’Occident a soutenus en sous-main. Face à l’agression contre la Libye, la Syrie ou le Yémen, elles ont appelé au respect du droit international et à la non-ingérence. L’histoire leur donné raison.
Les deux pays adoptent la même position vis-à-vis du Kosovo. Ils ont refusé de reconnaître son indépendance car imposée par la force par l’Otan. C’était d’ailleurs l’opinion de l’ancien secrétaire général de l’Onu, Boutros Boutros Ghali, qui l’a qualifiée de «dangereux précédent historique». En exprimant des réserves sur le cas de la Crimée et des républiques auto-proclamées du Donbass, l’Algérie ne fait que respecter les principes du droit international, comme l’avaient fait plusieurs pays africains, mesurant les conséquences désastreuses d’un précédent créé de force – et non de jure – par les Occidentaux. Mais cela ne l’a pas poussée à s’embrigader dans la croisade anti-russe.
On comprend pourquoi la neutralité de l’Algérie dans le conflit ukrainien n’a pas affecté son amitié avec la Russie. Cela illustre sans doute, comme l’a souligné un chroniqueur de la presse algérienne « le caractère décomplexé et fondamentalement fort des relations entre les deux pays. Le président de la République a, en effet, à maintes fois souligné la solidité de l’amitié algéro-russe qui remonte aux temps de la guerre de Libération nationale. Lors d’un entretien avec la presse nationale, il avait annoncé son intention de se rendre à Moscou, coupant ainsi court à toute fausse interprétation quant à la position de l’Algérie. On rappellera, à ce propos que le même mois, c’est- à -dire en mai prochain, le président de la République est également attendu à Paris, l’un des pays les plus farouchement opposés à la Russie. C’est dire que l’Algérie affiche son non-alignement et assume pleinement ses amitiés, tant française que russe. Ce double déplacement en un laps de temps assez court, dans deux capitales que tout oppose, est aussi un signal fort de la volonté de l’Algérie de promouvoir la paix. Il ne viendra à l’idée de personne d’avoir une autre interprétation. »
Le président Tebboune, tout engagé dans son ambitieux projet-programme d’« Algérie Nouvelle », cherche à y associer les pays amis. Avec la Russie les opportunités d’investissement ne manquent pas, notamment dans les nouvelles technologies, la production de vaccins, l’agriculture et l’industrie spatiale, les mines… La prochaine réunion de la Grande commission mixte algéro-russe, sera une étape importante dans cette voie.
On retiendra à ce propos la déclaration de Sergueï Lavrov sur l’intérêt des entreprises russes à investir en Algérie dans «l’énergie, les mines, l’exploration et l’industrie pharmaceutique». Cette visite intervient au moment où l’Algérie renoue avec une croissance enviable dans la région (5% prévue cette année), un renforcement de la coopération tous azimuts avec la Chine et l’Union européenne et une ouverture sur l’Afrique que le président Tebboune a définie comme une priorité stratégique. Le tout adossé à un chantier de réforme structurelle de l’économie, de l’administration et de la moralisation de la vie politique.
Philippe Tourel