Les hydrocarbures continueront longtemps encore à jouer un rôle essentiel dans le financement de l’économie et le développement du pays. Mais l’accroissement rapide de la consommation intérieure et l’approche du peak oil, date à laquelle les ressources fossiles commenceront à se tarir, ont incité les autorités à élaborer une stratégie assurant la sécurité énergétique. Elle est fondée sur l’intensification de l’exploration des ressources non conventionnelles et la mise en place d’énergies renouvelables.
C’est sans doute la crainte de la pénurie qui a poussé ces dernières années les « puissances impériales » à intensifier leur ingérence dans les affaires internes des pays producteurs – allant jusqu’à l’intervention militaire directe. Après l’Irak, le cas de la Libye révèle à son tour la soif de pétrole qui s’est saisie de ces puissances et leur volonté de domination des endroits où existent des gisements d’hydrocarbures, en particulier au Moyen-Orient. Le drame de la Syrie, à quelques encablures d’une énorme poche de gaz en Méditerranée, relève aussi de cette stratégie. L’expert algérien Mourad Preure, égrenant les crises autour du pétrole qui se sont succédé au Moyen-Orient depuis 1947, du renversement de Mossadegh, en Iran, jusqu’au premier choc pétrolier en 1973, en passant par l’agression tripartite franco-anglo-israélienne contre Suez en 195, se demande si le monde n’est pas à l’aube d’un nouveau Yalta énergétique.
Alors que les ressources en hydrocarbures sont de plus en plus rares, elles sont de plus en plus convoitées par les pays d’Asie formant le nouveau centre de gravité de l’économie mondiale. Pour autant, les tendances lourdes ne sont pas appelées à changer de sitôt. La demande mondiale d’énergie ira croissant. Même si tous les acteurs se disent à la recherche d’un « mix énergétique » optimum et que le changement climatique pèsera sans doute plus sur les politiques énergétiques mondiales (économie d’énergie), le pétrole et le gaz continueront à représenter l’essentiel de la consommation durant les trente prochaines années.
La production de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep, incluant l’Algérie), stable ces dernières années, représente, bon an mal an, une moyenne de 25 à 30 millions de barils par jour. La croissance de la demande évoluant parallèlement à l’accroissement du parc automobile – en particulier dans les pays émergents –, le pétrole de l’Opep sera plus sollicité que celui des pays non-Opep, selon les experts. Par ailleurs, le peak oil ne concerne que le pétrole conventionnel. Le gaz devrait entrer dans un âge d’or prolongé du fait des caractéristiques environnementales, d’après les prévisions actuelles. Cependant, l’essentiel de la problématique tourne autour de la transition énergétique. Sera-t-elle sans heurt, concertée entre producteurs et consommateurs, ou chaotique telle qu’on la voit se dessiner à travers les nouvelles guerres impériales au Moyen-Orient ?
Pour l’Algérie, un impératif prévaut : sécuriser à terme le financement de l’économie nationale et pourvoir à la consommation intérieure en pleine croissance, au prix, éventuellement, d’un réajustement de la politique énergétique nationale. La crainte est que d’exportateur, le pays se transforme en importateur d’hydrocarbures. Même si elle est envisagée, l’hypothèse semble pour l’instant peu probable.
En 1971, la nationalisation des ressources d’hydrocarbures (51 % de la production de pétrole brut, 100 % des réserves de gaz et 100 % de tous les moyens de transport d’hydrocarbures), ainsi que l’abolition du régime de concessions, a donné aux autorités des moyens accrus pour le financement du développement. L’Algérie dispose d’à peine 1 % des réserves mondiales de pétrole (11 milliards de barils) et de 2,5 % des réserves mondiales de gaz. Elles sont estimées à 4 500 milliards de m3, avec une durée de vie de 54 ans. Évaluées à 3 300 milliards m3 à la fin de 1990, elles ont connu une hausse importante grâce aux découvertes faites parallèlement à celles du pétrole.
Depuis, l’élargissement de l’exploration et l’introduction de technologies performantes par la compagnie nationale Sonatrach, seule ou en partenariat avec d’autres groupes pétroliers étrangers, ont permis découvrir de nouveaux gisements. Ils ont maintenu les réserves en volume pratiquement à leur niveau, malgré les pompages continus des cinq dernières décennies. Ces découvertes ont compensé les volumes importants consommés sur le marché national et ceux exportés depuis 1970.
Le domaine minier national reste par ailleurs faiblement exploré, avec une moyenne de 8 puits forés pour 10 000 km2, contre une moyenne mondiale de 100 puits. Selon des experts, la durée de vie des réserves pétrolières de l’Algérie, en l’état actuel des connaissances, serait de l’ordre d’une vingtaine d’années pour le pétrole. Pour ce qui est du gaz – dont la durée de vie difficile à calculer –, les experts tablent sur au moins cinquante ans. Outre la consommation intérieure (besoins industriels et des ménages), en forte croissance, l’Algérie est engagée dans un ambitieux programme d’exportations tous azimuts pour se procurer les devises indispensables au développement.
La demande intérieure à moyen terme devrait atteindre quelque 60 milliards de m3 à un rythme soutenu. Elle a plus que doublé en dix ans. Concernant les exportations, les prévisions oscillent entre 85 et 100 milliards de m3 en fonction de l’évolution des données internationales. Troisième fournisseur de gaz de l’Europe, après la Russie et la Norvège, l’Algérie lui fournit 25 % à 30 % de ses besoins, soit 70 % de ses exportations. Elle fournit aussi les États-Unis et l’Asie en gaz naturel liquéfié (GNL). Dans les cartons, une coopération entre la Nigerian National Petroleum Company (NNPC) et la Sonatrach pour construire un gazoduc baptisé Trans Saharan Gas Pipeline (TSGP). Long de 4 128 kilomètres (dont 2 310 km sur le territoire algérien), il devrait alimenter l’Europe en gaz puisé dans le delta du Niger. Le coût prévu est de l’ordre de 10 à 13 milliards de dollars, financé en partie par l’Europe.
La compagnie algérienne doit investir 68 milliards de dollars sur quatre ans dans le développement des gisements d’hydrocarbures. Une part sera consacrée au développement des sites pétroliers et gaziers, une autre au développement de l’exploration dans le Grand Sud. Il est prévu notamment de forer d’autres puits de gaz de schiste, ce produit non conventionnel qui a bouleversé les équilibres du marché américain ces dernières années, et qui risque de modifier à terme la donne internationale. Sonatrach investira quelque 12 milliards de dollars à moyen terme dans cette recherche, selon son PDG Abdelhamid Zerguine. Les estimations les plus prudentes tablent sur un potentiel de 2 500 milliards de m3, proche des réserves actuelles. Les autorités s’orientent en outre vers l’octroi de nouvelles incitations fiscales pour attirer davantage d’investisseurs internationaux dans l’amont pétrolier.
Pour le ministre de l’Énergie et des Mines, Youcef Yousfi, le pays doit s’adapter à la réalité internationale. « Nous disposons de réserves d’hydrocarbures très confortables, mais nous devons nous assurer de la sécurité de l’approvisionnement sur le long terme et renforcer le rôle de l’Algérie comme acteur incontournable du commerce international de l’énergie », a-t-il dit.
Les hydrocarbures constituent un enjeu de premier ordre et une priorité nationale au regard de l’ampleur des besoins financiers du pays, aussi bien en termes de moyens de paiement extérieurs qu’en termes de ressources budgétaires. Ils seront encore pour longtemps un moyen privilégié de financement du développement économique. Cela requiert l’intensification de l’exploration, l’amélioration des conditions d’exploitation des gisements de pétrole en cours de production, le développement de gisements de gaz et la consolidation de la vocation gazière de l’Algérie. La stratégie du secteur doit ainsi tenir compte de deux objectifs qu’il lui faut rendre compatibles : d’une part, financer le développement par l’exportation, d’autre part, couvrir les besoins nationaux sur le long terme. D’où l’orientation vers les énergies renouvelables dans le cadre d’un mix énergétique maîtrisé.
Alger a récemment exploré les possibilités d’une éventuelle participation au projet allemand, baptisé Desertec, de production d’énergie solaire et d’eau dessalée sur le pourtour méditerranéen pour satisfaire une partie (15 % à 17 %) de la demande européenne d’électricité à l’horizon 2050. Le mégaprojet, inspiré par des universités allemandes qui rassemblent autour d’elles plusieurs groupes industriels des deux rives de la Méditerranée – Allemands, Italiens, Espagnols, Algériens (Cevital de Issad Rebrab, etc.) –, pourrait fédérer plusieurs partenariats algéro-allemands. L’enveloppe financière en jeu est colossale : 400 milliards d’euros. Les États concernés n’ont pas toujours manifesté clairement leur intérêt pour que les financements se mettent concrètement en place.
Le projet allemand est en concurrence avec un projet français plus modeste, Transgreen, placé sous l’égide d’EDF, mais qui n’a pas encore fait appel à des entreprises du Sud. Alger a déjà dit sa volonté de ne pas se positionner en simple fournisseur de matière première (soleil et désert), ni en « consommateur » primaire d’électricité, mais en partenaire à part entière, preneur de transferts de technologie, producteur de panneaux solaires et autres équipements industriels. Il a insisté aussi sur la nécessité de garantir l’ouverture du marché européen à d’éventuels excédents de production électrique en Algérie. Cette disposition est essentielle en effet : l’électricité ne pouvant pas être stockée, il est indispensable qu’elle puisse être vendue au fur et à mesure qu’elle est produite, au risque de pertes de capacités pour le pays producteur.
L’Algérie envisage de lancer un programme de développement des énergies renouvelables qui vise à produire dans vingt ans, à partir de sources alternatives comme le soleil, le vent ou la géothermie, les mêmes quantités d’électricité qu’elle produit actuellement à partir du gaz naturel. Avec 300 000 heures d’ensoleillement par an, elle dispose d’un gisement inépuisable d’énergie solaire, dont la capacité théorique pourrait atteindre 1 700 kWh par mètre carré et par an au nord, et 2 260 au sud, selon les experts. Dans le cadre de sa politique de mix énergétique, ce programme représente un énorme défi. L’Algérie réfléchit à la possibilité de se doter de centrales nucléaires pour des usages civils et pacifiques, notamment la production d’électricité. Elle a signé des accords cadres en ce sens avec la France, les États-Unis, la Chine et l’Argentine, mais aucun programme concret n’a pour l’instant été annoncé.
Un socle de coopération élargie a été constitué avec l’Allemagne dans les énergies renouvelables. L’un de ses fleurons est la centrale hybride solaire-gaz naturel d’une capacité de 150 MW, construite à environ 500 kilomètres au sud d’Alger. Les deux pays s’intéressent aussi à la production d’hydrogène à partir de l’énergie solaire, aux piles à combustible, dont le développement conditionne l’avenir de la voiture électrique, etc. Pour la promotion de ces énergies du futur, l’Algérie a créé une entreprise publique spécialisée, filiale de Sonelgaz. Elle dispose d’un centre de recherche qui coopère activement avec des instituts allemands.
Pour les experts algériens, si le recours aux énergies renouvelables est désormais inévitable, compte tenu de la durée de vie des énergies fossiles, une préparation sérieuse est le gage de la réussite dans ce domaine, qui connaîtra beaucoup de bouleversements dans les années à venir. Parmi les conditions de réalisation, figurent notamment les tarifs qui seront consentis en Europe aux producteurs d’outre-Méditerranée. À l’horizon 2020-2030, les prix devront atteindre un niveau acceptable assurant la rentabilité des investissements. Pour le moment, il n’existe pas de marché unifié européen, chaque pays ayant sa propre vision de son avenir énergétique.