Maroc À l’approche du prochain congrès, trois leaders du plus important parti de gauche contestent ouvertement les décisions du premier secrétaire. Nouvelle crise en perspective ou simple neige d’été ?
La période de calme au sein de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), le plus grand parti de la gauche marocaine, n’a pas duré longtemps : les contestations ont repris contre les orientations du premier secrétaire du parti, Abdelwahed Radi, qui vient d’être élu président du Parlement. Trois membres de la direction de l’USFP ont annoncé, dans une lettre au bureau politique, le gel de leur activité. Le premier secrétaire a refusé cette décision, demandant à ses collègues de se remettre à la tâche. « Pour travailler ensemble [à] la mise en application des décisions du congrès national et l’unification de la gauche marocaine et la famille progressiste », selon Abdelwahed Radi.
Besoin de réformes
Tous les grands journaux du royaume, y compris proches de l’USFP, se sont emparés du sujet. Car la fronde vient de trois ténors du parti, dont deux anciens ministres du gouvernement Al-Youssoufi : Larbi Ajjoul, ancien ministre des Télécommunications, Mohamed Achaari, ancien ministre de la Culture, et Ali Bouabid, fils de feu Abderrrahim Bouabed, leader historique de l’USFP.
Quelles sont les intentions de ces trois militants, et pourquoi ont-ils choisi de prendre cette initiative à ce moment précis ? Veulent-ils protester contre la décision d’Abdelwahed Radi d’abandonner le poste de ministre de la Justice pour devenir président du Parlement, préférant ses propres intérêts aux préoccupations du parti ? Ont-ils voulu montrer leur mécontentement à l’égard des réformes politiques et constitutionnelles proposées au palais par l’USFP, et qui sont restées jusqu’à présent sans réponse ?
Une chose est sûre : le 19 avril, dans une lettre à la direction, les intéressés critiquent le consensus qui règne au parti, devenu, selon eux, « une entrave à l’évolution de l’action politique » et qui sert « les intérêts personnels ». Ils évoquent la nécessité « d’accélérer les réformes, la modernisation du parti et la réhabilitation des valeurs principes et du projet du l’USFP ». Ils veulent surtout une réforme politique et constitutionnelle pour sortir le pays de la crise démocratique, écrivent-ils.
Leur geste, pourtant, a été interprété de différentes façons dans la classe politique et dans la presse. Les trois signataires ont donc dû faire une conférence de presse pour préciser leur action. Le 27 avril à Rabat, ils s’expliquaient : « Notre initiative n’est pas l’annonce d’une scission et [nous ne voulons pas] créer une crise. Une telle initiative procède du constat selon lequel de très nombreux militants, à l’intérieur du parti ou non, manifestent leur volonté de voir l’USFP faire de la politique autrement. Nous disons qu’aujourd’hui il est possible de donner un autre sens à la politique ; loin de tous ceux qui ont érigé l’action politique en défense des intérêts personnels et étroits », a déclaré Mohamed Achaari, ajoutant : « [Notre action] n’est pas en rupture, mais [nous avons] juste pris [notre] liberté de parole et d’action pour réfléchir à un projet politique d’avenir dans lequel les valeurs autres que mercantiles et opportunistes occuperaient toute la place. »
En quête de débats
Leur démarche, affirme le trio, se situe « à l’intérieur de l’USFP et dans ses institutions telles qu’elles sont ». Rencontrer des militants dans les régions en fait partie. Pour Larbi Ajjoul, « notre préoccupation réside dans les acquis démocratiques et l’évolution du pays. Nous faisons appel aux consciences pour sauvegarder ces acquis et les renforcer ». Il précise : « Les libertés et les droits ne sont garantis que s’ils sont appuyés par des institutions crédibles et pérennes. Il est de notre devoir d’apporter notre contribution et d’assumer nos responsabilités face à la dégradation de la situation politique. Notre initiative n’est dirigée contre personne, nous l’assumons pour le parti. »
Quant à Ali Bouabid, il affirme : « L’opinion publique nous a envoyé des signaux en 2007 et en 2009. On ne peut pas faire comme si les élections n’avaient pas eu lieu. Il faut bien l’admettre, le projet démocratique traverse une crise. Notre initiative est une approche pour recrédibiliser le projet démocratique ». Pour les trois responsables, « la politique doit être un débat et ne plus se faire dans les clubs politiques fermés, et le prochain congrès de notre parti doit se transformer en compétition naturelle d’idées et de projets ».
Le mouvement d’humeur des trois hommes reste pour le moment cantonné à la direction du parti. En attendant un éventuel déplacement dans les régions qu’ils pourraient effectuer pour expliquer leur décision aux militants de base. L’USFP entre dans la préparation du prochain congrès. Il pourrait bien être encore plus chaud que le précédent, qui avait pourtant connu deux scissions.