Deux semaines après son investiture, le nouveau président de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, a formé son gouvernement « qui doit (nous) conduire jusqu’aux prochaines élections de 2019 ».
Accusé par une partie de l’opposition, d’avoir favorisé l’ANC plutôt que le peuple sud-africain, Cyril Ramaphosa n’a, cependant, rien laissé au hasard. Force tranquille, efficace, qui a fait la démonstration d’un sens tactique exceptionnel lors du congrès de l’ANC, en décembre dernier et au cours de la « saga Zuma » qui a conduit à la « démission » de son prédécesseur, Cyril Ramaphosa a, de toute évidence, deux objectifs : reconstruire l’unité de son organisation et lui redonner dans le peu de temps qui reste avant l’échéance électorale, une compétence et une crédibilité plus que fragilisée par la mauvaise gouvernance de Jacob Zuma.
Le gouvernement nommé par Cyril Ramaphosa est, donc, comme il l’a répété, « un gouvernement provisoire et de transition » formé après consultation des deux alliés de l’ANC, le Parti communiste sud-africain et la confédération Cosatu, partenaires de la Triple Alliance, malmenés par Jacob Zuma, et qui s’en étaient démarqués, demandant haut et fort sa démission depuis plusieurs mois. « Ces changements visent à garantir que le gouvernement est mieux armé pour appliquer le mandat de l’administration et particulièrement les taches identifiées dans le discours à la nation, a-t-il expliqué. » Quant à ceux qui ont critiqué le fait qu’il n’a pas diminué le nombre de ministères, « Comme annoncé dans le discours à la nation, a-t-il répondu, nous avons commencé un examen de la configuration, de la taille et du nombre des ministères et des départements. Nous maintiendrons les ministères et les départements existants jusqu’à la conclusion de cet examen ».
Le nouveau gouvernement reste donc composé de vingt-cinq ministères, avec la nomination de treize femmes à des postes stratégiques, comme Maite Nkoana-Mashabane au ministère chargé de la réforme agraire et du développement rural, qui devra gérer l’expropriation des terres sans compensation. Le processus a été lancé le 27 février, par un vote – 324 sur 400 députés, l’Alliance démocratique et Freedom Front Plus (Parti majoritairement Afrikaaner) s’y étant opposés, par l’Assemblée nationale, d’une motion présentée par le parti d’opposition EFF de Julius Malema et amendée par les députés de l’ANC. La motion appelle à la mise en place d’un comité ad hoc chargé d’examiner un amendement de la Constitution après consultation des législateurs, des universitaires, de la société civile et du public.
Quatre communistes se sont vus, également, attribuer des ministères clés. C’est le cas de Jeff Radebe, certes exclu du SACP en 2002, mais qui a été de tous les gouvernements depuis 1994 et soutenu par son ancienne organisation politique dont il est resté très proche. Gwede Mantashe, ex-président du SAPC et secrétaire général de l’ANC de 2007 à 2017, opposant à Jacob Zuma, devient ministre des Ressources minières, Blade Nzimande secrétaire général du SAPC de 1998 à 2009 dirige les Transports. Le retour le plus salué et apprécié, est, sans aucun doute, celui de Pravin Gordhan, ancien ministre des Finances (2009-2014 et de 2015 à 2017) chargé des Entreprises publiques – au coeur de la bataille contre la corruption. Son limogeage par Jacob Zuma dont il avait dénoncé la corruption, avait provoqué la colère de l’ensemble de la classe politique et au-delà. Il pourra, désormais, poursuivre le nettoyage des entreprises publiques gangrenées par la corruption et victimes de la capture d’État par la famille Gupta.
D’autres postes clés du gouvernement ont été attribués à des personnalités connues, reconnues et appréciées pour leur intégrité et leur compétence, limogées pour certaines, par Jacob Zuma, dans des conditions contestables et contestées. C’est le cas du ministre des Finances, Nhlanhala Nene qui, au cours de son court mandat, de mai 2014 à décembre 2015, s’était engagé à limiter les dépenses du gouvernement et s’était opposé à Jacob Zuma sur la question du contrat nucléaire (100 milliards de dollars), au centre d’une enquête judiciaire aujourd’hui. Naledi Pandor, issue d’une longue lignée de militants politiques du Kwa-Zulu Natal, province stratégique pour Cyril Ramaphosa dans la perspective du scrutin de 2019, très critique des dirigeants de l’ANC version Zuma et de leurs style de vie dispendieux, est nommée à l’Enseignement supérieur et la Formation, poste, également, très sensible, compte tenu de la dégradation de ce secteur essentiel pour l’avenir de l’Afrique du Sud, et des contestations étudiantes. Autre opposant virulent à Jacob Zuma, Derek Hanekom, un Afrikaner engagé dans la lutte contre l’apartheid dès 1980, et ministre sous toutes les présidences, limogé du ministère du Tourisme par Jacob Zuma l’année dernière, retrouve son poste. Lindiwe Sisulu, qui, dans un premier temps, avait présenté sa candidature à la présidence de l’ANC, avant de la retirer, est nommée ministre des Affaires étrangères et de la Coopération. Fille de l’historique dirigeant communiste de l’ANC, compagnon de bagne de Nelson Mandela, Walter Sisulu, ancienne combattante de la branche armée de l’ANC, UmKhonto We Sizwe, elle fait partie de ceux qui réclamaient avec force la démission de Jacob Zuma.
La nomination ou le rappel de ces ministres qui ont marqué l’histoire de l’ANC, garants de ses valeurs fondamentales, démontre la volonté de Cyril Ramaphosa de redonner à l’organisation les chances d’un nouveau départ. Très significative, également, la liste des dix ministres remerciés renforce le sentiment d’une rupture radicale avec l’ère Zuma et ses pratiques mafieuses liées à la famille Gupta, et anti-sociales. Tous s’étaient vus attribuer, dans le cadre de la stratégie de « capture d’État », des ministères stratégiques pour les milliardaires indiens et les corrompus de l’ANC au détriment de l’économie et du peuple sud-africain. Fikile Mabula (ministre de la Police), Faith Muthambi (Communication puis Service public et Administration), Mosebenzi Zwane (Ressources minières), Des Van Rooyen (éphémère ministre contesté des Finances, puis de la Gouvernance et des Affaires traditionnelles), Lynne Brown (Entreprises publiques), David Mahlobo (surnommé « Premier ministre fantôme » pour son influence sur Jacob Zuma, ministre de l’Énergie impliqué dans le scandale du contrat nucléaire), Bongani Bongo(Sécurité d’État), Hlengiwe Mkhize (Enseignement supérieur et Formation), Nkosinathi Nhlek (Travaux publics) et Joe Maswanganyi (Transport). Certains font déjà ou feront l’objet de poursuites judiciaires pour corruption.
Malgré les changements radicaux et significatifs opérés par Cyril Ramaphosa, les critiques de l’opposition se sont focalisées sur la nomination de David Mabuza au poste de vice-président de la République, de Nkosasana Dlamini-Zuma à celui de ministre d’État (Planning, Contrôle et Evaluation des portefeuilles ministériels), de Malusi Gigaba (Intérieur) et Bathabile Dlamini ( ministre d’État -Femmes). Les quatre sont des alliés indéfectibles de Jacob Zuma. Malusi Gigaba, ex-ministre des Finances, de l’Intérieur et des Entreprises publiques, fait l’objet d’une enquête pour avoir favorisé l’attribution de la nationalité sud-africaine à la famille Gupta et autres forfaitures, et c’est sans doute la nomination la plus surprenante.
Nosasana Dlamini-Zuma, en revanche, candidate malheureuse de Jacob Zuma contre Cyril Ramaphosa à la présidence de l’ANC, en décembre, et battue de peu, est soutenue par une partie importante de l’organisation dont le président doit tenir compte. David Mabuza, également vice-président (de compromis) de l’ANC depuis le congrès de décembre, est très influent dans la province de Mpumalanga (ex Eastern-Transval), une influence qui sera déterminante lors des élections de 2019. Quant à Bathabile Dlamini, ex-ministre des Affaires sociales responsable du scandale des allocations sociales et objet d’une enquête, elle est, avant tout, présidente de la puissante organisation des femmes de l’ANC, l’ANCWL. D’où l’intérêt tactique de ces nominations jusqu’au prochain remaniement. « En faisant ces changements, j’ai été conscient du besoin d’équilibrer la continuité et la stabilité avec la nécessité d’un renouveau, du redressement de l’économie et d’une transformation rapide », a expliqué Cyril Ramaphosa.
Christine Abdelkrim-Delanne