Le président américain fait en sorte que les ressortissants américains encore présents sur le territoire libyen ne soient pas pris en otage. Le colonel Kadhafi continue à faire tirer sur la foule. Benghazi est aux mains des insurgés.
Le président des États-Unis, Barack Obama, a rompu son silence sur la Libye, appelant le monde à s'unir contre une violence "scandaleuse", mais il est resté imprudent en n’appelant pas au départ du colonel Mouammar Khadafi et à la chute de son régime, après huit jours d’affrontements meurtriers avec les civils.
Selon ses conseillers à la Maison Blanche, cette prudence – contrastant avec les exigences d’un retrait immédiat de Hosni Moubarak en Égypte – s’expliquerait par sa crainte de voir les ressortissants américains présents en Libye, soit environ 650 personnes ainsi qu'une cinquantaine de diplomates et membres de leurs familles, pris en otage par le « Guide la Révolution ». Elle s’expliquerait aussi – mais c’est nettement moins convaincant – par les menaces de Kadhafi de nationaliser les intérêts pétroliers occidentaux et américains si la pression extérieure devenait insupportable. A ce sujet, Alain Juppé, ministre français de la Défense, a écarté jeudi matin 24 février, dans un entretien sur la radio RTL, l’éventualité d’une intervention militaire pour faire tomber le régime. Il a appelé à demi-mots au départ de Kadhafi, en renvoyant à une décision collective l'éventualité d'une intervention, alors qu'Obama en avait appelé à la "responsabilité particulière" de la France dans la région méditerranéenne.
« La souffrance et le bain de sang sont scandaleux et inacceptables », a déclaré depuis la Maison Blanche le président des États-Unis, dans une intervention d’à peine quelques minutes. Il a averti que le régime de Mouammar Kadhafi aurait à rendre compte de ses actes. « Il doit être tenu pour responsable de son incapacité à honorer ses responsabilités, et il devra affronter les conséquences qu'entraînent les violations continues des droits de l'homme », a-t-il dit.
La secrétaire d’État, Hillary Clinton, participera lundi 28 février à une réunion au niveau ministériel du Conseil des droits de l'homme des Nations unies à Genève, pour tenter de réunir un « consensus » sur la conduite à tenir collectivement à l’égard de Kadhafi. « Il est impératif que les nations et les peuples du monde entier s'expriment d'une seule et même voix et c'est à cela que nous travaillons », a indiqué Obama.
L'imposition d'une zone d'exclusion aérienne, qui empêcherait l'aviation encore aux mains de Kadhafi de bombarder sa propre population, figure parmi les mesures évoquées à Washington. Encore faut-il en convaincre le Conseil de sécurité des Nations unies, puis l'Otan, ce qui prendra du temps alors qu’il y a urgence à intervenir. Selon les indiscrétions rapportées par les télévisions arabes sur le dernier entretien du ministre de l’Intérieur, Abdel Fattah Younes – démissionnaire – et le colonel Kadhafi, ce dernier lui aurait déclaré que s’il était contraint à abandonner le pouvoir, il « laisserait la Libye comme il l’avait trouvée » quarante-deux ans auparavant.
Cette stratégie de la « terre brûlée » a été confirmée par les premiers témoins de retour de Benghazi, désormais entre les mains des insurgés. Selon des médecins français travaillant dans le nouvel hôpital de la ville, construit dans le cadre de la coopération entre les deux pays, l’armée aurait tiré au canon et utilisé des missiles contre les manifestants. Ils ont affirmé avoir reçu des corps déchiquetés et calcinés, Dans la seule Benghazi, ils évaluent à 1 000 au moins le nombre de tués auxquels s'ajoutent des milliers de blessés.
Les travailleurs tunisiens qui ont fui la région de Tripoli, toujours aux mains des fidèles du « Guide la Révolution », ont affirmé que la capitale libyenne vit dans la peur des milices civiles et des mercenaires africains armés. La population se terre : « toute tentative de manifester est brisée par les armes », ont-il dit. « Des francs-tireurs sont postés partout pour décourager toute velléité de rébellion. C'est le chaos ». Alors que son pouvoir sur les tribus s’est effrité à l'est, et que beaucoup de tribus de l'ouest sont dans une prudente expectative pour venir à son secours, Kadhafi aurait réactivé ses « réseaux africains » du temps de la « Légion islamique » dédiée à la libération du continent, pour protéger son régime et tenter de reprendre la situation en main.
Dans un discours prononcé mardi dans le décor surréaliste de sa maison bombardée par l’aviation américaine en 1986, il s’est dit « prêt à tomber en martyr » et il a menacé sa population d’une « boucherie sanglante ». Après son fils aîné, Seif El Islam, sa fille, Aïcha Kadhafi, a affirmé sa totale allégeance à son père dans une intervention à la télévision libyenne à partir de Tripoli, alors qu''on la disait en fuite d'abord vers Malte, où les autorités auraient refusé à son avion le droit d'atterrir, puis vers Chypre. La famille Kadhafi que l'on disait déchiré entre "libéraux" et "conservateurs" jaloux les uns des autres, serre ainsi les rangs autour de son patriarche.