Dans cette période, les media semblent ne s’être intéressés continuellement qu’à un seul sujet : la 54ème Conférence de l’ANC au pouvoir, qui doit se tenir du 16 au 20 décembre. La couverture de la Conférence à venir est principalement concentrée sur ce que les journalistes appellent simplement « la course », se référant à l’élection du nouveau président de l’ANC.
Dans la presse quotidienne, on apprend comment de nombreux délégués apportent leur soutien à l’un ou l’autre des candidats au poste que le président Jacob Zuma doit quitter. Le mandat de Zuma, en tant que président, doit prendre fin en 2019, à moins qu’il ne parte avant à cause de l’une des nombreuses procédures judiciaires dont il fait l’objet.
Lorsque l’ANC a réuni sa première conférence officielle, en 1991, après trente années d’interdiction qui ont obligé le parti à agir illégalement, on l’appelait simplement une « conférence nationale ». Mais aujourd’hui, on parle régulièrement de « conférence élective ». En changeant le non de la conférence, les media reflètent les préoccupations de l’ANC et réduisent la politique du parti à des discussions sur qui sera élu à tel ou tel poste.
Lorsque le parti était illégal et que l’engagement dans l’ANC était dangereux, on gagnait peu à être membre de la direction du parti. Mais, aujourd’hui, le poste que les gens occupent dans le parti est lié au pouvoir et aux avantages qu’ils obtiennent et contrôlent avec leurs associés.
La compétition actuelle pour l’accès aux avantages qui accompagnent l’obtention d’un poste au sein de l’ANC a conduit certains à l’illégalité, la violence et même les meurtres. Des procédures judicaires ont, également, étaient engagées suite aux conflits sur l’élection de dirigeants dans les provinces et les branches.
Par exemple, dans le cas du Kwazulu-Natal, la province qui comprend le plus grand nombre de membres de l’ANC, une direction qui a été déclarée illégale par un tribunal, a continué de superviser l’élection des délégués de la branche pour la conférence nationale. Ceci et des processus similaires dans d’autres provinces, peut avoir des conséquences légales et politiques qui mettent en danger la conférence elle-même. La conférence peut être annulée ou écourtée si l’accréditation des délégués est mise en doute de façon répétée.
Zuma est ses fidèles partisans peuvent aussi faire capoter la conférence. Le principal enjeu dans la conférence sera entre ceux qui soutiennent le président actuel et ceux qui, issus de la même direction, sont moins fiables. Zuma veut partir sans ennuis. Il veut garder sa fortune, quelle que soit la façon dont il l’a acquise, et veut éviter les procès. Et pour atteindre cet objectif, il a besoin de transférer le contrôle du parti à ses fidèles partisans.
Si les forces qui soutiennent Zuma sentent venir la défaite, ils peuvent agir illégalement pour faire en sorte que la conférence n’aura pas lieu. Ce ne sera pas difficile, vu que ceux qui ont été retenus pour leur loyauté envers Zuma seront responsables de la sécurité à la conférence. Il y a de nombreux moyens de « faire couler » la conférence : des brèves explosions de violences, comme on l’a déjà vu dans certaines conférences de branches et de provinces, le système électronique du parti pourrait être endommagé, on pourrait rendre impossible l’accréditation des délégués. La salle peut être rendue inutilisable par divers moyens – inondation, dégâts matériels, ou même jets d’excréments, (une méthode assez fréquente aujourd’hui comme forme de protestation). Il serait, alors, logistiquement difficile de trouver en temps voulu des moyens de transport pour transférer 5000 délégués dans une autre salle.
Beaucoup de sang a été versé, au cours des dernières années, avec la violence au sein même de l’ANC liée aux élections. Des candidats ou des élus ont été attaqués, injuriés, voire tués. Le conflit est généralement décrit comme « factionnel ». C’est peut-être vrai, mais aujourd’hui, les « factions » au sein de l’ANC ne représentent pas des tendances politiques ou idéologiques. Elles représentent des gens fidèles à certains individus, voire à des réseaux criminels.
Cela n’a pas toujours été le cas. Dans le passé, les divisions dans le parti étaient principalement liées à des divergences idéologiques, comme la rupture avec le Congrès Panafricain, à la fin des années 1950. Il y a eu d’autres divergences et divisions factionnelles, mais elles étaient toujours liées à des questions de fond comme race-classe, socialisme-libération nationale ou le recours à la lutte armée.
L’ANC peut-elle se remettre de la corrosion éthique qu’elle connaît et de sa chute d’une vie interne politique riche vers des pratiques criminelles ?
Il faut être prudent avant de suggérer qu’une organisation qui a été le centre des combats pour la liberté pendant un siècle disparaîtra simplement. Cependant, il est également difficile d’imaginer que l’ANC regagne un jour son statu éthique et le niveau de confiance dont elle bénéficiait lorsque l’interdiction de ses activités fut levée en 1990.
Le future de l’ANC n’est pas assuré, et, même si elle survit à cette conférence, elle restera une organisation profondément divisée. Aucun dirigeant ou groupe n’a une vision permettant d’unir ses membres ou d’inspirer l’enthousiasme des citoyens ordinaires. Tous les candidats à la présidence de l’ANC ont été complices du régime de Zuma qui n’a pas inspiré d’alternatives. Rien de cela n’évoque le sentiment d’excitation que générait l’ANC autrefois.
Cependant, nombreux sont ceux qui espèrent que ce sombre pronostique ne se réalisera pas. Les milieux d’affaires veulent la stabilité et beaucoup pensent que la conférence peut générer un certain niveau de certitude qui pourrait la permettre.
De nombreux vétérans de l’ANC et autres citoyens bien intentionnés pensent que si Cyril Ramaphosa, l’actuel vice-président de l’ANC et du pays, était élu, la roue tournerait. Ramaphosa a été un businessman qui a réussi et est crédité, peut-être de façon exagérée, de la capacité à « réparer les choses ».
Certains comme le ministre des Finances limogé, Pravin Gordhan, suggèrent même que Ramaphosa, s’il était élu président de l’ANC, serait capable de faire partir Zuma de son poste de président de la République, mais ce n’est pas chose facile. Ce que tous ceux qui misent sur Ramaphosa ignorent, c’est que Zuma reste président du pays et n’a aucun sens de l’humour.
Lorsque Thabo Mbeki, le second président sud-africain post-apartheid a perdu le soutien de la direction de l’ANC, il a démissionné en tant que président de la République. Mais Zuma craint d’être jugé pour fraude et autres crimes. Il ne suivra pas la voie de Mbeki et son simple renoncement au pouvoir aussi longtemps que des charges pèseront contre lui. Il se peut, aussi, que si Ramaphosa est élu, il n’aura pas une majorité suffisante pour prendre de telles décisions.
Certains suggèrent qu’un accord global similaire à celui qui a été offert à Robert Mugabe, au Zimbabwe, pourrait faire partir Zuma tranquillement. Cependant, il y a des doutes sur la légalité d’un tel accord. Nombreux sont ceux qui respectent la loi et la constitution et ne veulent pas permettre à Zuma de garder ses biens mal acquis ou d’être dispensé de poursuites judiciaires.
Les Sud-Africains veulent un État démocratique, gouverné dans le cadre de la constitution existante. Mais la démocratie sud-africaine ne peut pas être restaurée par des accords à huis clos. Elle exige de redonner le pouvoir à la société civile qui a été si gravement trahie. Cela s’avérera une tâche difficile, impliquant de s’écouter mutuellement pour reconstruire une organisation démocratique. Cela ne se fera pas du jour au lendemain.
*Raymond Suttner, journaliste, universitaire et militant sud-africain est connu pour son engagement dans la direction de l’ANC et du Parti communiste sud-africain pendant le combat contre l’apartheid, plusieurs fois arrêté, détenu et torturé. Il est également auteur de plusieurs ouvrages sur l’ANC, le régime d’apartheid et la démocratie sud-africaine. Opposé à Jacob Zuma dont il dénonce très tôt les pratiques de corruption, il quitte l’ANC en 2007.
Traduction Christine Abdelkrim-Delanne