À un an des élections générales, l’ANC semble être arrivée au bout du grand nettoyage qu’elle a lancé au sein de ses organisations, entre autres la Ligue de la jeunesse et l’Association des vétérans d’Umkhonto we Sizwe. Les structures internes de l’ANC n’y ont pas échappé non plus depuis le congrès de Polokwane, en 2007, et après celui, électif, de Mangaung, en décembre 2012, dans les branches qui ont soutenu la candidature de Kgalema Motlante contre Jacob Zuma. Le leitmotiv de l’« unité nationale » indispensable à la « reconstruction du pays », si cher au président Jacob Zuma, ressemble plus que jamais à une sorte de litanie sans fond ni fin.
La création récente de deux nouveaux partis début 2013 en est la preuve. Déjà, en 2008, des dissidents de l’ANC et figures incontestées de la lutte contre l’apartheid, Mosiuoa « Terror » Lekota et Mbhazima Shilowa, avaient fondé le Congrès du peuple (Cope). Certes, il n’avait obtenu « que » 7,42 % des voix aux élections de 2009, mais en remportant 30 des 400 sièges à l’Assemblée nationale, le Cope avait contribué à priver l’ANC de la majorité absolue et ouvrait une brèche dans une forteresse que l’on pensait inébranlable.
Le 18 février dernier, Mamphela Ramphele lançait Agang South Africa (Construisons l’Afrique du Sud). Son objectif : donner le pouvoir au peuple, construire des services publics efficaces, une économie restructurée, une éducation et un système de formation modernes, et restaurer la position de l’Afrique du Sud en Afrique et dans le monde. Le Dr Mamphela Ramphele est une ancienne dirigeante du Mouvement de la Conscience noire, compagne de Steve Biko avec lequel elle a eu deux enfants. Elle a été directrice à la Banque mondiale et membre de la direction de plusieurs groupes industriels, dont elle a démissionné pour revenir à la vie politique. Très critiquée pour ses positions anti-grévistes lors des grèves tragiques dans les mines en 2012 et pour ses appels à moderniser ce secteur par des licenciements massifs – de fait son ancien employeur Anglo Américan, vient d’annoncer sa volonté de licencier 6 000 mineurs –, cette femme influente peut, cependant, fédérer et séduire une partie de l’électorat.
C’est dans les murs de l’ancienne prison pour femmes de Johannesburg, où furent incarcérées tant d’héroïnes de la lutte contre l’apartheid, comme Albertina Sisulu ou Winnie Madikizela-Mandela, que, de façon provocatrice, Mamphela Ramphele a choisi de lancer son nouveau parti, en prononçant un discours assassin contre l’ANC de Jacob Zuma.
Fin avril, des dissidents de l’Association des vétérans d’Umkhonto we Sizwe ont annoncé la création d’un autre parti, South Africa First (Afrique du Sud d’abord). Les deux fondateurs, Eddie Mokhoanatse et Lucky Twala, n’ont, eux aussi, pas de mots assez durs contre l’ANC et son actuelle direction. « Lorsque nous avons adhéré à l’ANC [1976 et 1978], c’était essentiellement pour rejoindre le mouvement de libération et l’ANC comme acteur de changement. Si elle s’éloigne de ses valeurs fondamentales, nous ne voyons aucune raison pour rester dans l’organisation », explique Mokhoanatse expulsé l’année dernière avec d’autres, après avoir dénoncé les détournements d’argent par les plus hauts dirigeants de l’association des vétérans. Début mai, il exigeait que gouvernement déclassifie une liste d’anciens de membres de l’ANC et d’Umkhonto également agents de l’apartheid, donnée à l’ANC par l’ex-président Frederik de Klerk.
Les réactions de l’ANC à l’annonce de ces nouveaux partis ne sont pas différentes de celles adoptées à l’égard du syndicat des mineurs indépendants ou d’autres organisations ou groupes contestataires. « Ennemis de la révolution », « agents de l’apartheid » « traîtres » sont les qualificatifs le plus souvent utilisés officiellement. Le communiqué publié le 18 février par l’ANC à propos du lancement d’Agang South Africa est éloquent : « L’annonce vient après la révélation des tentatives du Dr Ramphela de lever des fonds à l’étranger, dont les États-Unis. Nous espérons seulement que le pompage de fonds étrangers en Afrique du Sud ne portera pas atteinte à la démocratisation et la transformation à venir dans notre pays. » Alors que la situation critique dans laquelle se trouve le pays exige la mobilisation de tous, l’ANC, touchée par des scandales sans fin, préfère s’enfermer dans une tour. Elle finira par s’écrouler, quel que soit le temps que cela prendra, si l’organisation n’évolue pas profondément.