Entretien Zohra Bitat, vice-présidente du Conseil de la nation algérien, a été observatrice lors du vote pour les conseillers municipaux. Elle a livré un témoignage exclusif à « Afrique Asie ».
* En tant qu’observatrice étrangère, qu’avez-vous pensé du déroulement de ces élections municipales 2 010 ?
– Permettez-moi de me présenter : je suis algérienne, membre du Sénat algérien et vice-présidente de ce Sénat. Je suis de la génération qui a fait la guerre de libération nationale. De ce fait, j’ai suivi les nombreuses étapes de la vie politique depuis 1962 à ce jour, aussi bien dans mon pays que dans les pays du Maghreb. Parce que, bien que les choses ne soient pas encore faites, nous avons, je le pense, une communauté de destin évidente. Nous avons en commun beaucoup de choses. Notamment une histoire ancienne et une histoire plus récente concernant les mouvements de résistance contre l’occupation de l’Algérie et les protectorats en Tunisie et au Maroc. Ce qui se passe en Tunisie et au Maroc nous interpelle. J’ai donc accepté de faire partie de cette équipe d’observateurs étrangers qui était composée de personnes venant d’horizons différents. Il y avait des Français, des Italiens, des Égyptiens, des Suisses, des Mauritaniens, des Sénégalais…
Participation importante
Nous sommes arrivés deux jours avant le scrutin et je vais vous résumer les points qui m’ont paru essentiels au cours de cette mission. Nous avons assisté à une réunion entre les membres de l’Observatoire national des élections, qui est présidé par Abdelwaheb el-Béhi, et les responsables de partis ou les têtes de listes présentes pour cette compétition. Ce qui m’a paru très positif et très important, dans l’expérience tunisienne comme pour nos pays, c’est le dialogue réel qu’il y a eu entre les membres de l’Observatoire et les représentants des partis. Ils ont fait part des problèmes qu’ils ont rencontrés au cours de l’organisation de cette campagne. Tout cela s’est déroulé dans une ambiance courtoise et « civilisée » ! De vraies interrogations ont été soulevées et présentées aux membres de l’Observatoire qui ont pu répondre dans la plupart des cas. Quand ce n’était pas possible, ils se sont engagés à regarder de plus près le problème posé, pour le résoudre ou le signaler dans leur rapport final. Cela nous a permis de voir comment les élections avaient été préparées, quels problèmes les différents protagonistes rencontraient, et la façon d’y répondre.
Pour moi, Algérienne vivant un multipartisme né dans des circonstances extrêmement difficiles, cette mission représente une expérience enrichissante, dont je pourrai tirer quelques enseignements.
Pour les opérations de vote elles-mêmes, j’ai visité toutes les municipalités de Tunis. Mon constat premier, bien sûr, est que l’organisation et le déroulement des opérations de vote répondent aux normes internationales des « démocraties occidentales ». Ce j’ai trouvé intéressant que, dans un pays parmi les nôtres, les bulletins de vote de chaque liste aient une couleur différente. Du coup, dans les quartiers très populaires, les anciennes générations, qui ne savent pas toujours bien lire, avaient toute facilité pour accomplir leur devoir électoral.
Il faut signaler l’importante participation, notamment dans les quartiers les moins favorisés comme à Mellassine. J’ai été agréablement surprise de croiser des groupes de jeunes allant voter et avec qui j’ai pu discuter. Sans connaître leur sensibilité politique, j’ai été frappée par la conscience aiguë qu’ils avaient de l’importance de cette élection municipale, de son impact sur la vie de tous les jours. Ils raisonnaient bien. J’ai trouvé qu’ils avaient une conscience politique plutôt bien développée, ce qui est important pour l’avenir du pays.
Je veux dire, enfin, que je ne juge pas le déroulement des choses avec les mêmes paramètres que les Occidentaux. Nos sociétés ont des organisations différentes. Nous avons des histoires qui n’ont rien à voir avec l’histoire européenne. Les paramètres que les Occidentaux exigent de nos pays ne me paraissent pas répondre à nos réalités. La démocratie, nous la construisons en fonction de nos réalités historiques, sociologiques et culturelles.