L’agriculture et le développement rural figurent parmi les chantiers les moins connus ouverts ces dix dernières années en Algérie. L’État a pourtant lancé d’importantes réformes structurelles pour assurer la remise à niveau des territoires agricoles et leur intégration dans la dynamique nationale de croissance. Avec pour objectif d’assurer la sécurité alimentaire du pays, il s’est appuyé sur les résultats des expériences acquises depuis le recouvrement de la souveraineté nationale il y a cinquante ans, et les leçons tirées des crises alimentaires de plus en plus graves qui secouent le monde par intermittence.
Les grandes orientations de cette politique avaient été fixées par le président Abdelaziz Bouteflika dans un discours prononcé en 2009 à Biskra (Sud-Est algérien) : « L’agriculture doit se transformer en véritable moteur de la croissance économique globale grâce à une intensification de la production dans les filières agroalimentaires stratégiques et grâce également à la promotion d’un développement intégré de territoires ruraux […]. Il faut faire de l’agriculture un véritable moteur de la croissance, du bien-être de toute la population, mais aussi de la sécurité alimentaire du pays, laquelle deviendra de plus en plus une affaire de sécurité nationale dans le monde d’aujourd’hui. L’enjeu est la préservation de l’indépendance nationale […] et un développement stable et continu, dont l’agriculture constitue un moteur puissant, au service de nos jeunes générations. L’enjeu est enfin l’aboutissement réel de ce long chemin qui nous a conduits à restaurer la liberté et à recouvrer la terre de nos ancêtres. »
Une enveloppe substantielle a été ainsi dégagée sur le budget de l’État pour financer le programme de développement du secteur pour la période 2010-2014. Sa mise en œuvre repose sur trois piliers : constitution de filières intégrées de l’amont vers l’aval industriel, promotion de la ruralité, renforcement de l’encadrement et formation de nouveaux acteurs aux diverses techniques de la lutte contre la désertification et de préservation des ressources naturelles dans une perspective de développement durable. Elle a été confiée au ministère de l’Agriculture qui doit assurer ainsi un triple rôle d’animation, de développement et de régulation de ce secteur stratégique.
Le lancement de ce programme de réhabilitation s’est accompagné d’une mise à plat de la gestion foncière des terres agricoles, qui affecte le développement du secteur depuis l’indépendance. Le domaine privé de l’État a été concédé pour une durée déterminée aux exploitants, selon des modalités précises fixées pour sécuriser le bénéficiaire et améliorer le rendement des terres. Le nouveau dispositif a permis de libérer les initiatives et de résoudre l’épineuse question du financement de l’activité agricole. Celle-ci est désormais liée aux performances de l’exploitation dans le cadre de contrats de performance entre l’exploitant et la puissance publique. Les concessionnaires peuvent bénéficier d’abattements allant jusqu’à 90 % du montant de la redevance annuelle pendant les trois premières années de l’investissement et d’un abattement de 50 % pendant les trois premières années d’exploitation.
Réputés pour ne pas remplir les conditions d’éligibilité et ne pas offrir les garanties exigées par les établissements bancaires, les exploitants agricoles et acteurs agro-industriels ont souvent souffert des restrictions de financement auprès des banques, y compris les banques publiques. Depuis l’année dernière, la Caisse publique de garantie a été autorisée à garantir les investissements agricoles au même titre que ceux consentis aux petites et moyennes entreprises industrielles (PME). Un meilleur accès aux guichets des banques a été organisé, permettant d’accélérer l’examen des dossiers d’octroi des prêts. En outre, des crédits spécifiques : crédits de campagne (RFIG) d’une durée de deux ans et crédits d’investissement (Ettahadi) d’une durée de sept ans sont consentis en faveur des exploitants et des créateurs de nouvelles exploitations agricoles ou d’élevage sur les terres en friche privées ou publiques.
La concertation mise en place par les autorités avec les organisations professionnelles (chambres d’agriculture, mutualités agricoles et conseils interprofessionnels par filière, nationaux et régionaux) a permis une nette amélioration de la régulation des marchés. Elle a assuré un juste revenu aux producteurs et des prix accessibles pour les consommateurs, neutralisant ainsi les effets pervers des intermédiaires. Certes, des dysfonctionnements sont encore constatés, notamment pendant les pics de consommation, mais pour l’essentiel la maîtrise des marchés des principaux produits de grande consommation est désormais assurée tout au long de l’année.
Pour les autorités, l’introduction dans la sphère agricole de nouvelles technologies et des principes directeurs du développement durable est une condition pour amorcer une révolution verte et améliorer la sécurité alimentaire au pays. L’agriculture et l’industrie agroalimentaire pourront ainsi participer effectivement, durant les deux prochaines décennies, à la construction d’une économie diversifiée moins dépendante des hydrocarbures. L’après-pétrole doit se préparer aussi dans les campagnes.
Plusieurs filières prioritaires ont été identifiées pour valoriser la production agricole et assurer les besoins nationaux. Il s’agit notamment des céréales et des légumes secs, du lait, des viandes rouges et blanches, de la tomate industrielle, de l’oléiculture, des semences et des pommes de terre. Il s’agit de produits de grande consommation – dont l’importation pèse sur les ressources nationales en devises. Ces aliments figurent en bonne place dans le budget familial.
Autre volet de la stratégie globale de réhabilitation des campagnes : le renouveau rural. Il s’adresse aux populations vivant dans des zones isolées ou enclavées, dans le cadre d’une politique plus vaste d’aménagement du territoire national. Les zones ciblées sont des régions montagneuses ou steppiques, marquées par le morcellement de la propriété, le déficit d’équipements sociaux et culturels, etc. Elles ont particulièrement souffert du terrorisme, se vidant progressivement de leurs populations qui se sont réfugiées à l’orée des métropoles urbaines, dans des conditions de dénuement parfois extrêmes. Il faudrait, si c’est encore possible, assurer leur retour dans leurs foyers.
Pour le ministère de l’Agriculture, il s’agit à la fois d’un programme visant à développer l’espace rural et améliorer le niveau de vie de ses habitants, et d’un plan anti-pauvreté. Le programme de réhabilitation, fondé sur deux principes complémentaires : pas de territoires marginalisés et pas de territoires sans avenir, a pour objectif de rétablir les équilibres dégradés des territoires ruraux à travers de multiples projets de proximité. Diverses actions sont entreprises à la charge de l’État pour restaurer ces espaces : lutte contre la désertification, traitement des bassins versants, mise en valeur de périmètres agricoles, extension et meilleure gestion du patrimoine forestier, conservation des écosystèmes naturels, etc.
Un programme de formation et de perfectionnement des capacités humaines et de l’encadrement de ce secteur est en cours pour la modernisation de l’administration, les services techniques, la recherche, l’assistance technique aux exploitants. Il a permis en 2010 de former plus 200 000 cadres, vulgarisateurs et agriculteurs, et de réaliser plusieurs dizaines de milliers de messages radio et supports écrits à destination des exploitants. Un comité national et huit comités régionaux de coordination de la recherche agronomique et forestière et d’assistance technique constituent un espace d’échange entre les acteurs de la recherche et ceux de l’assistance technique. Ils s’appuient sur quatorze instituts et 113 stations d’expérimentation. S’y ajoute le Bureau national d’études de développement rural, adossé à un réseau national de 250 bureaux d’études et de conseils agricoles privés et un institut national de vulgarisation agricole.
Ces efforts publics commencent à donner leurs fruits. On le constate sur les marchés de grande consommation. Mais, au-delà, ce qui est visé est la réhabilitation de l’agriculture en tant qu’activité stratégique pourvoyeuse d’emplois, élément essentiel de la sécurité alimentaire dans un monde menacé par la pénurie et la spéculation.