Revue de presse : Extraits d’interviews accordées par Ahmed Manaï, observateur de la Ligue arabe en Syrie. M. Manaï est un opposant historique au régime de Ben Ali et le fondateur de l’Institut tunisien des relations onternationales (Itri)*.
Fait rare, la Tunisie, a pris une mesure radicale à l’encontre d’un autre pays arabe, en annonçant l’expulsion imminente de l’ambassadeur de Syrie à Tunis. Est-ce une bonne décision et comment la jugez-vous ?
A.M – Fait rare en effet dans la diplomatie tunisienne ! Je me souviens qu’en 1961, lors de la bataille de Bizerte, au cours de laquelle des centaines sinon des milliers de tunisiens ont été massacrés par l’armée française, la Tunisie n’a pas rompu ses relations diplomatiques avec la France mais s’est contentée de rappeler son ambassadeur à Paris. Les étudiants tunisiens en France ont été encouragés à reprendre leurs études dans ce pays.
L’ambassadeur syrien est en congé maladie et se trouve en Syrie depuis plus d’un an !
Il faut dire tout d’abord qu’il n’y a pas d’ambassadeur syrien à Tunis, ce dernier est en congé de maladie depuis plus d’un an, mais simplement un vice-chargé d’affaires. N’empêche que nous sommes en face d’un acte symbolique, bête et gratuit.
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Ne pensez-vous pas que le pouvoir actuel en Syrie doit passer la main et que le peuple syrien a droit à choisir son destin et à vivre en toute liberté comme ils le réclament ?
A.M – Tous les Syriens que je connais, certains depuis 1981, appartiennent à l’opposition. Ils appartiennent maintenant, au CNT, au CNC ou des indépendants. Depuis 1991, nous avons mené ensemble de nombreux combats pour la liberté, la démocratie et le respect des droits humains, en Tunisie, en Syrie et ailleurs. Je regrette de constater que le long parcours militant de certains d’entre eux n’a pas fait d’eux les hommes politiques qu’exige la phase actuelle du combat.
Juste avant de venir en Syrie, j’ai fait le déplacement à Tunis pour rencontrer Burhan Ghalioun. Je n’ai pas pu le faire mais j’ai rencontré trois de ses collègues et je leur ai posé cette question simple ! Êtes-vous prêts à négocier ? Ils m’ont répondu tous en chœur : jamais ! Ils pensaient sans doute qu’ils allaient faire une entrée triomphale à Damas derrière les troupes de l’Otan.
C’est tout sauf de la politique, parce qu’en politique la négociation est le fondement de toute solution des différents et des conflits, même armés.
Alors, bien sûr que le peuple syrien a droit de choisir son destin et à vivre en toute liberté comme il le réclame. Mais c’est vrai aussi que l’alternance doit se passer dans le calme, et pas dans le désordre et au rythme des attentats terroristes.
Quels sont les différents agents (On a parlé de l’Iran, de Hezbollah, Irakiens…) impliqués aux événements qui se déroulent en Syrie depuis mars 2011 ?
A.M – L’Iran et le Hezbollah sont des alliés stratégiques des syriens. Les Irakiens par contre, étaient en mauvais termes avec eux, quoique actuellement on assiste à leur rapprochement.
Seraient-ils impliqués dans les événements en Syrie ? Je ne crois pas que les Syriens auraient besoin de l’aide de quiconque pour gérer la situation intérieure de leur pays. De nombreux médias ont parlé de combattants du Hezbollah et des Pasdaran iraniens qui seraient engagés dans la répression des manifestants. C’est tout simplement de la propagande. Mais il est certain qu’ils coopèrent à plein au niveau du renseignement, par exemple.
Il y a d’autres pays impliqués à fond dans la crise syrienne : ce sont les pays du Golfe avec à leur tête le Qatar, puis la Turquie et l’ensemble des pays de l’Otan. Certains d’entre eux accueillent les groupes armés sur leur sol, d’autres les financent, d’autres encore les entraînent et certains autres leur assurent la couverture médiatique.
Il y a d’autres acteurs de taille, tels que les Russes et les Chinois, mais comme on l’a vu lors du dernier vote du Conseil de Sécurité, leur rôle est surtout de soutien.
Mais il y a aussi, en plus de ces États, des mouvances politiques très influentes, telle que les Frères Musulmans et les Salafistes.
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Le massacre à Homs, tuant plus de 200 vies, le plus meurtrier depuis le début des événements vous semble-il suspect ?
A.M – En fait, il s’agit d’un coup monté dans le cadre d’une stratégie globale et concertée où sont intervenus les « militants syriens » à l’étranger pour occuper les ambassades et les consulats syriens », l’appel au renvoi des ambassadeurs syriens dans les pays arabes et bien sûr ce massacre de Homs.
Alors ce massacre : tous ceux qui ont suivi les télévisions ce jour-là ont vu des photos de très nombreuses victimes. La plupart de ces victimes avaient les mains liées derrière le dos et certaines avaient le visage au sol.
Les metteurs en scène nous ont expliqué que c’étaient les victimes des bombardements des bâtiments et des habitations par les blindés et même par l’aviation syrienne. Curieusement ces victimes ne portaient pas de blessures ni même aucune trace de l’effondrement de leurs maisons et habitations. Chacun peut en tirer les conclusions qu’il veut. En tout cas tout au long de la journée du 4 février, de citoyens syriens ont témoigné qu’ils avaient reconnu parmi ces victimes, des proches et des voisins enlevés depuis une semaine et même des mois.
Chacun peut en tirer les conclusions qu’il veut.
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A votre avis, quel serait le véritable poids du CNS (pro intervention militaire) et du Comité national de coordination pour le changement démocratique (contre une intervention et dont on entend rarement parler de lui dans les médias internationaux) ?
A.M – Le CNS n’a pas une bonne réputation en Syrie justement parce qu’il appelle à l’intervention armée. Les syriens ont une vieille tradition de patriotisme et une haute histoire de résistance à la domination étrangère. Par contre, à l’étranger, il est le chouchou des médias et le partenaire favori des hommes politiques, qui le soutiennent et le financent.
D’ailleurs le CNS n’a pas de représentants à l’intérieur du pays et une de ses composantes, les kurdes, vient de le quitter.
C’est différent dans le cas du Comité de Coordination, parce que ses représentants sont presque tous des militants de l’intérieur du pays, et n’ont qu’un porte-parole à l’étranger, Haytham Manna. Il est tout à fait normal qu’on ne parle pas de ce Comité dans les médias de la propagande et de la désinformation qui soutiennent l’intervention.
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Dernière question : peut-on être pour ou contre le régime de Bachar al-Assad et du Président syrien en lui-même ?
A.M – Ceux qui croient que le départ d’un président résoudrait tous les problèmes du pays, sont tout simplement des idiots. Nous n’avons pas réussi à tirer les leçons des exemples tunisien, égyptien et yéménite et convenir que les lendemains de dictature sont souvent plus difficiles à gérer que la dictature elle-même, parce que les oppositions n’ont pas encore appris à gouverner !
* Institut tunisien des relations Internationales : https://tunisitri.wordpress.com/
Sources :
https://nawaat.org/portail/2012/02/07/ahmed-manai-la-ligue-arabe-a-enterre-le-rapport-des-observateurs-en-syrie/
https://www.tunistribune.com/16558-interview-exclusive-de-m-ahmed-manai-la-decision-de-renvoyer-lambassadeur-syrien-vient-de-ghannouchi-et-du-qatar/