Tel un marronnier, la crainte de l’épuisement des gisements d’hydrocarbures revient régulièrement à la une de la presse algérienne. Des analyses frappées du sceau du pessimisme suggèrent que l’Algérie risquerait de se réveiller dans une ou deux décennies avec une balance énergétique déficitaire. D’exportateur d’hydrocarbures, elle passerait dans la catégorie des importateurs, avec les conséquences que l’on devine sur ses équilibres économiques et sociaux.
Les ventes d’hydrocarbures sur le marché international constituent près de 98 % des recettes extérieures du pays et autour de 70 % des recettes fiscales de l’État. Entre 2000 et 2012, la compagnie pétrolière nationale Sonatrach aura engrangé quelque 600 milliards de dollars de revenus pétroliers et gaziers, en hausse d’année en année, et qui conditionnent le financement du développement à long terme du pays. Faute de ressources significatives hors hydrocarbures, ils sont également mobilisés pour couvrir les besoins immédiats (éducation, logement, emplois) d’une population très jeune, qui atteindra sous peu cinquante millions d’habitants.
L’inquiétude des experts n’est nullement partagée par les autorités, qui estiment, au contraire, que le sous-sol algérien est loin d’avoir dit son dernier mot. Si le modèle de consommation énergétique intérieur actuel incite à une gestion prudente et à l’économie, les projections linéaires (courantes) donnent du potentiel pétrolier et gazier algérien une photographie statique qui ne tient pas compte des recherches effectuées ces dernières années pour évaluer au plus près les réserves prouvées et probables du pays. Pas plus qu’elles ne donnent une idée des progrès technologiques et des investissements à venir pour les mettre à jour. Selon les données disponibles, les réserves pétrolières prouvées de l’Algérie s’élèveraient à quelque 13 milliards de barils (1 % des réserves mondiales) et ses réserves de gaz autour de 4 500 milliards de m3, soit près de 2,5 % des réserves mondiales.
Dans une récente intervention à la radio nationale, le ministre de l’Énergie et des Mines, Youcef Yousfi, a indiqué que les Algériens brûlaient pour leur usage interne environ 40 millions de tonnes d’équivalents pétrole par an à un rythme de progression suffisamment rapide pour que la consommation domestique double dans dix ou quinze ans. La consommation de carburant connaît notamment des taux de croissance annuels élevés – autour de 20 % –, ce qui a contraint l’Algérie à faire appel cette année à l’importation pour couvrir ses besoins en produits lourds. La consommation électrique, tributaire des hydrocarbures, tutoie elle aussi des sommets. « La réflexion sur le long terme nous amène à mobiliser toutes les énergies disponibles dans le pays, les hydrocarbures, le charbon, les énergies renouvelables, le nucléaire », a expliqué le ministre. Il s’agit d’assurer la couverture de la demande interne tout en maintenant un niveau d’exportations compatible avec les besoins de financement à moyen et à long terme de l’économie.
Pour assurer la sécurité énergétique du pays, la priorité a été accordée à l’intensification de l’exploration en vue d’augmenter les réserves d’hydrocarbures. Avec un ciblage bien défini : « Il faut encourager l’exploitation des petits gisements qui sont à la limite de la rentabilité et les gisements qui exigent des technologies particulières, comme la récupération tertiaire ou les opérations de stimulation. Nos géologues, géochimistes et spécialistes pensent qu’il existe un potentiel là où il y a un bassin sédimentaire. Nous avons des idées sur le potentiel de ces régions. Il faut aller forer pour voir s’il y a des hydrocarbures ou non », a insisté Youcef Yousfi. L’exploration doit être orientée vers les régions peu prospectées comme le Sud-Ouest, le Nord et l’offshore. Des amendements ont été apportés à la loi sur les hydrocarbures pour encourager les investisseurs étrangers à prendre plus de risques dans des domaines miniers délaissés jusqu’à présent, notamment grâce à des incitations fiscales.
Sans bouleverser l’architecture des impôts en vigueur, des aménagements ont été décidés tenant compte notamment, pour le calcul de la redevance, de la rentabilité des gisements que les experts estiment entre 10 et 20 % de l’investissement initial. « Nous ne bouleversons pas ces taxes. Pour les redevances, tout dépend des difficultés et des régions où les explorations se font, s’il y a des installations ou pas, s’il y a des risques géologiques ou non… Le taux de la redevance peut varier. Ces amendements répondent aux préoccupations de nos partenaires et à notre objectif d’intensifier l’exploration », a souligné le ministre.
En plus d’accroître l’attractivité du domaine minier, d’intensifier l’effort d’exploration, de valoriser les réserves, de garantir des revenus d’exportation conséquents et d’assurer la couverture des besoins nationaux sur le long terme, ces amendements consolident aussi la place de la Sonatrach dans le dispositif d’ensemble. La compagnie nationale obtient ainsi un droit exclusif de 100 % sur les infrastructures de transport des produits pétroliers et gaziers par canalisation, et se voit garantir la majorité absolue (51 %) des partenariats dans la production et la transformation des hydrocarbures (pétrochimie). Les investisseurs étrangers doivent s’engager par ailleurs à réserver une partie de leur production (gaz et pétrole) afin d’assurer l’approvisionnement du marché domestique en cas de besoin.
L’ambitieux programme d’investissement dont Sonatrach s’est dotée pour la période 2012-2016 est une application de cette stratégie. D’un montant de 80 milliards de dollars, il accorde une place importante à la prospection de nouveaux gisements afin de renouveler les réserves pétrolières et gazières du pays. Avec une idée forte exprimée par le PDG de la compagnie, Abdelhamid Zerguine : « Le poids de Sonatrach réside dans ses réserves et non dans ses ventes. » L’entreprise compte s’y employer avec ses moyens propres et en partenariat avec des groupes étrangers. Son objectif est d’augmenter ses réserves de 11 % au moins d’ici à 2016.
Dans l’aval pétrolier, outre la remise à niveau des raffineries existantes : Arzew, Alger, Skikda, la compagnie prévoit par ailleurs de construire cinq nouvelles raffineries pour porter la capacité totale de raffinage du pays à 55 millions de tonnes de brut par an en 2016. Enfin dans la pétrochimie, elle doit lancer une série d’unités de production (engrais, polymères, additifs) pour capter la valeur ajoutée de son brut jusqu’ici détournée vers l’étranger, couvrir les besoins domestiques, alléger la lourde facture des importations et mailler le tissu industriel de petites et moyennes entreprises spécialisées.
Le troisième volet de la sécurité énergétique concerne l’investissement dans la production d’électricité. Le taux d’électrification du pays frôle désormais les 100 %, mais les tensions ne sont pas rares sur le réseau nécessitant des délestages lors des pics de consommation – en été en particulier. Le programme prévoit la construction de plusieurs nouvelles centrales électriques, dont une à cycle combiné de 1 200 MW et neuf autres d’une puissance totale de 8 000 MW, de trois postes de haute tension et de 10 000 km de réseau de transport de haute tension. Cela pour un coût total de 27 milliards de dollars.
L’Algérie s’oriente par ailleurs vers les énergies renouvelables (solaire et photovoltaïque), en s’associant notamment au réseau Desertec, mais en gardant une large marge d’appréciation autonome quant aux structures et au fonctionnement de ce partenariat. Enfin, le premier ministre Abdelmalek Sellal s’est déclaré en faveur de la prospection du pétrole et du gaz de schiste afin d’enrichir le mix énergétique du pays. Des résultats positifs se traduiront par un renouvellement des réserves ou, pour le moins, par la compensation des prélèvements sur les gisements actuels. Sonatrach devrait pouvoir partager le risque technique et financier énorme de ces prospections avec des associés étrangers.