Les images ont choqué l’Afrique du Sud, rappelant des temps que l’on croyait révolus où le régime d’apartheid envoyait sa police armée pour tirer à balles réelles sur les mineurs en grève ou les manifestants. L’événement a été suffisamment grave pour que le président Jacob Zuma quitte le sommet de la SADC qui se tenait à Maputo, au Mozambique, et ordonne la mise en place d’une commission d’enquête. Au moins trente-six mineurs et deux policiers ont effectivement été tués et plus d’une centaine de blessés sur le site de la mine de platine de Marikana appartenant à la compagnie britannique Lonmin. Les images vidéo et les interviews des témoins ont révélé quasiment en direct ce que les hautes instances policières du pays ont recommandé de ne pas appeler un « massacre », mais qui est bien apparu comme tel aux Sud-africains choqués. Dans un premier temps, la police a déclaré que certains de ses éléments avaient été pris de panique avant de tirer sur les manifestants, puis elle s’est rétractée en affirmant qu’ils n’avaient pas eu « le choix » et n’avaient « pas commis d’erreurs ».
Plus de 400 policiers avaient été envoyés sur le site où les mineurs étaient en grève pour une augmentation de salaire. La situation était d’autant plus crispée que la direction de la mine qui négociait par porte-voix, protégée par les véhicules de la police, n’avait pas tenu ses engagements, et que des tensions entre les deux syndicats présents dans l’entreprise, l’Union nationale des mineurs (Num) affiliée à la confédération Cosatu alliée de l’ANC, et un nouveau syndicat indépendant implanté depuis dix ans, l’Association des mineurs et union construction (Amcu) dissident du Num. Ironie de l’Histoire, Cyril Ramaphosa, dirigeant historique du Num sous l’apartheid, est aujourd’hui un actionnaire de Lonmin et l’un des hommes les plus riches d’Afrique du Sud, ce qu’est venu dénoncer immédiatement sur le terrain Julius Malema, l’ex-leader de la Ligue de la jeunesse de l’ANC (Ancyl).
La plupart des mineurs sont des travailleurs migrants qui vivent dans des conditions effroyables – salaires maximums de 400 euros par mois, campements ou taudis sans eau courante ni latrines – pendant que la Lonmin, cotée en Bourse, ne cesse d’augmenter ses bénéfices. L’ancienne Lonrho PLC, enregistrée à la Bourse de Londres et listée au FTSE 250 Index (l’index boursier du Financial Times), fut créée en 1909 sous le nom de London and Rhodesian Mining and Land Company Limited pour exploiter les minerais d’Afrique avant de devenir, un siècle plus tard, un conglomérat dont les branches s’étendent à des chaînes de magasins, des journaux et autres secteurs. Mais c’est certainement l’activité minière « platine » du groupe opérant dans le Bushveld Complex en Afrique du Sud – régions de Marikana et du Limpopo – qui est la plus juteuse. L’Afrique du Sud possède 87 % des réserves mondiales indispensables à l’industrie automobile notamment, pour la fabrication des pots d’échappement catalytiques.
Le conflit entre les syndicats, illustré dramatiquement par les violences ayant précédé l’intervention, plus violente encore, de la police, ne semble pas étranger aux luttes politiques qui s’intensifient entre les différents courants de l’ANC, à trois mois de la grande conférence devant désigner son prochain candidat présidentiel. Alors que le Num soutient l’actuel président Jacob Zuma, l’Amcu est accusée – ce qu’elle dément – d’être proche de l’Ancyl, dont le président, Julius Malema, et deux membres de la direction ont été exclus à l’issue d’une saga disciplinaire. L’enjeu du conflit était la nationalisation des mines qui divise la direction de l’ANC. Comme la nationalisation de la terre, cette question sera au cœur de la bataille qui ne manquera pas de faire rage à la conférence de décembre.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que Joseph Mathunjwa, dirigeant de l’Amcu, exige une enquête indépendante pour identifier les causes de ce que l’on appelle le « massacre de Lonmin » et s’est engagé à « coopérer et soutenir toute action engagée » pour établir la vérité, alors que Jacob Zuma,lui, demande une commission d’enquête gouvernementale.