Avec ceux de la Santé, de l’Éducation, du Commerce et du Transport, le ministre de l’Habitat a en charge l’essentiel des préoccupations quotidiennes d’une société en pleine mutation. Les aspirations des Algériens à une vie digne, dans un foyer stable, convergent vers l’habitat, qui rame le vent en face. Dans l’imaginaire national, le logement est le bien le plus précieux. C’est le « caveau du vivant », dit l’adage populaire. Qu’il appartienne à l’élite prête à payer la qualité au prix fort, à la classe moyenne en quête d’un habitat confortable et décent, dans un environnement agréable, ou aux classes populaires, qui sont tournées vers les aides multiples de l’État, se loger reste un casse-tête chinois pour les Algériens. Pour les ministres, ce sont des arbitrages complexes à l’infini, des grandes migraines et des nuits sans sommeil pour le choix des promoteurs, la sélection des architectes, la mise en place des financements et, last but not least, l’attribution en phase finale des unités achevées.
L’opération de répartition est un véritable cauchemar pour les préfets. Car, pour un postulant heureux qui peut enfin emménager, il faut compter au moins un autre frustré, qu’ils doivent faire patienter jusqu’au prochain tour. D’où les contestations, parfois musclées, sinon violentes, des listes officielles d’attribution et les accusations réflexes de corruption et de favoritisme visant les autorités qui ponctuent toute remise collective de logements, notamment dans les petites agglomérations où tout le monde se connaît et… se jalouse. Les tricheurs ne sont pas les derniers à être mis à l’index. Les autorités se sont aperçues à l’expérience que bien des demandeurs postulent dans plusieurs départements à la fois, en leur nom propre ou en celui d’autres membres de leur famille, accumulant ainsi les appartements qu’ils n’hésitent pas à louer ensuite en sous-main, en toute illégalité.
Pour mettre un peu plus d’ordre dans les attributions, couper l’herbe sous les pieds des tricheurs et prévenir les contestations, le nouveau ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme, Abdelmajid Tebboune, a rendu obligatoire la consultation du fichier national des attributaires – et plus seulement les fichiers régionaux et locaux – avant de retenir une quelconque candidature.
Le secteur a connu un « trou d’air » les deux premières décennies suivant l’indépendance du pays. Les Algériens, délivrés des infâmes centres de regroupement érigés par l’armée française au titre de la « pacification » pendant la guerre de libération nationale, avaient déserté les misérables quartiers populaires, dits « arabes », enserrés dans les villes coloniales ou végétant à l’orée de ces métropoles repues. Ils s’étaient alors approprié le parc laissé en déshérence par les pieds-noirs. La construction n’a repris qu’un peu plus tard, à un rythme d’abord lent, puis de plus en plus soutenu.
Avec près de huit millions de logements occupés, le parc actuel a presque quadruplé par rapport aux deux millions d’unités abandonnées par les colons. De 1998 à 2012, il a connu un accroissement de 50 %. Mais, ces efforts et les sommes colossales mobilisées pour combler le déficit et assurer un toit à chaque Algérien ont été contrariés par la pression démographique et l’exode rural. Deux chiffres : de 9 millions en 1962, la population algérienne est passée à 35 millions d’habitants aujourd’hui. Environ 80 % de cette population est désormais urbaine, installée sur une frange littorale qui ne dépasse pas 20 % de la superficie totale du pays – l’un des deux plus vastes d’Afrique. Même si ces deux phénomènes sont en recul depuis quelques années, l’offre de logements reste inférieure de moitié à la demande, aggravant d’année en année la pénurie. Celle-ci s’avère cruelle pour les jeunes générations, qui voient entravés leurs projets de mariage ou, plus simplement, d’installation hors du cocon familial. Ils sont alors obligés d’y rester, souvent dans une promiscuité éprouvante.
Les requins de l’immobilier font leur miel de cette demande pléthorique, croissante, incompressible et pressante. Les loyers dits « libres » tutoient des sommets dans les grandes agglomérations. Aussi est-ce à un « choc de l’offre » qu’appelle Abdelmajid Tebboune, qui avait à son actif une longue expérience du terrain en tant que préfet avant de se voir attribuer son premier maroquin.
Pour le premier ministre Abdelmalek Sellal, usant à dessein d’un vocabulaire guerrier pour mieux sensibiliser les responsables à tous les niveaux, la bataille de l’habitat est la « mère des batailles » pour les prochaines années. Le plan quinquennal en cours (2010-2014) a programmé la construction de 2,5 millions de logements toutes catégories confondues. Un million relève du logement public locatif à caractère social – dont 500 000 sont réservés à la résorption de l’habitat précaire et des bidonvilles ‑, et 900 000 logements ruraux et 550 000 logements promotionnels sont aidés par l’État en faveur de la catégorie de citoyens à revenus moyens. Fin 2012, il restait à réaliser environ la moitié de ce programme en 2013 et en 2014. Un pari très difficile que le ministre compte bien tenir pour atténuer une crise qui prend tout le pays à la gorge. 2013 verra ainsi la mise en chantier d’au moins 650 000 logements et l’achèvement de 286 000 unités, tous segments confondus, soit un record par rapport au pic atteint en 2008 avec 220 000 unités. Cet élan devrait pouvoir être amplifié en 2014, pour le gros du programme quinquennal soit achevé à l’échéance.
Plusieurs mesures ont été prises pour faire sauter les goulots d’étranglement, qui accablent le secteur, et accélérer le rythme des constructions. Les capacités nationales de réalisation étant largement saturées, le ministre a fait l’appel à des partenaires étrangers d’expérience et de grande taille : Portugais, Espagnols, Français, Américains, Maghrébins, ainsi que les Chinois déjà en place. Il a aussi renoué avec les contrats de gré à gré. Plus souple que les appels d’offres publics, cette procédure devrait permettre une meilleure intégration des promoteurs algériens dans le circuit de la construction, en favorisant des transferts de technologie et de savoir-faire avec les groupes étrangers.
Hormis les entreprises publiques et deux ou trois grands groupes privés, la plupart des entreprises algériennes dans ce secteur vital restent en effet de caractère artisanal, appliquant des méthodes de construction désuètes, abandonnées depuis des décennies en Europe. Elles seraient incapables de prendre en charge des chantiers d’envergure. Le ministre a d’ailleurs fait sévèrement le ménage parmi les canards boiteux, chasseurs de programmes, postulants à tout, incapables de respecter les cahiers des charges et les délais.
L’habitat vient par ailleurs de faire sa « révolution » en toute discrétion en mettant à la charge des banques, et non plus du seul budget de l’État, l’essentiel du financement des programmes publics en cours. Le Crédit populaire d’Algérie (CPI) a été désigné comme chef de file des banques publiques dans cette opération d’envergure, qui devrait mobiliser 15 milliards de dollars pour la réalisation de 300 000 logements, moitié de type location-vente, moitié de type promotionnel public. « L’Algérie a ainsi franchi une étape extrêmement importante dans la reconversion de l’économie nationale, le financement bancaire visant essentiellement à garantir la continuité des projets publics et aller vers une économie marchande, a estimé Abdelmajid Tebboune. Après l’attribution des assiettes foncières nécessaires, toutes les conditions sont réunies pour le lancement des projets de logements que le citoyen attend avec beaucoup d’espoir. »
Pour pallier à terme la pénurie de ciment, qui retarde les mises en chantier, le ministère de l’Industrie a pour sa part annoncé un plan de développement de la filière. Il comporte la réalisation de quatre cimenteries publiques et de sept cimenteries privées, ainsi que l’extension des capacités de six cimenteries existantes appartenant au Groupe industriel des ciments d’Algérie (Gica, public). Les nouvelles unités permettront d’augmenter les capacités de production des cimenteries publiques à 25,7 millions de tonnes en 2017, contre 11,5 actuellement, et celles des cimenteries privées à 17 millions de tonnes, contre 8 millions de tonnes actuellement. Le déficit de ciment oscille entre 3 et 5 millions de tonnes. Il a été comblé partiellement par des opérateurs privés et le recours à l’importation de 3 millions de tonnes. Le groupe public a pris le relais au premier trimestre 2013, sous la pression des différents projets en cours de réalisation dans le secteur du bâtiment, des travaux publics et de l’habitat : logements, routes, barrages, etc.
Les autorités plaident enfin pour la fin des cités-dortoirs, un des volets les plus épineux de ce dossier. Construites dans l’urgence, sous la pression des demandeurs, afin de juguler la crise, ces cités se sont hérissées dans le paysage durant les vingt dernières années. Vieillissant mal, elles ressemblent de plus en plus à des ghettos sans âme, des verrues plantées au flanc des villes anciennes. Abdelaziz Bouteflika, le chef de l’État, a demandé récemment que les architectes et les promoteurs se préoccupent plus qu’auparavant du cadre de vie et des infrastructures sociales, économiques et culturelles dans les nouvelles villes en cours de réalisation. Les cahiers des charges doivent être très exigeants à ce sujet, a-t-il dit. Dans cet esprit, le premier ministre a demandé récemment la totale révision des plans de construction d’une cité nouvelle de l’Est algérien. Les autorités communales ont été appelées, pour leur part, à se préoccuper sérieusement de la maintenance de ces lieux de vie afin d’assurer à leurs habitants un cadre de vie, de qualité et la convivialité. Avec un mot d’ordre : des cités pour vivre, et non des cités pour dormir.