Dans ce quartier reculé d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, son hangar n’attire pas l’attention. Derrière la barrière de tôle, des sacs de sciure, un système d’arrosage et, plusieurs fois par semaine, Loba Zakari qui sort sa récolte à destination du marché et des restaurateurs de la place. Ce technicien supérieur en bâtiment s’est lancé depuis quelques années dans la production de pleurotes, champignons hautement appréciés en cuisine, mais aussi parmi les plus productifs. Chaque quinzaine, sa ferme sort ainsi 150 kg, soit en gros 3 tonnes sur l’année. Une activité lucrative : le kilo frais se vend 3 000 francs CFA sur le marché et les champignons secs, 5 000 francs.
« On travaille en trois phases, explique-t-il. Pour commencer, il y a l’incubation en chambre noire. Les sachets de sciure et de semences sont placés sur les étagères. Deux fois par jour, les ouvriers arrosent. Et après trois mois, quand les racines se sont formées, on sort les sachets pour les placer en chambre de production. » Dans les quatre mois qui suivent, le même sachet va permettre quatre récoltes. Avant d’être remplacé par un autre, sorti de la chambre d’incubation. Rotation très maîtrisée et profit quasi immédiat. L’investissement premier varie de 2 à 3 millions de francs CFA, mais le marché intérieur est demandeur. Autour de Loba Zakari, deux autres producteurs ont ouvert leur exploitation à Adzopé et Epimbé. Au total, 10 tonnes de pleurotes sont produites à l’année. Plus rentables que le café ou le cacao.
Au Kenya, la production est plus ancienne. Comme au Nigeria, Malawi et Guinée-Bissau, elle a débuté dans les années 1980. Mais elle continue toujours de faire des émules. Sur la région du Sud Kabras (ouest), Joan Kimokoti s’est lancée en 2005, par le biais du Projet de productivité agricole. Et les résultats ont été immédiats. Grâce aux gains, elle a pu investir dans un hectare de culture, un élevage de volailles et une petite production de lait de chèvre. « Chaque année, on peut gagner en trois récoltes jusqu’à 3 000 dollars. » Et comme cette femme a la fibre associative, elle le fait savoir. Dans les environs, elle a aidé quinze agriculteurs et sept groupements sur les districts voisins. Au total, 300 personnes trouvent ainsi une source de revenus appréciable.
Même engouement au Ghana, où les premières champignonnières ont été construites en 1993. Le gouvernement avait alors fait appel à la Thaïlande, premier exportateur mondial. La production qui était quasi nulle, a atteint en quatre ans 7,2 tonnes. Trois variétés comestibles ont été mises en exploitation : pleurotes, agarics, oreilles de Judée et une quatrième, le ganoderme luisant, qui est utilisé pour ses vertus dans le traitement des bronchites et des problèmes coronaires. Chercheuse au Projet national de développement des champignons, Mary Obodai regrette juste l’insuffisance en semence. La demande est là, mais le laboratoire ne peut la satisfaire. Et pourtant, « il ne se passe pas de jour sans que des paysans viennent nous demander à être formés. » Vendue entre 5 000 et 8 000 cédis (2 à 3,50 euros) le kilo au détail, elle permet à beaucoup de diversifier leur activité. Et si la production se développe encore, le Ghana deviendra rapidement exportateur.
Plus récemment, c’est au Burundi que la culture a commencé. Pourtant, les réticences étaient fortes. Dans la langue, ne dit-on pas pour quantité d’espèces : « Nsubiza aho unkuye ! » (« Remets-moi où tu m’as pris ! ») Dans la région de la commune de Kabarore, au nord, souvent victime de la malnutrition, le caféier était l’unique source de revenus. « Mais les plantations sont vieillissantes, elles produisent de moins en moins, » explique l’un des coordinateurs. Du coup, l’Appui au développement intégral et à la solidarité sur les collines (Adisco) prend l’initiative de produire des champignons fin 2010. Depuis, les huttes de paille se multiplient…
Cette culture de substitution a une technique simple et le cycle cultural est court (à peine deux mois). Vendus entre 1,5 et 2,50 dollars, les champignons permettent à nombre de cultivateurs de s’en sortir. Des associations se sont créées, comme Intatangwa (« ceux qui vont de l’avant »), pour optimiser la production et la vente. Les acheteurs sont les restaurants et hôtels de Bujumbura. La clientèle est conquise, et les petits villages ont retrouvé une dynamique.