Ici, rien ou presque n’a changé depuis la fin de l’apartheid et les problèmes de l’hygiène, de l’eau potable pour tous, de la sécurité, du sida, de la mortalité infantile et de la criminalité continuent d’être au centre de la colère des habitants qui, par ailleurs, connaissent un taux de chômage le plus élevé du pays.
C’est à la fois un geste de colère et d’humour, douteux pour certains, qui a conduit devant les juges plus de deux cents manifestants qui ont déversé des baquets et des sacs d’excréments humains dans divers lieux de Cape Town, depuis juin dernier. Ils protestent contre le manque d’installations sanitaires aux normes dans les townships de la banlieue de la capitale du Western Cape, les plus importants en population, superficie et mauvaises conditions de vie de tout le pays. Ici, rien ou presque n’a changé depuis la fin de l’apartheid et les problèmes de l’hygiène, de l’eau potable pour tous, de la sécurité, du sida, de la mortalité infantile et de la criminalité continuent d’être au centre de la colère des habitants qui, par ailleurs, connaissent un taux de chômage le plus élevé du pays.
La province du Western Cape est dirigé par un gouvernement local dans les mains de l’opposition, avec à sa tête Helen Zille, leader de l’Alliance démocratique, le deuxième parti après l’ANC. Aussi n’était-il pas étonnant de trouver à la tête des manifestants arrêtés aux termes de la loi dite « Loi sur les lieux stratégiques » des membres de l’ANC engagés dans ces actions, notamment à l’aéroport de Cape Town. Pourquoi l’aéroport ? Pour alerter les Nations unies et l’opinion internationale, ont-ils expliqué. « Nous voulons qu’ils sachent que notre peuple vit avec des toilettes pleines depuis trois mois, et nous voulons que les Nations unies et les soi-disant défenseurs de l’environnement sachent que la ville ne se préoccupe pas de la santé des Noirs. »
Les protestataires ne sont cependant pas soutenus par leur organisation. En effet, le porte-paroles de l’ANC pour la province a trouvé cette action « dégoûtante ». « Le pseudo-activisme n’est rien d’autre que de l’anarchie et démontre un manque de conscience et de maturité politique et révolutionnaire », a déclaré Phillip Dexter. Mais qui est Philipp Dexter ? Militant de la lutte anti-apartheid de la dernière heure (qui a choisi de s’exiler peu après son adhésion à l’ANC dans les années 1980), il fut député du parti COPE (dissidence de l’ANC, formé pour les élections précédentes, inexistant aujourd’hui ou presque). Il avait, alors, rompu avec l’ANC et le Parti communiste. Opportuniste et ambitieux, ayant peu de chance d’être réélu sur une liste d’un COPE moribond, il est retourné, aujourd’hui, au sein de l’ANC avec l’intention d’être candidat aux élections de 2014. Bien sûr, Phillip Dexter n’habite pas dans un township. Il pointe au conseil d’administration de sept compagnies liées aux secteurs minier, de l’énergie, de l’immobilier, et de l’industrie de transformation. Un exemple flagrant du fossé qui sépare aujourd’hui le peuple sud-africain et la base de l’ANC et , dans certains cas, ses élus, de ses dirigeants.
Car certains élus locaux s’engagent ouvertement. En effet, le 8 juillet, lors de la première audience sept accusés étaient présentés, au juge Jannie Kotze, au tribunal de Bellville. Il décidait de ne pas accorder la libération sous caution à deux d’entre eux, jugeant qu’ils étaient capables de recommencer ce type d’action. Parmi les accusés, se trouvaient le conseiller municipal ANC, Loyiso Nkohla et l’ancien conseiller Andile Lili. Ils avaient déjà participé à la même action devant le ministère provincial de la Justice du Western Cape et avaient été libérés à condition de ne prendre part à aucune manifestation similaire. Dans la salle, le public, nombreux, a entonné les chants et danses de lutte, comme au bon vieux temps de l’apartheid. Les accusés risquent trente ans de prison aux termes de la loi sur l’Aviation Civile, et autres chefs d’accusation. Andile Lili s’est exclamé : « Toi, raciste blanc, toi le juge, tu n’es qu’un raciste, tu t’en fous, nous, nous ne pouvons laisser notre peuple vivre dans ces conditions ! » Jannie Kotze décidait alors de reporter le procès au début du mois d’août.
Le 2 août, les manifestants contre les « toilettes mobiles » se rassemblaient devant le tribunal de Cape Town, pour protester contre la mise en accusation de 183 personnes arrêtées pour avoir déversé des sacs d’excréments humains dans un train de banlieue en direction de la gare centrale de Cape Town, en juin dernier. Slogans anti-Zille et chants de lutte annonçant des actions similaires à venir emplissaient à nouveau la rue. Peu avant l’ouverture de l’audience, Loyiso Nkohla s’adressait à la foule pour informer que les accusés seraient présentés au juge par groupes de 20, compte tenu de l’exigüité des locaux. « La prochaine fois, nous serons en groupes de 100 ! » a-t-il déclaré à la foule.
Résultat de la pression populaire ou décision réfléchie, le juge Alfreda Lewis a accepté de reporter le procès au 25 octobre, considérant officiellement que ce report « permettra de demander au procureur le regroupement des dossiers dans un même procès (actions à l’aéroport, dans le train, au palais de Justice et devant le bâtiment du gouvernement provincial) puisque ce sont les mêmes personnes qui seront jugées », a expliqué Duncan Korabie, avocat de la défense.
Entre temps, il est fort probable que de nouvelles actions auront lieu. Il y eut autrefois les actions de masses pour protester contre l’imposition de « pass » aux Noirs, aux Métisses et aux Indiens. Il s’agissait, alors, de les jeter dans des grands feux allumés dans les rues. Aujourd’hui, les manifestants jettent des baquets et des sacs d’excrément humains. Autres temps, autres armes, mais même combat…celui pour les droits et la dignité humaine.