À pratiquement deux semaines de la 54ème Conférence générale de l’ANC, congrès électif qui doit élire un nouveau président de l’organisation qui sera le prochain président de la République en cas de victoire aux élections générales de 2019, Nkosazana Dlamini Zuma, candidate de l’ANC et Cyril Ramaphosa, l’actuel vice-président fermement opposé à la politique de Jacob Zuma, abordent la dernière ligne droite, loin devant les cinq autres rivaux.
Les élections dans les branches provinciales de l’ANC sont terminées depuis le 26 novembre. Les deux candidats ont sillonné le pays depuis plusieurs mois pour gagner le maximum de votes parmi les 5240 représentants au congrès électif. Les meetings ont été marqués, dans certaines provinces, par des violences entre délégués et une série d’assassinats politiques, particulièrement dans le Kwazulu-Natal, l’Eastern Cape et le Northern Cape. Certaines conférences provinciales n’ont pu se tenir en temps et heure, notamment dans le Free State, le Gauteng (province de Johannesburg), le Kwazulu-Natal, le Mpumalanga, le Limpopo, le Northwest, le Western et le Northeen Cape. Les fraudes et les manipulations, comme dans le Northern Cape, ont conduit les dirigeants de la branche, hostiles à Jacob Zuma, à s’en remettre à la justice. La situation est devenue tellement critique que le secrétaire général de l’ANC, Gwede Mantashe, s’est vu obligé de mettre en place des équipes d’intervention et de médiation.
Les deux favoris
À ce jour, les deux candidats, au coude à coude, avec, apparemment, un léger avantage pour Cyril Ramaphosa, revendiquent chacun la victoire au sein des branches. Quoi qu’il en soit, c’est au tour, cette semaine, des conseils des provinces de se prononcer sur leur candidat favori. Entreront en jeu, également, les organisations de la jeunesse (ANCYL) et des femmes (Women’s League) qui sont considérées comme des « provinces », dans ce contexte, et avancent en ordre divisé. Rien n’est définitivement joué, puisque, in fine, c’est le Congrès qui tranchera.
Qui est Cyril Ramaphosa ?
Cyril Ramaphosa bénéficie du soutien du Parti communiste et de la confédération syndicale Cosatu, les deux alliés historiques de l’ANC dans la « Triple Alliance » qui ont, longtemps soutenu Jacob Zuma, avant de s’en éloigner, puis de le dénoncer publiquement et de demander sa démission. Il semble, également, l’emporter dans les provinces du Western Cape, Eastern Cape, Northern Cape, Limpopo et Gauteng.
Les transformations socio-économiques ont, bien sûr, été au centre de la campagne de Cyril Ramaphosa et de Nkosazana Dlamini-Zuma. Le deux candidats ont repris les grandes lignes du Plan national de Développement – Vision 20130 (NDP) dont Cyril Ramaphosa fut, avec l’ancien ministre des Finances, Trevor Manuel, l’un des artisans au sein de la Commission nationale de planification. Le NDP, qui s’enracine dans la Charte de la Liberté, adopté il y a 62 ans au Congrès du Peuple, à Kliptown, élaboré à la demande de Jacob Zuma, en 2012, a été adopté par l’ANC en 2014, avant de passer aux oubliettes.
L’expression « Transformation radicale socio-économique » reprise comme leitmotiv de leur campagne par les deux candidats, n’est pas nouvelle. Elle fut utilisée pour la première fois lors de la présentation du « Cadre stratégique à moyen terme » (2014-2019), dérivé du NDP. « La transformation économique radicale, expliquait, alors, Cyril Ramaphosa, concerne, par essence, la construction d’une société plus équitable par une croissance durable inclusive. Nous devons fondamentalement changer la composition raciale et sexiste de la propriété, le contrôle et la gestion de notre économie. Nous avons besoin d’une économie sud-africaine qui reflète réellement la composition, la diversité et les intérêts du peuple sud-africain. »
Le New Deal de Nkosazana Dlamini-Zuma
C’est au très « libéral » Gordon Institute of Business Science (GIBS) que Nkosazana Dlamini-Zuma a exposé « son » programme. « Personne ne doit rester en arrière », a-t-elle déclaré, soulignant que c’est le cas de « plus de la moitié de la population » et reconnaissant que l’objectif d’éradiquer les injustices et les inégalités, n’avait pas été atteint, accusant le « Capital monopoliste blanc » de « contrôler le destin de la majorité des Sud-Africains noirs ». Nkosazana Dlamini-Zuma a rappelé les objectifs présentés dans le Discours à la Nation de 2017 par Jacob Zuma, qui définissait la « transformation radicale socio-économique » – se souvenant, soudain de l’existence du NDP – en termes de « changement fondamental de structures, de systèmes, d’institutions et de modèles de partenariat, de gestion et de contrôle de l’économie en faveur de tous les Sud-Africains, particulièrement les pauvres, dont la majorité est représentée par les femmes ».
La transformation des structures, selon Nkosazana Dlamini-Zuma, réside dans la promotion de l’industrialisation de transformation et de l’agriculture, le contrôle de la plus-value des matières premières minières, et les services de base. Les changements de système concernent les modèles d’échanges de biens, de services et de flux financiers dans l’économie et avec le reste du monde. Elle doit, aussi inclure une transformation des chaînes de valeur en faveur de la majorité noire et une législation pour garantir que les secteurs financiers promouvront et permettront l’acquisition du capital par les entrepreneurs noirs.
La transformation des institutions concerne les organismes économiques et les règles qui président à leurs activités. « Pour réaliser le programme de « Transformation socio-économique radicale », il faudra amender ou abroger certaines législations et introduire une nouvelle législation afin de permettre la promotion de l’activité économique pour une plus grande émancipation noire et interdire l’exploitation du « Capitalisme monopoliste blanc ».
Ces transformations fondamentales des institutions économiques impliquent des changements dans la gestion des organismes existants et l’introduction « de nouvelles formes de structures à participation populaire dans les institutions d’État et les agences associées ». Le rôle de l’État devra, à cet égard, être revu, ainsi que celui du secteur privé et des coopératives dans le cadre d’une économie mixte favorisant un développement plus fort.
Abordant la question sensible de la propriété privée, et allant bien au-delà du Plan de Développement national, « la propriété et le contrôle notoires de notre économie par le « Capitalisme monopoliste blanc » devra évoluer de façon à ce que les modèles de propriété privée reflètent la démographie de notre population », explique-t-elle. « Nous pensons que les secteurs stratégiques de notre économie doivent être la propriété collective du peuple à travers la propriété démocratique de l’État », a précisé Nkosazana Dlamini-Zuma, annonçant entre les lignes la nationalisation des secteur stratégiques de l’économie, en premier lieu les mines, des nationalisations auxquelles la direction de l’ANC s’est toujours opposée. Selon la candidate, « un État fort et économiquement interventionniste » est essentiel pour garantir l’équilibre en faveur de la majorité « du peuple Noir, particulièrement africain ».
Pour la candidate, qui reconnaît que la – faible – croissance « qui n’a pas créé d’emplois », n’a pas profité aux « noirs, particulièrement africains » – faisant l’impasse sur les fortunes que certains de ses compatriotes et proches ont accumulées depuis 1994, en grande partie grâce à la corruption et au favoritisme sous la présidence de Jacob Zuma – la seule façon de garantir une croissance « inclusive » est d’appliquer le programme de « Transformation radicale socio-économique » et d’éradiquer le « Capitalisme monopoliste blanc » dans un marché libre ».
Enfin, autre question sensible, la propriété de la terre doit faire l’objet d’ « une restitution sans compensation ». « Il faut rejeter le concept de vendeur volontaire/acheteur volontaire » qui présidait jusqu’alors. « L’État doit être propriétaire de la terre et déterminer les objectifs privilégiés de développement et son régime foncier en tant que bien national. » Une réforme agraire radicale, donc., avec, là encore, un processus de nationalisation qui n’a jamais été défendu par l’ANC et qui n’apparaît pas dans le NDP.
Reconnaissant implicitement l’échec de l’ANC à respecter son engagement pris en 1994, lors des premières élections démocratiques, de construire « une meilleure vie pour tous », slogan de l’époque, Nkosazana Dlamini-Zuma conclut : « Vingt-trois ans plus tard, nous devrions garder cette promesse en tête. » Un discours déjà entendu, convenu, sans critique ni autocritique de la part de celle qui fut l’épouse de Jacob Zuma, ministre de la Santé, des Affaires étrangères, de l’Intérieur et qui eut ses premières responsabilités au sein de l’ANC en 1976, comme dirigeante de l’organisation des étudiants sud-africains.. Un discours, également, sans aucune référence, ni à l’ANC, ni à la corruption qui mine le pays et son organisation, question particulièrement sensible pour les Sud-Africains.
Cyril Ramaphosa, sauveur de l’ANC ?
Cyril Ramaphosa, vice-président de l’ANC et de la République, représente ceux, opposés à Jacob Zuma et sa politique corrompue et inefficace, qui veulent « sauver l’ANC », non seulement en vue des élections générales en 2019, mais, également, pour elle-même en tant qu’organisation historique du peuple sud-africain. Il est soutenu par tous ceux, anciens ministres ou membres de la direction de l’organisation, intellectuels, communistes, « démocrates », militants, vétérans et historiques, voire héros de la guerre contre l’apartheid, syndicalistes, qui , pour la plupart, ont quitté leur poste, limogés ou démissionnaires, ou abandonner l’ANC depuis le mandat présidentiel de Jacob Zuma dont ils demandent la démission depuis plusieurs mois. Il est aussi entendu par tous les Sud-Africains indignés par les scandales de capture d’État, la corruption et l’enrichissement frauduleux d’une nouvelle classe de capitalistes « noirs » corrompus liés à Jacob Zuma.
Ce sont, effectivement, la corruption et le « sauvetage » de l’ANC qui ont été placés au cœur de la campagne de Cyril Ramaphosa. Avant toute chose, explique-t-il, aucune croissance, aucune transformation ou développement ne sera possible tant que les institutions publiques clés continuent d’être « utilisées pour des intérêts criminels d’une poignée » et les ressources publiques, « pillées ». À cet égard, il prône la mise en place, « sans délai », d’une commission judiciaire d’enquête et des actions légales pénales contre les corrompus. Il a annoncé, également, la création d’un « fonds spécial anti-corruption ». « À ceux qui ont des intérêts personnels dans la gouvernance inefficace, dans la mauvaise gouvernance délibérée, dans des affaires cachées, dans la concentration du contrôle économique et des pratiques déloyales, nous disons : jamais plus ! » s’exclamait-il le 14 novembre dernier, à la tribune du Colloque économique régional de l’ANC, à Johannesburg, pointant du doigt, non pas les capitaliste blancs, comme le fait Nkosazana Dlamini-Zuma, mais les « nouveaux riches » du pouvoir et acolytes.
Ancien dirigeant du syndicat des mineurs, héro de la lutte contre le régime d’apartheid, Cyril Ramaphosa, qui a renoncé à tous ses intérêts d’affaires lorsqu’il est revenu en politique, ne jette pas le bébé avec l’eau du bain. Il rappelle à juste titre les progrès accomplis depuis 1994 et l’arrivée au pouvoir de l’ANC. Il rappelle que la classe moyenne sud-africaine est passée de moins de 1,7 millions à 6 millions de personnes, les emplois de 8,9 millions à 16 millions. Mais, ajoute-t-il, le niveau du chômage et de la pauvreté reste élevé de façon inacceptable, et « il est très inquiétant de voir que, dans les dernières années, (notre) économie a piétiné et le progrès social a ralenti. » Le chômage a augmenté, dans cette période et la proportion de la population vivant dans la pauvreté se situe à environ 55%, « soit plus de 30 millions de personnes ». Le « niveau des investissements s’est effondré, la confiance dans l’économie est très basse et le pays risque de tomber dans un piège fiscal, » explique-t-il.
En cause, « des erreurs dans l’intervention politique, la faiblesse de la prise de décision collective et la médiocre exécution de notre politique et de nos stratégies, combinées aux effets néfastes de la capture d’État et de la corruption sur la performance économique », explique-t-il encore, n’hésitant pas, contrairement à Nkosazana Dlamini-Zuma, à utiliser un langage accusateur sans détour. « Nous avons besoin d’une nouvelle approche décisive, nous avons besoin d’un New Deal pour l’Afrique du Sud, pour les emplois, pour la croissance, pour la transformation qui changera l’économie et construira une société plus équitable ».
Le programme présenté par Cyril Ramaphosa, « fermement enraciné dans le Plan de développement national » et les orientations de l’ANC, se définit selon dix principes :
- une nouvelle unité d’objectif et d’action
- une équipe de direction efficace et engagée qui promeut les intérêts du peuple avant tout autre intérêt
- un engagement indéfectible dans l’application des décisions, des politiques et des lois de la République
- le fondement de tout ce que nous faisons sur l’innovation et l’excellence
- la popularisation des initiatives pour promouvoir la croissance inclusive
- une approche plus large du BEE (Black Economic Empowerment, processus d’émancipation des Noirs dans l’économie) avec un effort particulier en direction de la jeunesse et des femmes,
- un rejet sans compromis de la corruption, le paternalisme, le népotisme et le gaspillage.
À la différence, cependant, de Nkosazana Dlamini-Zuma, Cyril Ramaphosa n’attaque pas de front les capitalistes « blancs ». Il appelle « tous les partenaires sociaux » à « mener une initiative nationale pour créer au moins un million d’emplois en cinq ans ». Il fait allusion à des « mesures spécifiques pour accroître l’investissement dans les secteurs productifs de l’économie » qui doivent inclure « une exploitation beaucoup plus efficace de (nos) ressources naturelles » qui restent « le fondement de (notre) économie ». La redistribution de la terre est, dit-il, « également critique pour l’inclusion économique ». Elle sera « accélérée, en même temps que les systèmes d’amélioration de la productivité et le soutien à une activité agricole nouvelle », explique-t-il en évitant d’aborder le sujet brûlant des moyens et de la forme de la redistribution. Même retenue sur les ressources nationales et la question de la nationalisation, conformément, d’ailleurs, au texte du Plan de développement national qui ne se prononce pas dans ce sens. Outre ces questions essentielles, le New Deal présenté par Cyril Ramaphosa aborde, également, les questions cruciale de l’éducation, des entreprises nationales et du développement social.
Si les programmes des deux candidats s’appuient sur le même texte, le NDP, il est vrai, cependant, que Nkosa Dlamini-Zuma prend davantage de risques en s’attaquant directement au « capitalisme blanc » et aux grands propriétaires terriens blancs. Est-ce démagogique ? Est-ce réaliste dans le contexte sud-africain ? Fait-elle de la surenchère pour se donner une image de « révolutionnaire » plus radicale que la gauche dans et hors l’ANC opposée à Jacob Zuma, et lui couper l’herbe sous les pieds ? Peut-elle être crédible, alors qu’elle est la candidate d’un président corrompu qui a trahi toutes les promesses faites au peuple ? Cela peut-il lui profiter ? Le Congrès de l’ANC, du 16 au 20 décembre prochain, répondra à ces questions et sera, en tout cas, un moment tumultueux et historique dans l’histoire de l’organisation.