Malgré le discours américain contre le régime iranien, le Département d’Etat poursuit une politique que beaucoup dénoncent comme une diplomatie de « complaisance avec les mollahs ».
L’impressionnant rassemblement de l’opposition iranienne en banlieue parisienne, à Villepinte, le 23 juin dernier, a réuni plus de 100 000 partisans du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI). L’événement a démontré la capacité de l’opposition iranienne à défier le régime de Téhéran et eu le mérite de passer un message clair : « le printemps iranien reste vivace » ! Celui-ci a trouvé un large écho auprès des Iraniens de l’intérieur qui sont privés de toutes les libertés, à commencer par celle de manifester.
Ce fut aussi l’occasion pour le CNRI d’attirer l’attention sur l’urgence humanitaire concernant les 3 400 membres des Moudjahidine du peuple dans les camps d’Achraf et de Liberty, soumis à une forte pression des autorités irakiennes.
Plus de 500 parlementaires et personnalités internationales étaient présentes, dont une forte délégation américaine avec notamment Rudy Giuliani, ancien maire de New York, Ed Rendell, ancien président du parti démocrate américain ou John Bolton, ancien ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU. L’administration américaine avait été sommée, début juin, par la justice de réviser l’inscription de la principale force d’opposition iranienne, les Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI), sur la liste des organisations terroristes. En effet le premier juin, le tribunal de Washington a ordonné à la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton de prendre une décision dans « les quatre mois » sur une demande des Moudjahidine du peuple iranien faute de quoi la requête sera accordée. Cette décision a été qualifiée par les experts de « sans précédent dans les annales de la justice américaine » et de « victoire remarquable » de l’OMPI, qui s’impose de plus en plus comme un facteur incontournable pour l’avenir de l’Iran.
La cour a reproché « l’inaction de la ministre », pour laquelle « l’OMPI est coincée dans des limbes administratives ». La Cour a remarqué : « on ne nous a donné aucune raison suffisante pour expliquer pourquoi la ministre n’a pas pu prendre une décision dans les 600 derniers jours », depuis la décision prise par la cour en faveur de l’OMPI ordonnant au Département d’Etat de réviser cette inscription jugée illégale.
Les experts à Washington estiment que l’administration américaine a peur des conséquences sur les négociations avec l’Iran concernant le nucléaire. D’autres vont plus loin et pensent que le retrait de l’OMPI de la liste noire mettra fin à la politique traditionnelle de complaisance avec les mollahs » du Département d’État. Cette politique est de plus en plus critiquée par les dignitaires républicains et démocrates qui ne croient plus à sa portée, surtout après l’échec de la dernière manche de négociations sur le programme nucléaire.
L’administration maintient pourtant cette politique qui semble vouée à l’échec. Il y a une semaine, des hauts-fonctionnaires du Département d’Etat ont tenu un étrange briefing. Lors d’une conférence téléphonique, Daniel Benjamin, coordinateur pour l’antiterrorisme au département d’Etat et Daniel Fried chargé par Hillary Clinton de la question d’Achraf ont exhorté les Moudjahidines du peuple à quitter leur camp en Irak s’ils veulent espérer être retirés de la liste des organisations terroristes.
Mi-juin, la diplomatie américaine avait déjà pressé l’OMPI, dont des membres résident encore au camp d’Achraf (80 km au nord-est de Bagdad), de le quitter au plus vite pour un autre camp, le camp Liberty, plus près de la capitale irakienne. Un camp que beaucoup d’organisations humanitaires qualifient de prison. « L’OMPI semble avoir mal interprété la décision de justice du 1er juin. Leurs dirigeants ont cru que la secrétaire d’Etat n’avait pas d’autre choix que de les supprimer de la liste. C’est faux. Le tribunal n’a pas ordonné de révoquer le statut de l’OMPI », a insisté Daniel Benjamin lors de ce briefing. Le Département d’Etat oublie la deuxième partie de la décision de justice qui affirme qu’au bout de quatre mois (d’ici le 1er octobre, à la veille de l’élection présidentielle américaine), ce sera le tribunal qui annoncera le retrait de facto de l’OMPI si aucune décision n’est prise.
Le Conseil national de la Résistance a répliqué fermement : « émettre des avertissements et lier constamment, la fermeture d’Achraf à la décision sur le retrait de l’OMPI de la liste des organisations terroristes, tout en méprisant les droits de l’homme concernant les résidents d’Achraf et de Liberty par le Département d’État américain, n’a aucun fondement juridique et est inacceptable. S’il y avait la moindre justification pour une telle connexion, alors la cour fédérale de Washington (US Federal Court of Appeals DC Circuit) l’aurait considéré dans sa décision prononcée le 1er juin 2012. »
Le CNRI répond qu’il n’y a jamais eu de « malentendu concernant les prérogatives de la Secrétaire d’Etat sur une réinscription éventuelle de l’OMPI sur la liste. Elle peut prendre la décision aujourd’hui de réinscrire l’OMPI. Une telle mesure ouvrirait la voie à la contestation de sa décision à nouveau devant le tribunal. Bien sûr, si le Département d’État était en possession de la moindre preuve crédible, il n’aurait pas attendu 600 jours. Il n’aurait alors eu aucune hésitation à remettre l’OMPI sur la liste. »
Tout laisse penser qu’à la veille d’une élection présidentielle délicate, l’administration américaine ne peut se permettre de jouer avec le feu et n’a d’autre choix que de retirer l’OMPI de la liste noire, d’autant plus qu’il y a un fort consensus bipartisan parmi les membres du Congrès et les politiciens, qui considèrent cette désignation comme une justification de la répression de l’OMPI en Iran et des massacres des résidents d’Achraf en juillet 2009 et avril 2011 en Irak au cours desquels 49 résidents ont été tués et plus d’un millier blessés. Les ONG et les milieux politiques à Washington ne sont pas indifférents à cette cause puisque les autorités américaines n’ont rien fait pour éviter ces massacres.
Le Département d’Etat veut transformer l’inscription sur la liste noire en un moyen de chantage pour fermer au plus tôt le camp d’Achraf. On peut s’interroger sur ses véritables motivations quand on sait que c’est aussi le souhait le plus profond de la dictature religieuse de Téhéran, qui ne peut tolérer ce foyer de résistance.
Les défenseurs des opposants iraniens estiment que le Departement d’Etat pose un faux problème et que le font de la question en ce qui concerne les camps d’Achraf et Liberty c’est l’absence de garanties humanitaires et le danger de voir un autre massacre se produire. Le Comité International pour la Justice (CIJ) présidé par le vice président du Parlement Européen, l’Espagnol Alejo Vidal Quadras, rappelle que « depuis la signature du Mémorandum d’accord entre le gouvernement irakien et l’ONU, le 25 décembre, le gouvernement irakien l’a constamment violé. Mais les résidents qui ne faisaient pas partie de cet accord et n’en avaient pas été informés avant sa signature, s’y sont entièrement conformés et 2000 d’entre eux ont été transférés en cinq convois au camp Liberty sans les garanties minimums humanitaires, alors que le gouvernement américain et les Nations unies ont invariablement reporté l’application de ces minimums au prochain convoi. »
Actuellement, le transfert des habitants d’Achraf vers Liberty est stoppé. Parce que, selon les habitants, la situation à Liberty est insoutenable par une chaleur qui dépasse les 50 degrés. Les habitants posent plusieurs conditions, qui ne sont que d’ordre humanitaire et, pourtant, le gouvernement irakien refuse de concéder malgré ses promesses. On peut s’interroger pourquoi, au lieu de mettre la pression sur le gouvernement irakien, qui n’a aucune notion des normes humanitaires, le Département d’Etat américain et son protégé, le représentant de l’ONU en Irak, Martin Kobler, qui s’est rendu récemment en Iran contre toute attente, mettent la pression sur les habitants d’Achraf et la Résistance iranienne pour quitter la camp sans avoir obtenu les garanties indispensables. L’administration de l’ONU ou le Département américain ont-ils fait des promesses aux mollahs de Téhéran ? C’est la question que beaucoup se posent.
Pourtant les exigences des habitants paraissent d’une simplicité incontestable. Le CIJ rappelle ces points en ces termes :
1. Le transfert de 300 climatiseurs d’Achraf à Liberty, pour lutter contre chaleur insoutenable ;
2. Le transfert de tous les générateurs d’électricité qui sont actuellement au camp Ashraf vers le Camp Liberty (sans générateur, il ne peut pas y avoir d’électricité à Liberty) ;
3. Le transfert de 25 camions contenant les effets personnels des résidents qui sont déjà partis à Liberty dans les quatrième et cinquième convois, ainsi que les six véhicules utilitaires comme des camions citernes nécessaires au transfert de l’eau ;
4. Le transfert de cinq chariots élévateurs d’Achraf vers Liberty dans le but de déplacer les biens des résidents. Il n’existe aucun moyen pour transporter le matériel à Liberty ;
5. Le transfert de trois véhicules spéciaux et six remorques spécialement conçues pour les personnes handicapées. A Liberty, il n’existe aucune infrastructure adaptée aux nombreux handicapés et blessés ;
6. Le transfert de 50 voitures d’Achraf à Liberty. Cela signifie une voiture pour 40 résidents, ce qui est absolument nécessaire, surtout en période de chaleur, pour les déplacements des résidents blessés et handicapés ;
7. L’autorisation de construction, y compris de trottoirs, porches, auvents, rampes, et des installations spéciales pour les handicapés ainsi que des espaces verts. Le gouvernement irakien empêche toute construction, et a transformé le camp en un camp de concentration ;
8. Raccordement du camp Liberty au réseau d’eau de Bagdad. Alternativement, les résidents devraient être autorisés à embaucher des entrepreneurs irakiens pour pomper l’eau d’un canal à proximité et d’apporter leur propre système de purification d’eau depuis Achraf. Pour l’instant il n’y a pas d’eau potable à Liberty ;
10. Permettre aux commerçants et acheteurs de venir à Achraf pour négocier et acheter les biens meubles dès que possible, et de procéder au paiement à l’avance, et commencer les paiements partiels aux résidents avant la reprise du convoi suivant ;
10. Début des négociations entre les résidents et leurs représentants financiers et le gouvernement irakien pour vendre les biens immobiliers, ou négociations avec des tierces parties (le gouvernement irakien doit fournir une autorisation) pour signer les accords nécessaires. Les paiements partiels doivent être faits avant le déménagement. Au moins 200 résidents resteraient à Achraf pour maintenir et entretenir les propriétés jusqu’à ce qu’elles soient vendues dans leur intégralité. Cet argent est indispensable au fonctionnement du camp Liberty, c’est pourquoi le gouvernement irakien entrave l’application de cette clause, alors même qu’il s’était engagé préalablement à l’autoriser.
Les résidents d’Achraf ont déclaré qu’ils se déplaceront au camp Liberty dès que les 10 exigences exposées ci-dessus pour leurs besoins humanitaires ci-dessus seront réalisées.
Les familles des habitants d’Achraf déclarent que si les habitants sont transférés de force vers Liberty, et qu’un nouveau massacre se produit ou d’autres résidents meurent des conséquences inhumaines à Liberty, l’ONU et l’administration américaine seront aussi responsable que les agents du régime iranien qui gouvernent aujourd’hui l’Irak.
Il est clair que les Moudjahidine du peuple ne sont pas du genre à quémander une sortie de la liste noire au détriment des vies de leurs militants, surtout si la justice est de leur côté. Un expert à Washington estime que si le discours du Département d’Etat ne change pas, il risque d’être fatal pour la crédibilité de l’Administration Obama à l’approche des élections présidentielles, ajoutant : « il ne faudrait pas oublier que cette fois, c’est le Département d’Etat qui a un deadline à tenir, fixé par la Cour d’appel de Washington : le 1er octobre ».