ENTRETIEN. L’Algérie et la France sont à la recherche d’un nouveau modèle de partenariat. Le point de vue de l’industriel Kaci Kacem Aït Yala.
Lauréat en 2007 du prix du chef d’entreprise issu de la diversité, Kaci Ait Yalla est président du Forum des chefs d’entreprise International (FCE International) et de la Chambre algérienne de commerce et de l’industrie en France (Caci France). Chevalier de la Légion d’honneur, il est membre de plusieurs organisations patronales. Il s’est confié au Point Afrique.
Le Point Afrique : Avant de parler de l’Algérie, parlons de vous : on vous présente comme l’inventeur de la télévision à écran plat…
Ingénieur en électronique de formation, j’ai débuté ma carrière en qualité de responsable R&D dans un grand groupe européen avant de créer le Groupe K&S, première entreprise à avoir affiché une image de télévision sur un écran plat. Ce groupe comprend plusieurs sociétés en Europe et en Algérie. J’ai également été le premier Algérien à introduire une société en Bourse sur le marché réglementé d’Euronext Paris. En fin de carrière, je mets mon expérience au service d’autres entrepreneurs, notamment ceux de la diaspora algérienne.
Lors d’un récent forum à Paris, vous avez invité la diaspora algérienne, soit plus de 5 millions de personnes, selon vous, à investir en Algérie. L’environnement local est-il prêt à les accueillir ?
Effectivement, nous sommes plus de 5 millions de personnes en France et notre diaspora évolue dans un système d’économie de marché, dont elle maîtrise les codes et les règles. Un potentiel économique et scientifique de 400 000 chefs d’entreprise et hauts cadres y sont installés. N’est-ce pas là en effet une immense richesse ? Notre diaspora est magnifique : une base financière potentielle de plus de 200 milliards d’euros. Je n’appelle pas la diaspora algérienne à faire l’exode vers l’Algérie. Je lui dis seulement « l’Algérie a besoin de vous ! Vous pouvez être des vecteurs efficaces de transfert de savoir-faire pour les entreprises algériennes ! Vous pouvez être le trait d’union indispensable au développement de relations de partenariat harmonieuses et durables entre les entreprises algériennes et les entreprises françaises. »
Et vous invitez les PME françaises à profiter des opportunités qu’offre l’Algérie dans un contexte de crise économique en Europe, en France notamment…
À ce jour, 500 entreprises françaises se sont implantées en Algérie et génèrent plus de 140 000 emplois directs et indirects. Les flux d’investissements français vers l’Algérie sont systématiquement supérieurs à 200 millions d’euros par an depuis 2008. Ces flux font aujourd’hui de la France le premier investisseur hors hydrocarbures en Algérie. Les investissements français couvrent ainsi la quasi-totalité des secteurs d’activité algériens et concourent directement à la diversification de l’économie du pays. Ils concernent en particulier le secteur financier, l’industrie automobile, les transports, les industries alimentaires, l’industrie pharmaceutique, la construction, le secteur de l’extraction minière et de la formation.
À propos de la crise, le monde va mal et la France aussi. L’entreprise France doit s’exporter. L’Algérie, en particulier, et l’Afrique du Nord (Maroc, Algérie et Tunisie) en général, sont la cible privilégiée pour le redéploiement géostratégique français vers l’export en l’occurrence le marché africain. L’Algérie est à l’intérieur d’un espace économique de plus d’un milliard et demi de consommateurs (Afrique, Europe et Moyen-Orient) et offre des opportunités inestimables. À l’horizon 2050, il y aura 2 milliards d’habitants en Afrique. Actuellement, 16 pays africains affichent une bonne croissance. La Chine a mobilisé un fonds d’investissement pour l’Afrique de 60 milliards de dollars, le Japon, un de 32 milliards, et la BAD a levé 100 milliards de dollars. C’est le signe d’une réussite commune et collaborative…
Et ce « passé qui ne passe pas » pour reprendre l’expression des historiens ? Finalement, les relations entre la France et l’Algérie n’ont jamais été aussi bonnes. La page a été tournée ?
Oui, la page est vraiment tournée et comme vous dites « l’histoire aux historiens ». Les relations algéro-françaises s’inscrivent dans la dynamique du « Partenariat stratégique » entre l’Algérie et la France, décidé par les présidents Abdelaziz Bouteflika et François Hollande en décembre 2012. Nos organismes s’inscrivent dans cette dynamique. Notre mission est de construire le pont Paris-Alger à l’image de ce qu’a été l’axe Paris-Berlin après la Seconde Guerre mondiale : un axe structurant, de long terme et placé sous le signe de l’Excellence. Oui, la page est tournée, même s’il demeure un point qui relève de la prise de conscience et qui nécessite l’attention de toutes les parties concernées. Les initiatives, dans l’axe Nord-Sud, ne produisent que peu de résultats parce que l’Algérie n’y est pas systématiquement incluse. Il semble que bon nombre de ces initiatives forcent la nature par des moyens de contournement. Or, ce grand pays séparant l’Europe de l’Afrique peut jouer un rôle essentiel dans le renouvellement de l’économie du vieux continent, afin qu’il renoue avec une croissance durable, et contribuer « harmonieusement » à la stabilité économique des pays concernés sur quelques décennies.
L’Algérie semble à un tournant, avec un changement de modèle. Après avoir stabilisé le pays, l’heure est aux grands chantiers ?
L’Algérie est en transition vers une économie de marché. Elle a traversé une décennie noire, une décennie d’embargo international. Nous avons dû nous débrouiller seuls et nous nous en sommes sortis. Il nous faut juste rétablir la confiance. Le plus important est que le potentiel de croissance de notre pays est loin d’avoir été atteint : des gisements d’investissements extrêmement importants ne sont pas encore exploités, dans de nombreux secteurs (agriculture et agro-industrie, tourisme, économie numérique, industrie et énergies renouvelables, etc.). Ce potentiel économique nous autorise à nourrir le légitime espoir de voir notre pays rejoindre rapidement le groupe des pays dits « émergents ». C’est l’objectif principal auquel nous travaillerons d’arrache-pied et de concert avec la vision du gouvernement. L’Algérie, qui a subi depuis 2014 l’effondrement des prix des hydrocarbures, a repensé son modèle de croissance et propose un nouveau modèle économique plus diversifié et basé sur la création de richesses par l’entreprise … Nous affrontons la crise, nous ne la subissons pas.
Source : https://urlz.fr/4A0P
Publié le 24/12/2016 à 16:30 | Le Point Afrique
Photo : Kaci Kacem Aït Yala est président de la Chambre algérienne du commerce et de l’industrie en France (Cacif) et délégué honoraire France du Forum des chefs d’entreprise (FCE), le patronat algérien.. © DR