L’affaire Nkandla qui implique le président Zuma avait éclaté en 2009, grâce aux révélations du quotidien Mail&Guardian dont l’équipe d’enquêteurs journalistes est particulièrement efficace.
Le scandale était d’une telle ampleur que la Public Protector, Thuli Madonsela, avait été chargée d’enquêter et de rendre un rapport. Et s’il existe une institution constitutionnelle qui fonctionne normalement bien et avec une relative indépendance, c’est bien celle-là. Sa mission est de garantir la bonne marche de la démocratie, contrôler le respect de la constitution et enquêter sur toute affaire touchant le fonctionnement du gouvernement et de toute institution liée à l’Etat ainsi que des administrations régionales et locales.
Cependant, l’affaire Nkandla dont les enjeux sont nationaux dans le contexte des élections générales du 7 mai prochain, a donné lieu à des attaques sans précédent. La Public Protector a dû affronter pendant deux ans les pressions, les menaces – elle écrit avoir craint pour sa vie – et les obstacles dressés sur son chemin. Elle a finalement rendu son rapport de 443 pages, intitulé « Sécurité dans le confort », qui confirme les accusations d’abus de biens sociaux et d’utilisation de fonds publics pour la construction du « domaine » privé du président à 40 km de Nkandla, ville située dans la province zulu du Kwazulu-Natal d’où le président est originaire. La propriété est construite sur la terre du Ingonyama Trust, l’entité légale qui possède les terres administrées par le roi Zulu, Goodwill Zwelithini kaBhekuzulu, « au nom de l’État pour le bénéfice de ses occupants ».
Nkandla se trouve au cœur d’une zone rurale particulièrement pauvre, au 5ème rang des zones les plus pauvres de la province avec 45 % de sans emplois. Le rapport montre que le coût de la construction du domaine est passé de 27, 89 millions de rands en mai 2009 à 246,34 millions (16,5 millions d’euros environ). Et bien sûr, les installations comme la clinique, la piscine, l’héliport, les maisons pour les policiers chargés de protéger les « invités » du président « excessives jusqu’à l’obscénité », et autres infrastructures, situées à l’intérieur de l’enceinte, ne sont pas accessibles aux locaux. Dans cette région complètement déshéritée, où il n’existe ni route bitumée, ni centre de soin, ni poste de police, il a paru évident, dès la révélation du scandale en 2009, que ces équipements « privés » construits avec l’argent public auraient dû être conçus dans l’intérêt des communautés isolées.
En outre Le rapport accumule les preuves de mauvaise administration, violations éthiques, comportements incorrects ou procédures illégales de la part de plusieurs ministres et de leurs bureaux, ainsi que du président. Nombre de constructions avaient été décrites officiellement comme des équipement servant à renforcer la sécurité du président, comme la piscine passée pour « un réservoir d’eau en cas d’incendie ». Plus encore, pour construire le domaine, les habitants alentour ont été déplacés. « Je n’ai pas pu trouver la moindre raison légitime qui justifie le déplacement des foyers aux frais de l’État pour raison de sécurité tel que cela est défini dans les dispositifs légaux », a précisé Thuli Madonsela lors de la présentation du rapport.
Jacob Zuma qui a, depuis 2009, avec son entourage, nié toute implication dans quelque malversations ou corruption que ce soit, n’est pas le seul à être épinglé dans le rapport. Thuli Madonsela insiste sur l’attitude du président qui « a souvent utilisé l’argument de son statut pour ne pas répondre aux questions posées dans le cadre de l’enquête et des arguments légaux douteux pour saper (son) travail. » Mais elle accuse aussi des ministres, comme celui des Travaux publics. Son rapport tourne autour de douze questions. Y a-t-il eu une mauvaise administration du projet Nkandla ? « Oui, répond-elle. Tous les hauts fonctionnaires impliqués ont soit fait des erreurs, soit sont coupables de mauvaise administration ». « Des fonds ont-ils été détournés de projets gouvernementaux pour être utilisés à Nkandla ? » Une nouvelle fois la réponse est « Oui ». L’argent prévu pour la réhabilitation des quartiers pauvres et pour gérer le risque de dolomite (un cristal de roche friable), qui conduit à la formation de dolines (une forme d’érosion des calcaires qui peu provoquer des trous circulaires d’effondrement de plusieurs mètres de circonférence) a été utilisé pour Nkandla. Zuma est-il coupable de violations éthiques ? Oui, il n’a pas protégé les ressources publiques, et aurait dû poser des questions (à son architecte par exemple) dès décembre 2009. Il a trompé le Parlement. L’État a occupé illégalement des terres adjacentes à la propriété et de nombreuses personnes impliquées dans l’enquête (et en premier lieu Zuma lui-même) ont retardé ses conclusions.
Une doline (à Guatemala City)
Les pressions exercées pour empêcher la publication du rapport et les menaces ont été d’un niveau « sans précédent , jusqu’à la veille même de la présentation ». Début 2013, par exemple, le procureur de la République, le conseiller juridique présidentiel et plusieurs ministres sont intervenus pour que l’enquête soit suspendue, écrit Thuli Madonsela qui a toujours refusé de céder aux menaces. On l’a accusée, officiellement de ne pas être « compétente » car non spécialistes des questions de sécurité, elle s’est vu refusé des dossier devenus subitement « top secret » et a dû se battre contre les manœuvres pour retarder, parfois de plusieurs mois, le dépôt d’information ou de documents importants auprès de son bureau. Entouré d’une équipe de juristes, Jacob Zuma a également essayé de faire invalider l’enquête pour dépassement de délais légaux.
La publication du rapport Madonsela a secoué l’opinion publique sud-africaine et mis en dans l’embarras l’ANC, à un mois d’élections qu’elle emportera certainement, mais sans panache. En tout cas, l’embarras est suffisamment grand pour que les ténors de l’ANC se déchainent tous azimuts pour « blanchir » Jacob Zuma et discréditer le rapport. Au pied du mur et dès lors qu’il devient très difficile de s’opposer au rapport pour qui veut garder une peu de crédibilité, Gwede Mantashe, le secrétaire général de l’ANC et dirigeant communiste, a fait profil bas. Ce qui est plutôt surprenant pour quelqu’un généralement si prompt à tout justifier dès lors qu’il s’agit de Zuma et l’ANC – y compris, en 2012, l’assassinat de 34 mineurs. « L’ANC n’entend pas ignorer le rapport, ni le discréditer, a-t-il déclaré. Tous les responsables publics, fonctionnaires et entreprises privées impliqués dans une quelconque mauvaise gestion doivent aller en justice et tous les fonds acquis de façon inappropriée être récupérés. Quand je dis tout, je veux dire tous ! » Et de préciser que l’ANC pouvait demander des comptes à Jacob Zuma, bien que pointant très vite le doigt en direction de celui qui pourrait fort bien servire de bouc émissaire, Minenhele Makhanya, l’architecte du projet. Payé au pourcentage, a-t-il expliqué, celui-ci a encaissé 16,5 millions de rands (plus d’un million d’euros). Mantashe a aussi fait allusion au recours à un tribunal pour trancher sur les « différences » entre le rapport Madonsela et celui de la task-team interministérielle, entité légale que doit redevable devant le gouvernement qui avait été chargée de mener une contre-enquête dont le rapport avait été bouclé en décembre 2013. Il concluait que les infrastructures telles que le « réservoir d’eau », la basse-cour, l’enclos pour le bétail, le centre pour les visiteurs, l’amphithéâtre et autres fantaisies étaient nécessaire à la sécurité de Zuma, outre le fait qu’il n’évaluait le coût de construction qu’à 71 millions de dollars. Réclamer l’arbitrage d’une instance judiciaire apparaît comme une manœuvre visant à jeter le doute sur le rapport de la Public Protector et atténuer son impact sur l’opinion public, d’une part, et de gagner du temps, d’autre part.
Pour l’Alliance démocratique (DA) qui a déposé une plainte pour « corruption » au commissariat de Nkandla, le Nkandlagate, comme elle appelle désormais cette affaire, est l’occasion de lancer une attaque d’envergure contre l’ANC. Un SMS a été envoyé aux électeurs, les appelant à voter DA pour battre Zuma qui a « volé (votre) argent », et les corrompus. L’ANC a menacé à son tour de porter plainte pour diffamation, ce qui n’a pas effrayé pour autant la DA, au contraire. « La DA accueille positivement l’occasion d’aller devant les tribunaux. Nous dirons au juge exactement t ce que le reste des Sud-Africains ont entendu ces dernières semaines, que le président Zuma a bénéficié de façon abusive et indécente de 246 millions de rands pour soi-disant renforcer la sécurité de son domaine privé Nkandla » a déclaré Lindiwe Mazibuko, responsable du groupe DA à l’Assemblée nationale. « Au lieu de tout faire pour garantir que le président Zuma ne revienne pas et qu’il s’excuse pour tout ses méfaits, ils passent plutôt leur temps et leur énergie à essayer de cacher la vérité au pays », a-t-elle insisté. L’archevêque Mgr Desmond Tutu s’en est, lui aussi, mêlé en louant le travail de Thuli Madonsela pour « son courage dans son enquête et son rapport sans crainte ni faveur ». Il a violemment reproché à l’ANC et ses alliés d’avoir accusé la Public Protector de « stratagème politique afin d’influencer l’élection générale imminente ». Quant à la presse, elle se déchaine, particulièrement le Sowetan dont l’éditorialiste demandait « Est-ce pour en arriver là que les pères fondateurs se sont rencontrés il y a un siècle ? » Il semble clair aujourd’hui qu’une partie de plus en plus importante de la population fasse la différence entre l’ANC historique et ce que Jacob Zuma en a fait depuis cinq ans qu’il est au pouvoir. D’où toute la difficulté et l’ambigüité du vote en faveur de l’ANC au mois de mai prochain.