Les Algériens ont classé comme une commodité de langage, sans arrière-pensée, une déclaration de Nicole Bricq, ministre française du Commerce extérieur, selon laquelle « l’Algérie doit redevenir une destination naturelle des entreprises françaises ». Ils se sont contentés de lui rappeler discrètement qu’il n’y a rien de « naturel » dans les échanges économiques et commerciaux entre pays, mais seulement des intérêts et du donnant-donnant. Les opérateurs français qui abordaient jusque-là le marché algérien avec une « mentalité colonialiste », selon l’aveu de l’un d’eux lors du Forum économique algéro-français tenu à Alger les 28 et 29 mai, sont en train de le comprendre à leurs dépens.
Ni chasse gardée ni exclusion, l’Algérie a développé dans ses relations avec l’extérieur une conception fondée sur la recherche de partenariats avantageux, gagnant-gagnant. Les Algériens ont aussi mis en exergue la stabilité de leur pays, dans une aire géographique agitée depuis plusieurs mois par les « printemps arabes » à l’avenir incertain, la bonne gestion de ses finances, soulignée par l’accumulation d’une cagnotte de près de 200 milliards de dollars le mettant à l’abri de retournement de la conjoncture, et un vase programme de ré-industrialisation du pays nécessitant des équipements lourds.
Ces atouts s’ajoutent, d’une part, à la proximité géographique entre l’Algérie et la France, séparées par la Méditerranée comme la Seine sépare la rive droite de la rive gauche de Paris, selon une ancienne métaphore, et, d’autre part, à une histoire commune. Ainsi, quelque 300 000 cadres français avouent avoir un lien affectif ou familial avec l’Algérie, en plus d’une nombreuse diaspora algérienne installée en France. « Avec l’Algérie, nous partageons la même culture méditerranéenne, nous n’avons pas besoin de traducteurs, le risque est quasi inexistant, alors pourquoi j’irais chercher en Chine ce que je peux trouver à deux heures d’avion de Paris pour moins cher ? D’autant que, aujourd’hui, il y a une volonté politique très forte des deux côtés pour qu’il y ait plus d’échanges, quitte à faire du gré à gré sur certains marchés afin de favoriser les entreprises françaises », résume un opérateur, enchanté de la tournure des événements depuis la dernière visite du président français François Hollande en Algérie.
Pendant des années, les entreprises françaises, repliées sur elles-mêmes, se sont laissé distancer par des voisins européens comme l’Italie, l’Espagne ou l’Allemagne, ou des partenaires plus lointains comme la Chine ou les États-Unis.
Nicole Bricq, qui était déjà dans la délégation de François Hollande, est revenue à Alger, dans un contexte de crise, alors que la France accuse un déficit de plus en plus important de sa balance commerciale, avec une feuille de route claire : rattraper le temps perdu en changeant de méthode d’approche du marché algérien, que certains opérateurs français, trop confiants en eux-mêmes, considéraient comme une sorte d’eldorado, facile d’accès, hors de toute concurrence. La ministre reconnaît que « la France a raté beaucoup d’occasions en Algérie ». Elle s’indigne que les entreprises françaises ne se soient « pas mobilisées plus que cela » pour capter les flux qui leur passaient sous le nez et ajoute, à l’adresse de ses compatriotes : « L’Algérie ne peut pas être qu’un marché, c’est vraiment un partenaire. »
Vieux routier du gouvernement qui en connaît tous les arcanes, Cherif Rahmani, nouveau ministre de l’Industrie, en charge de l’ambitieux programme de ré-industrialisation du pays, a mis les points sur les « i » : « Il ne faudrait plus considérer le Sud comme un showroom pour les entreprises du Nord. Il est temps d’aller vers une mutualisation des efforts pour donner un sens aux relations économiques entre les deux pays. »
Paris a nommé pour une durée d’un an Jean-Louis Levet, conseiller auprès du commissaire général à l’investissement, haut responsable de la coopération industrielle franco-algérienne. Son rôle consistera, en relation avec ses correspondants algériens, à « identifier les possibilités de coopération technique, les partenariats en matière de recherche et développement, les filières industrielles, les coproductions envisageables entre entreprises, les circuits de commercialisation communs, ainsi que les outils de financement des entreprises susceptibles d’être mobilisés. »
Près de 200 petites et moyennes entreprises françaises et algériennes ont assisté au Forum, qui s’est conclu par la signature d’un mémoire fixant les grands axes de la coopération future entre les deux pays. La rencontre s’est déroulée autour de quatre secteurs : santé, agroalimentaire, nouvelles technologies de l’information et de la communication, ville durable. Elle s’est déclinée en thèmes débattus en ateliers : mieux se soigner, mieux se nourrir, sous-traitance automobile, BTP et matériaux de construction.
La France reste le premier partenaire commercial de l’Algérie, avec 10 milliards d’euros d’échanges, mais sa part de marché a reculé ces dernières années, dans un contexte commercial plus rude. Elle est aussi le premier investisseur en Algérie hors hydrocarbures (40 000 emplois directs et 100 000 emplois indirects) et compte bien « intensifier ses investissements » dans un partenariat qui « suppose une relation d’égalité, des projets communs et une direction commune ambitieuse », a dit Nicole Bricq. Elle plaide pour un partenariat d’un nouveau type, la « colocalisation ». Un langage qui a été bien reçu.