La grande arnaque
En Libye, les islamistes semblent avoir la mainmise sur le pays avant même qu’il y ait eu la moindre élection, en Tunisie et au Maroc ils sont arrivés au pouvoir par les urnes et le même schéma se dessine en Égypte où les résultats partiels des législatives leur promettent un succès plus franc encore.??
Il n’est franchement pas question de surprise, puisque ces résultats étaient plus ou moins attendus. Ils étaient si attendus d’ailleurs que ces mêmes islamistes ont entrepris tôt, selon une symphonie réglée d’avance, à se dédiaboliser aux yeux de l’Occident ou, du moins, à tenter de lever en partie la lourde suspicion qui pèse sur eux.
Pour cela, la formule est toute simple. On cite l’AKP turc, on le présente comme référence et on loue le modèle turc qui permet l’exercice du pouvoir par des islamistes, sans que les libertés ne soient en péril. L’exercice est plutôt réussi puisqu’en Occident on n’a jamais autant parlé d’islamisme “modéré”, une invention sémantique qui ne peut duper personne et créée de toute pièce pour un besoin de lisibilité politique. En réalité, le seul aspect par lequel l’AKP turc peut constituer un exemple pour les islamistes arabes et nord-africains, c’est le fait d’avoir conquis le pouvoir et d’avoir réussi à s’y maintenir.?De plus, l’AKP est loin d’être l’ange que l’on veut bien présenter. Depuis son arrivée au pouvoir, les libertés ont régressé de manière substantielle, sans compter ses multiples tentatives de mettre à mal la laïcité de l’état en voulant autoriser, par exemple, le port du voile pour les femmes à l’université. Ce n’est donc pas le “modèle turc” qui peut inspirer les islamistes, puisque c’est précisément ce modèle qui empêche l’AKP de faire sombrer le pays dans la théocratie. La constitution turque établie sous Atatürk est la colonne vertébrale de ce modèle. Son article premier annonce que “l’état turc est une république” et son article deuxième affirme que “la République de Turquie est un état de droit démocratique, laïque et social, respectueux des droits de l’homme dans un esprit de paix sociale, de solidarité nationale et de justice…”. L’article 4 vient ensuite consacrer l’immuabilité des articles 1 et 2 précédemment cités en disposant qu’“ils ne peuvent être modifiés ni leur modification proposée”. L’article 14, enfin, constitue un véritable chef-d’œuvre de lucidité et de clairvoyance. “Aucun des droits et libertés fondamentaux inscrits dans la Constitution ne peut être exercé dans le but de porter atteinte à l’intégrité indivisible de l’état du point de vue de son territoire et de sa nation, de mettre en péril l’existence de l’état et de la République turcs, d’anéantir les droits et libertés fondamentaux, de faire diriger l’état par une personne ou par un groupe de personnes ou d’établir l’hégémonie d’une classe sociale sur les autres classes sociales, de susciter des distinctions de langue, de race, de religion ou de secte ou d’instaurer par une autre voie, quelle qu’elle soit, un ordre étatique fondé sur ces conceptions et idées. La loi fixe les sanctions applicables à ceux qui violent ces interdictions ou encouragent ou incitent les autres à les violer. Aucune disposition de la Constitution ne peut être interprétée en ce sens qu’elle accorderait le droit de mener des activités destinées à anéantir les droits et libertés inscrits dans la Constitution.”?
Ces quelques extraits de la Constitution turque résument à eux seuls la réalité du modèle turc : résolument moderne et laïque. En somme, l’exact contraire du projet de tous les islamistes de la planète, quelle que soit la dose de modération qu’on veut bien leur accorder.?
M. A. Boumendil (Liberté)