Les radicaux au sein de l’African National Congress (ANC) ont perdu la bataille. La 53e conférence de décembre dernier a réélu Jacob Zuma et choisi pour vice-président le milliardaire et patron de mines, Cyril Ramaphosa. Mission : rassurer les investisseurs et milieux d’affaires.
Face à la grosse machine ANC, la candidature trop tardive et sans réelle stratégie du vice-président Kgalema Motlanthe, dont la campagne a été menée, sans qu’il l’ait demandé, par le très discrédité Julius Malema et son groupe, n’avait aucune chance de gagner. Cependant, 5 000 délégués au congrès ne font pas la population sud-africaine. Au même moment, un sondage sur la base d’un échantillon de 3 000 personnes donnait une nette majorité (70 %) à Motlanthe. La campagne nationale « Tout sauf Zuma », si elle n’a pas changé le cours de l’ANC, a néanmoins bénéficié d’un large écho au sein des Sud-Africains.
Le refus de plusieurs dirigeants de premier plan de renouveler leur mandat au sein du Conseil national exécutif de l’ANC est significatif de la fracture provoquée par la personnalité de Zuma et sa façon de gérer le pays depuis 2009. Parmi eux, le ministre d’État Trevor Manuel, le secrétaire général de la confédération syndicale Cosatu Zwelinzima Vavi, le secrétaire général du Parti communiste (PC) Jeremy Cronin, le secrétaire général du syndicat de la métallurgie Irvin Jim, de celui du syndicat des mineurs Frans Baleni, mais aussi le porte-parole du gouvernement, l’historique Mac Maharaj, le président de l’ANC de la province du Cap Nord John Block, ou encore Jay Naidoo, autre historique de l’ANC.
La 53e conférence a été soigneusement verrouillée, l’enjeu était sérieux. Démettre Jacob Zuma était impensable, car cela aurait signifié pour l’ANC reconnaître son propre échec. Le maintenir à la tête de l’ANC et envisager les élections générales de 2014 ne pouvaient non plus se faire sans un minimum de stratégie permettant de sortir de la crise où se trouve l’organisation. D’où l’homme providentiel, Cyril Ramaphosa. L’élection à la vice-présidence de l’ancien syndicaliste, héros de la lutte contre le régime d’apartheid et homme d’affaires milliardaire, arrive à point nommé pour rassurer et les fidèles de Zuma au sein de l’Alliance tripartie au pouvoir (ANC, Cosatu et PC), et aussi auprès des milieux d’affaires. Tous lui reconnaissent expérience et compétence, réussite et qualité de négociateur (il avait participé aux négociations qui ont abouti à la chute du régime en 1994). Chacun y trouve son compte.
« Le Parti communiste reconnaît que la réalité sud-africaine nous oblige à travailler avec le monde des affaires », dit le PC, dont le président, Gwede Mantashe, inconditionnel de Jacob Zuma, a été réélu au poste de secrétaire général de l’ANC. « Le monde des affaires pense définitivement qu’il est mieux d’avoir Ramaphosa à l’intérieur qu’à l’extérieur », estime de son côté Peter Major, analyste spécialiste des mines à Cadiz Corporate Solutions, exprimant l’opinion des affairistes et des investisseurs étrangers. Du côté du peuple, on se souviendra surtout que c’est lui qui est intervenu pour que les forces de sécurité interviennent contre les mineurs de la compagnie Lonmin dont il est l’un des dirigeants, qui a fait trente-quatre morts. Malgré tout, il ferait un meilleur candidat à la présidence de la République que Jacob Zuma ; et peut-être est-ce sa succession en douceur que le chef de l’État a préparée en organisant d’une main de fer cette 53e conférence.
Mais pour quelle politique ? Car ce sont les promesses non tenues d’une Afrique du Sud plongée dans la misère, les inégalités profondes et la corruption qui interpellent les citoyens aujourd’hui. Le énième plan national de développement, qui fixe le cadre de la « seconde transition », prévoit une croissance ambitieuse dans les trente prochaines années. Une semaine avant la conférence de l’ANC, une trentaine de dirigeants d’affaires importants ont écrit au gouvernement pour lui demander de l’appliquer. Les appels à une politique plus radicale qui se sont exprimés au sein de l’ANC comme en dehors, telles la nationalisation des mines ou une réforme agraire de choc, ont été ignorés. Une nouvelle politique fiscale et monétaire, une réorientation vers les investissements à long terme, un appel aux investisseurs étrangers sont au programme. Cyril Ramaphosa aux commandes, il ne reste qu’un an et demi à l’ANC pour convaincre une population qui n’hésite plus à exprimer sa colère. L’ANC ne bénéficiera pas toujours de l’aura qu’elle doit à Madiba et au peuple sud-africain.