Il avait dénoncé la mafia depuis Washington.
Abdelmalek Sellal, le sympathique ministre des Ressources en eau gardera-t-il, en tant que co-patron de l’Exécutif, son sens de la critique et son franc-parler face à la maffia en passe de régenter définitivement les affaires de la république algérienne ?
La nomination d’Abdelmalek Sellal, ministre des Ressources en eau, à la tête du premier ministère n’a pas été une grande surprise pour la plupart des observateurs et des citoyens qui ont eu à lire dans la presse pareille hypothèse depuis des mois déjà. Pas d’effet spécial donc par cette rupture avec la gestion Ouyahia de la république, puisqu’il s’agit d’un des acteurs du gouvernement sortant qui prend la relève. On aura aussi remarqué que le charismatique Sellal a choisi de rester humble lors de sa première intervention publique à son nouveau poste de responsabilité. Il limite pour l’instant ses ambitions de co-patron de l’Exécutif avec le président de la République à l’application du programme de ce dernier et à la mise en œuvre des réformes annoncées. Pourtant, pour ceux qui connaissent un peu le personnage, son passage aux différents échelons du pouvoir central, il est difficile de croire à une gouvernance pâlichonne de la part de cet homme de terrain plusieurs fois wali dans les quatre coins du pays, plusieurs fois ministre aussi et, comme on le rappelle, homme de confiance d’Abdelaziz Bouteflika. Par ailleurs, ceux qui l’ont approché savent qu’il n’a pas la langue dans sa poche et ose parfois dire tout haut ce que ses collègues au même rang de responsabilité peuvent penser tout bas. De nombreux journalistes reconnaissent en aparté qu’il fait bande à part en matière de communication non seulement par son humour – un peu tactique et immanent à sa bonhomie – mais aussi en raison de sa disponibilité à répondre aux questions sans tabou et sans protocole lors de ses sorties sur le terrain, notamment. De plus, son travail de proximité et de suivi des projets ont répandu l’idée générale que son secteur a plutôt prouvé de vraies performances malgré les robinets secs de l’été qui s’achève comme l’ont fait remarquer de nombreux commentaires. On apprécie aussi qu’aucun scandale financier majeur n’ait éclaté au niveau des départements sous sa tutelle.
Assumer le discours de Washington
Cependant, plus politique que ces éléments superficiels d’identification de l’homme d’État, il est une petite phrase surprenante qui sonne comme un lapsus révélateur à l’instar de celle lâchée lors d’une allocution qu’il a tenue en octobre 2010 à l’occasion d’un voyage aux États-Unis : « Nous avons ouvert les portes aux investisseurs étrangers et des truands sont entrés… » a-t-il déclaré sur fond de scandales financiers en Algérie, de polémiques sur les partenariats controversés. À signaler, par exemple, l’affaire Sonatrach ou le cas d’Arcelor Mittal, le géant indien partenaire majoritaire par rapport à Sider et qui s’est emparé de l’outil de production d’El-Hadjar à Annaba dans le domaine de la sidérurgie sans investir comme il l’avait promis et en compromettant l’avenir de ce qui fut le fleuron de « l’industrie industrialisante » d’une époque révolue. Un tel coup de gueule à partir de Washington, au pays de la libre entreprise sacralisée, n’est pas anodin. On se souvient qu’une délégation politique du sud-est de la France s’était déplacée à Alger à La fin de 2009 pour tenter d’infléchir la loi de finance algérienne qui limitait les importations au point d’asphyxier le port autonome de Marseille et que l’introduction du Credoc suscitait moult opérations de lobbying interne et externe pour que les gouvernants reviennent sur les orientations protectionnistes de la politique économique de l’heure. Dans ce contexte, le ministre des Ressources en eau dépassait allègrement ses habituelles projections ou satisfecit sur la réalisation d’un barrage ou d’une station d’épuration… Parce que le mot « truand » n’appartient pas à la langue de bois usitée dans le langage diplomatique et que ces truands étrangers ont forcément bénéficié de la complicité de truands nationaux dans leur entreprise contre les intérêts de l’Algérie. La petite phrase de Sellal prendra tout son sens, sans qu’on la rappelle à la mémoire des Algériens, quand Ahmed Ouyahia évoquera plus tard « les barons de l’informel » qui dictent leur loi aux institutions. Doit-on espérer une miraculeuse lutte contre ces barons de la part d’un ministre qu’on aurait choisi à El-Mouradia – et au niveau des différents centres de décision du pays – pour sa « neutralité » politique dans la guerre de chapelles et de clans qui s’intensifie à la veille des élections locales et en prévision de 2014 ? Il faudra chercher la réponse dans les premières grandes décisions du nouveau premier ministre condamné à assumer son discours de Washington au palais du gouvernement à Alger. Au moment où la représentante partante de l’Union européenne reproche encore à l’Algérie de ne pas encourager assez les IDE, les investissements directs étrangers.
Source : Le Jeune Indépendant